Édition du 14 mai 2024

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Affaire Hassan Guillet : Confusion des genres

L’interdiction formulée le vendredi 30 août, faite au libéral Hassan Guillet de se porter candidat au prochain scrutin fédéral pour cause d’assertion présumée d’antisémitisme sur son site facebook révèle une fois de plus le parti-pris fanatique en faveur d’Israël de la part de l’ensemble de la classe politique canadienne, y compris du Parti libéral pourtant supposément plus ouvert sur les questions internationales que ses concurrents, sauf peut-être le NPD.

Le gouvernement de Justin Trudeau l’accuse donc « d’antisémitisme »

Le gouvernement de Justin Trudeau l’accuse donc « d’antisémitisme » et « d’antisionisme » (ou encore « d’anti-israélianisme »), ce qu’il assimile à du racisme. Il s’agit pourtant de notions très différentes les unes des autres, nullement assimilables à du racisme (même si l’antisémitisme est condamnable).

Je ne commenterai pas ici les propos attribués à monsieur Guillet. On peut les consulter dans les médias écrits et électroniques. Si monsieur Guillet se montre très critique (trop au goût de la direction libérale, de toute évidence) envers Israël et le sionisme, l’accusation « d’antisémitisme » à son endroit ne tient pas.

Les partisans de l’État hébreu et de son supposé « droit à l’existence » mélangent trois notions très différentes les unes des autres : l’antisémitisme, l’antisionisme et ce que que je nommerais, faute d’un meilleur terme, l’anti-israélianisme. Examinons donc ces trois concepts.

1- L’antisémitisme

Il faut rappeler encore et encore que le judaïsme est une religion et non une réalité génétique. Les tenants du judaïsme se recrutent sur tous les continents et dans plusieurs ethnies : au Proche-Orient, en Afrique du Nord et même centrale, au Turkménistan, et bien sûr en Europe. Il existe même des convertis parmi les Arabes. Ce sont toutefois des Européens de l’Est, convertis au judaïsme au fil des siècles et ayant fait l’objet de persécutions souvent aiguës qui ont fondé l’État hébreu, considérant (à tort) que leurs ancêtres avaient été chassé de Palestine par les Romains dans l’Antiquité.

Bref, les gens de confession hébraïque ne forment pas une « race » (une notion d’ailleurs fuyante sur le plan scientifique) mais une religion, comme les chrétiens, les bouddhistes ou les taoïstes. C’est bien à tort que des organisations extrémistes les ont considérés comme une ethnie. Il serait plus exact de parler dans leur cas d’antijudaïsme.

2- L’antisionisme

Le sionisme est la doctrine selon laquelle les gens de confession hébraïque constituent un groupe national cohérent dont les racines plongeraient loin dans le passé, remontant à la Palestine juive de l’Antiquité ; d’où de leur point de vue, la légitimité de la fondation de l’État hébreu en 1948, après quelques décennies de colonisation, accentuée par les persécutions nazies en Europe durant la décennie 1930 qui ont provoqué des vagues successives d’immigration judaïque en Palestine arabe. Critiquer le sionisme n’équivaut nullement à verser dans l’antijudaïsme et encore moins à entériner l’Holocauste, mais plutôt à contester la mainmise judaïque brutale sur la Palestine au détriment de la population arabe, dont une bonne partie a du s’exiler avec la proclamation de l’état d’Israël en 1948.

Donc, on doit éviter de confondre antijudaïsme et antisionisme. Ce dernier courant de pensée découle d’un souci de justice envers la nation palestinienne, ce qui comprend le droit au retour des réfugiés palestiniens dans le pays de leurs ancêtres, occupé aujourd’hui en bonne partie par l’État hébreu. Mais ses partisans et partisanes sont conscients que ce retour ne se réalisera jamais complètement, vu le rapport de force entre les parties en présence, favorable à Israël.

3- L’anti-israélisme}

Il s’agit d’un prolongement logique de l’antisionisme. Le « droit à l’existence » de l’État d’Israël représente un article de foi pour les classes politiques occidentales et sa négation au nom du droit au retour des Palestiniens et Palestiniennes ou même la critique acérée de la politique territoriale expansionniste de Tel-Aviv, comme une manifestation du plus odieux « racisme ».

Si les antijudaïques de tout poil sont par définition antisionistes, les partisans et partisanes des Palestiniens n’adhèrent pas à l’antijudaïsme, bien au contraire. Il y a même des Juifs... anti-israéliens parce qu’ils considèrent que l’État hébreu dénature la spiritualité juive. Va-t-on les qualifier d’antisémites ?

Le racisme anti-Palestinien

Un racisme, très réel celui-là, s’observe surtout chez les politiciens et politiciennes en Occident : l’anti-palestinianisme et plus généralement l’anti-arabisme. Il est d’autant plus odieux qu’il se dissimule sous le couvert de la notion de démocratie, au nom de la défense d’Israël, « seul État démocratique du Proche-Orient » nous martèle-t-on sans cesse. Il se traduit par le boycott ouvert ou larvé, d’organisations palestiniennes de résistance et par la négation en pratique du droit à l’autodétermination des Palestiniens en le soumettant à des négociations hasardeuses avec l’ennemi israélien héréditaire, sur lequel les gouvernements occidentaux refusent obstinément de faire efficacement pression afin qu’il traite enfin de bonne foi avec les Palestiniens et diminue la répression qu’il exerce à leur encontre. Au contraire, les classes politiques occidentales dans leur majorité continuent à soutenir leur protégé israélien et contribuent par le fait même au malheur des opprimés palestiniens.

Cette politique du double standard relève d’une forme de racisme. Maintenir Israël sur un piédestal tout en dénigrant les Palestiniens en particulier, et les Arabes en général revient à qualifier tout ce monde d’infra-humains. A-t-on le droit de mépriser des sociétés entières parce qu’elles ne partagent pas les valeurs politiques hautainement affichées par nos « élites » politiques ?

Ce n’est pas en pratiquant une politique impérialiste tous azimuts et en niant le droit à l’autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes que les dirigeants occidentaux et surtout américains vont encourager la cause de la démocratie au Proche-Orient. Après tout, il y a des démocrates et des socialistes dans le monde arabe, n’en déplaise aux contempteurs de cette civilisation.

L’indignation politique vertueuse du petit Trudeau et de son entourage vis-à-vis de monsieur Guillet participe de cette imposture.

Jean-François Delisle

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