Édition du 23 avril 2024

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Québec

COVID-19 : Les idées fixes du nationalisme conservateur

Ces derniers jours, beaucoup d’encre a coulé afin de décrier la lenteur de la réaction du gouvernement fédéral en cette période de crise sanitaire. Avec une certaine satisfaction, bon nombre de commentateurs ont fait remarquer à quel point les gestes posés par le gouvernement Legault étaient plus en phase avec la gravité du moment. Avouons-le, nous sommes tous un peu dépassés ici. Peu d’entre nous sont épidémiologistes : dans les faits, nous n’avons pas la moindre idée de comment lutter efficacement contre une pandémie. Casser du sucre sur le dos du gouvernement Trudeau semble relever bien davantage d’une récupération mal avisée de nos éternelles récriminations contre le fédéral que d’une appréciation raisonnée du moment.

Tiré du site de l’IRIS.

Dans ce registre – et loin de moi l’idée de signer un chèque en blanc à nos élus fédéraux –, les représentants du nationalisme conservateur se sont dépassés. Autant Mathieu Bock-Côté que Denise Bombardier y sont allés de chroniques ces derniers jours pour le moins surprenantes ! Comment expliquer la lenteur de la réaction du fédéral ? C’est tout simple, le coupable est trouvé : le méchant multiculturalisme qui englue nos élites libérales dans une stase les confinant à l’inaction.

Vous savez, cette idéologie multiculturelle qui nierait au peuple sa souveraineté et empêcherait la majorité d’exprimer clairement sa volonté ; eh bien, c’est elle qui poursuivrait son œuvre de destruction. Pourquoi Trudeau hésite à fermer les frontières ? Facile, c’est un « mondialiste », un commis de l’élite déconnecté du peuple réel qui lui, on s’en doute, sait à quel moment une telle opération est justifiée pour bloquer la propagation d’un virus.

Recycler aujourd’hui un argumentaire voulant que les marchands d’inclusion ouvrent grand les portes du pays au seul motif de dissoudre l’identité de la majorité relève du délire.

L’idole qu’on ne nomme pas

Les élites libérales canadiennes défendent le multiculturalisme. Espérons que cette primeur ne fera tomber personne en bas de sa chaise ! Ramener cet enjeu sur le tapis en ce moment semble aussi prometteur que de parler philosophie antique un soir de 7e match en série éliminatoire de hockey. Surtout – puisqu’il faut apparemment le rappeler –, ce n’est certainement pas un attachement moral à l’idée d’inclusion qui a pu freiner la prise de décision de notre premier ministre.

Pour penser cela, il faut faire fi des 35 dernières années qui ont vu se construire autant chez les « rouges » que chez les « bleus » la même conviction : nous voulons nos frontières ouvertes suivant une fine géométrie variable. Lorsqu’il est question de réguler le mouvement des gens, là oui, les frontières c’est bien. S’il s’agit de contrôler les mouvements des capitaux, des biens et de la pollution, la préférence ira à la plus grande ouverture, ou à « l’inclusion » si vous préférez.

La ligne de l’hérésie, lorsqu’on parle de frontière, n’a rien à voir avec le multiculturalisme. Essayez de défendre qu’il faille, des fois, mettre en place des politiques protectionnistes ou de solidarité sociale et vous comprendrez !

Au-delà des frontières

Faire porter au multiculturalisme une quelconque responsabilité dans la situation actuelle est irresponsable. Bien sûr, cette « idéologie » peut être critiquée. Il est nécessaire de remettre en question sa conception de la société comme agrégat d’individus au détriment d’une vision collective du fait social. Il est aussi juste de juger que la défense des particularités culturelles portée par la perspective multiculturelle flirte souvent avec un certain essentialisme. Oui à tout cela, ou du moins oui à ce que ces angles morts d’une conception de la vie commune aux allures généreuse retiennent notre attention.

Mais, dans le contexte de fin du monde qui est le nôtre, en faire le procès est simplement hors propos – et en plus, dangereux considérant que certains de nos concitoyens doivent payer la note de cette rhétorique agressive. La seule raison pourquoi nos gouvernements, à Québec comme à Ottawa, ont réagi sur la tard – oui oui, Québec aussi ! – est à chercher du côté de la crainte des impacts économiques.

Trop longtemps, nos élus ont soupesé répercussions économiques et sanitaires. Mathieu Bock-Côté et Denise Bombardier peuvent pérorer tant qu’ils le désirent, mais que Justin Trudeau veuille ou non fermer le « chemin Roxham », qu’une telle action soit ou non pertinente en période de crise sanitaire, nos idéologues patentés en ont cure.

Pourquoi pointer du doigt des décennies de coupes en santé publique quand on peut stigmatiser quelques minorités ? Pourquoi réfléchir à assurer à tout le monde un minimum de dignité en période d’écroulement économique quand on peut blâmer le méchant gouvernement fédéral ? Pourquoi se questionner sur le lien entre « lenteur de la réaction » et « défense de puissants intérêts privés » quand on peut faire fi des événements et ressortir notre vieille cassette ?

Je suis curieux de savoir de quelle manière l’ignoble idéologie multiculturaliste a bien pu convaincre Trump d’être si lent à réagir et à vouloir « rouvrir » son pays d’ici Pâques ?

Soyons sérieux. La colère est légitime, mais recycler les vieilles marottes du nationalisme conservateur ne nous aidera certainement pas à prévenir la prochaine crise. Et encore moins à passer au travers de celle-ci.

Philippe Hurteau

Chercheur à l’IRIS

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