Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Réseau écosocialiste

Des bases de regroupement et d'action d'un réseau écosocialiste

A. Conjoncture : La résistance mondiale au néolibéralisme en crise

1. Après 25 ans, le capitalisme dans sa mouture néolibérale connaît une rupture profonde amorcée par la grande récession de 2008. Il s’agit d’une triple crise : économique, amenant son lot de politiques d’austérité, de coupures sauvages, de plans de sauvetage des banques, le tout creusant les inégalités sociales, et produisant d’immenses souffrances et frustrations. L’appauvrissement de la majorité touche particulièrement les femmes, les minorités et les personnes les plus vulnérables. Environnementale, alors que s’épuisent les écosystèmes ravagés par l’exploitation effrénée des hydrocarbures, l’émission des gaz à effet de serre et un mode production et de consommation insoutenable. Mais aussi une crise de la démocratie : avec la toute-puissance des « marchés » et de l’oligarchie financière, la démocratie capitaliste devient de plus en plus une coquille vide. C’est finalement une crise systémique globale qui souligne l’impasse du capitalisme néolibéral contemporain.

2. Mais la crise et les politiques antipopulaires mises de l’avant par les classes dominantes ont conduit à l’émergence de larges mobilisations populaires partout dans le monde. C’est le printemps arabe et les révolutions antidictatoriales en Égypte et en Tunisie. Les indignados d’Espagne, les grèves générales à répétition en Grèce et au Portugal. Les mobilisations massives en France et en Grande-Bretagne. Le mouvement Occupy aux États-Unis. Et chez nous au Québec, la révolte de la jeunesse étudiante du printemps 2012 qui a débouché sur les plus grandes grandes mobilisations de masse depuis les années 70.

3. Les périodes de crise peuvent être des moments où le capital se réinvente pour développer de nouvelles stratégies d’accumulation. Mais ce sont aussi des moments au cours desquels les formes et stratégies de lutte des classes populaires, des dominéEs, se réinventent elles aussi.

B. L’écosocialisme réponse à l’impasse capitaliste

4. L’écosocialisme est un nouveau projet politique réalisant la synthèse d’une écologie anticapitaliste et d’un socialisme débarrassé des logiques du productivisme. C’est la réponse humaine raisonnée à la double impasse dans laquelle est enfermée dorénavant l’humanité en raison du mode de production actuel qui épuise l’être humain et la nature. Il désigne les vrais responsables : les classes dominantes, particulièrement l’oligarchie financière mondialisée, et propose une alternative pour sortir de la crise. C’est l’approfondissement et le renouveau du projet émancipateur du socialisme dans les conditions du 21e siècle.

5. L’écosocialisme combat les moteurs du système capitaliste : l’exploitation et la recherche sans fin du profit maximal, le consumérisme et le productivisme qui épuisent les écosystèmes, la mondialisation avec sa concurrence effrénée qui encourage le dumping social et environnemental, l’impérialisme et les guerres d’agression, le racisme, le colonialisme et toutes les formes d’oppression. C’est un projet de société alternatif au capitalisme qui exige de repenser non seulement la propriété du système de production et d’échange, mais aussi le contenu des productions et les modes de consommation.

6. L’écosocialisme se distingue des « socialismes » du 20e siècle qui ont tous échoué tant sur le plan écologique et démocratique que sur celui de l’équité sociale. Venus au monde dans les guerres et les tourmentes, ils ont pris un pli militariste, hiérarchique et élitiste dont ils ne se sont jamais débarrassés. Ils ont confondu étatisation et socialisation, reproduit les modes de production dominateurs et destructeurs du capitalisme et ont fini par déposséder les classes populaires de tout contrôle sur les moyens de production et l’État au profit d’une classe bureaucratique et privilégiée. L’écosocialisme, lui, se doit d’être démocratique, autogestionnaire et égalitaire. Il propose de révolutionner les rapports de production et les forces productives. Il prône la répartition des richesses, la prise en compte des contraintes écologiques, la planification écologique et démocratique ainsi que la souveraineté populaire.

7. L’écosocialisme réfute les fausses solutions du capitalisme vert et de la sociale démocratie. Le capitalisme vert est une mystification qui sous couvert de développement durable fait la promotion des marchés du carbone et alimente la recherche du profit maximal, maintient la mondialisation néolibérale, et aggrave le dumping environnemental que subissent les pays en développement. C’est un « green-washing » du paradigme actuel qui évite le vrai débat : celui de la responsabilité du mode de production capitaliste dans la profonde crise environnementale que subit la planète. La sociale démocratie prône depuis toujours la redistribution des revenus sans remettre en question les bases de l’accumulation et donc la puissance du capital financier. Si elle a pu pendant les « trente glorieuses » développer l’État providence et répartir « les fruits de la croissance », elle a échoué lamentablement face au néolibéralisme se muant souvent en son meilleur défenseur. Depuis l’éclatement de la crise en 2008, elle s’est faite la promotrice du sauvetage des banques et le héraut des politiques d’austérité méritant bien son sobriquet de social libéralisme.

