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Décès d’Howard Zinn : l’Amérique perd sa boussole

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Sale nouvelle. Howard Zinn est mort hier à l’âge de 87 ans. On l’aurait voulu immortel, voire plus. On y croyait presque d’ailleurs. De l’avoir vu il y a quelques mois prendre la parole lors d’une passionnante conférence parisienne (retranscrite ci-dessous), clair et didactique, impressionnant de pédagogie et d’intelligence, mais aussi de gentillesse et d’attention, on pensait que le temps ne pouvait s’attaquer à quelqu’un comme lui.

Publié sur www.article11.info le 27 janvier 2010.

Trop d’énergie, de dignité et de volonté étaient contenues dans cet homme. Un vieux, lui ? Pff, il en aurait remontré à n’importe lequel de nos énergumènes médiatiques d’un simple claquement de doigt. Alors, mourir... Non, ce n’était pas à l’ordre du jour. Impossible.

Mais voilà, l’évidence est là, difficile de la nier : l’un des intellectuels le plus indispensable de notre époque est mort. Il faut s’y faire.

Il y aurait tant à dire pour saluer son œuvre. Évoquer ses livres, surtout. D’abord le plus personnel, De l’Impossible neutralité, autobiographie militante dont le titre disait tout et qui revenait sur ses innombrables combats politiques. Une Histoire populaire des États-Unis, ensuite, ouvrage ayant réussi le tour de force de réconcilier approche historique critique et succès en librairie. La pièce de théâtre En Suivant Emma, vibrant hommage à la militante anarchiste Emma Goldman se lisant d’une traite. Ou bien...

Passer en revue l’ensemble de ses écrits fondamentaux et de ses interventions publiques ne suffiraient pas à faire le tour du personnage. Toujours, on sera loin du compte. Récemment encore, sur le blog de son éditeur français, Agone, il démontait vigoureusement le choix de décerner le prix Nobel de la paix à Obama : Le prix nobel de la paix, c’est la guerre ! », s’offusquait-il, rare voix à publiquement souligner l’évidence. C’est ainsi qu’il continuait dans la voie qu’il s’était choisie, sans jamais dévier d’un pouce.

On va éviter le pathos. Mais, bordel, un monde sans Howard Zinn ?

D’abord il a commencé par se frotter à la langue française. Courageux. Les mots ne coulaient pas tout seul. Discours heurté, hésitant, on se demandait presque - sacrilège ! - si son grand âge (87 ans) n’avait pas fini par le réduire un tantinet au silence, à l’hésitation en tout cas. Au ralenti, il a donc commencé par évoquer ses livres, un par un. S’excusant en souriant : « J’espère que vous allez ignorer mes erreurs grammaticales, pas mes erreurs théoriques. »
D’Une Histoire populaire des Etats-Unis, œuvre monumentale proposant une vision inversée, marxiste, de l’ensemble de l’histoire des USA (pas l’histoire des puissants, mais celle des masses : syndicats, noirs, indiens, ouvriers…), il a expliqué le succès en librairie aux Etats-Unis (plus d’un million d’exemplaires vendus !) et ailleurs par ces quelques mots : « Je crois que la raison pour laquelle mon livre a eu une telle réception, c’est qu’il n’y en a pas d’autres comme ça. » Une évidence qui pourrait s’appliquer à toute son œuvre, elle qui surfe allègrement à contre-courant de l’histoire officielle, remplit un vide intellectuel frappant. Si bien qu’on a aucun scrupule à affirmer en le paraphrasant que d’historien contemporain aussi fondamental, « il n’y en pas d’autres comme ça. »

De L’Impossible Neutralité, recension magnifique de toute une vie consacrée à l’engagement militant, pour les droits de civiques des noirs, contre la guerre du Vietnam, contre l’impérialisme américain, contre la guerre en Irak, il s’est contenté de dire, pudiquement, que c’était « un livre plus personnel, plus intime que les autres. » On ajoutera que c’est un livre qui réconciliera avec l’idée d’engagement intellectuel tous ceux qui voudraient enfermer à double tour l’intellectuel dans sa tour d’ivoire. Et distille à chaque page des enseignements précieux (entre mille :« La désobéissance civile […] n’est pas un problème, quoi qu’en disent ceux qui prétendent qu’elle menace l’ordre social et conduit droit à l’anarchie. Le vrai danger, c’est l’obéissance civile, la soumission de la conscience individuelle à l’autorité gouvernementale. »).
Sur ses autres livres traduits en français (tous par la maison d’édition Agone), comme ses pièces de théâtre Karl Marx, le retour et En suivant Emma ou son essai Nous, le peuple des États-Unis, Howard Zinn ne s’est pas appesanti outre-mesure, filant à l’essentiel.

Et puis, une fois passée la présentation de ses livres, Howard Zinn a semblé soulagé. Il ne venait pas pour parler de lui, il venait pour débattre, répondre à des questions. Il en a profité pour abandonner ses velléités francophones (armé d’une traductrice) et répondre chaleureusement aux questions d’un auditoire passionné, parfois pas loin d’en venir aux mains pour obtenir le micro et l’honneur de lui poser une question.

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