8. L’écosocialisme rejette le modèle de croissance infinie imposé par le capitalisme. L’écosocialisme défend la nécessaire réduction de certaines productions et de certaines consommations porteuses d’une empreinte écologique inacceptable. L’écosocialisme propose de restreindre radicalement la sphère et le volume de la production et plus généralement du développement extractiviste. Cet objectif ne sera pas atteint simplement en éliminant les productions inutiles et nuisibles (armement, etc.) en luttant contre l’obsolescence planifiée des produits, ou en supprimant la consommation ostentatoire des couches les plus riches de la classe dominante… Des mesures plus radicales seront nécessaires comme la transformation et la décentralisation des modalités de production des biens, l’abandon des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) et l’adoption d’un régime énergétique soutenable (solaire, éolien, géothermie, etc..), des transports publics électrifiés et accessibles, afin de limiter au maximum les dégâts du réchauffement climatique tout en garantissant un développement humain de qualité, basé exclusivement sur les énergies renouvelables. Nous somme pour une reconversion économique qui préserve les intérêts des classes populaires dans une perspective de « transition juste ». Notre projet vise une économie gérée démocratiquement, au service des besoins sociaux, et qui rompt avec le consumérisme, la publicité et la marchandisation généralisée conduisant à des gaspillages destructeurs.

9. L’écosocialisme est un combat internationaliste, car le capitalisme globalisé exige une réponse solidaire des peuples du monde. Nous reconnaissons la responsabilité des pays capitalistes du Nord sur les problèmes environnementaux qui frappent aujourd’hui les peuples du Sud, tout en critiquant le modèle de rattrapage et de développement qui perpétue un mode de production insoutenable. Nous dénonçons l’industrialisation effrénée et polluante et ses effets sur le climat mondial, le pillage des ressources naturelles, l’accaparement des terres arables, les expéditions guerrières menées pour assurer la prédation des ressources. Toutes les décisions prises dans un endroit concernant la production de biens, les transports ou les énergies ont des répercussions à l’échelle planétaire. L’écosocialisme agit dans une perspective de justice climatique Nord-Sud dans la lutte pour la sauvegarde de l’environnement de la planète. L’écosocialisme souligne également que la mondialisation capitaliste s’est aussi nourrie de la militarisation et des guerres régionalisées. Ce sont les femmes qui ont connu tout particulièrement le viol et la généralisation de la violence. La lutte contre le racisme est aussi au centre du combat des écosocialistes, racisme qui a été exacerbé avec la mondialisation et les politiques de prédation guerrière.

10. L’écosocialisme doit aussi inclure dans ses dimensions de luttes l’abolition du patriarcat. Les femmes produisent 80 % de la nourriture consommée dans les pays les plus pauvres du monde mais ne possède que 1 % des terres. Les femmes étant les premières responsables de la production alimentaire des foyers, elles sont les premières victimes des changements climatiques : sécheresse, inondations des terres, érosions des berges, etc…Établir une société juste et équitable oblige à tenir compte des revendications des femmes. Elles sont pauvres et le capitalisme en profite pour les exploiter davantage en exigeant d’elles du travail gratuit dans la famille et auprès des enfants. Plus de trente ans de politiques néolibérales ont été néfastes pour les femmes. La droite s’est mobilisée contre le droit à l’avortement. Elle a tenté, avec plus ou moins de succès, selon les pays, de limiter le libre choix des femmes. Les droits des gais et lesbiennes ont vu émerger des mobilisations contre leur droit au mariage. La violence faite aux femmes est devenu un axe mondial de mobilisation du mouvement des femmes. Mais c’est surtout le mépris généralisé du corps des femmes porté par les nouveaux moyens de communication et la mondialisation capitalistes qui a fait apparaître clairement les liens étroits entre le capitalisme et le patriarcat. La marchandisation du corps des femmes par la prostitution et la pornographie ont connu une ampleur inégalée.

11. L‘écosocialisme n’est pas une utopie que nous attendons les bras croisés. Nous prenons part dans les luttes sociales et environnementales aux côtés de tous ceux et celles qui résistent. Opposition à l’exploitation des gaz de schiste ou à l’exploration pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent. Appui aux luttes des peuples autochtones contre le Plan Nord,pour la défense de leurs territoires ancestraux et leur droit à l’autodétermination. Refus des politiques d’austérité, la lutte pour préserver l’emploi ou garantir un revenu décent, la réduction du temps de travail sans perte de salaire. La défense des droits syndicaux. Développement des énergies renouvelables et des transports publics électrifiés. Combat pour la gratuité scolaire. Défense des biens communs et des services publics comme moyen pour lutter contre l’appauvrissement des femmes et la division sexuelle du travail. Lutter contre les violences faites aux femmes. Autant de batailles et de luttes immédiates qui nous permettront de bâtir le rapport de force nécessaire pour mener le combat écosocialiste à plus long terme.

C. Les conditions de réalisation des perspectives écosocialistes

a. Démocratiser l’économie en réorganisant les secteurs de l’énergie et des ressources naturelles, de l’industrie, de l’agriculture, du commerce, des transports et de la finance pour les mettre au service du bien commun.

12. Une gestion véritablement démocratique de l’économie, redistribution des richesses, le blocage des privatisations et l’élargissement et la mise en place de services publics gratuits garantissant l’accès aux biens et services fondamentaux comme l’éducation, la santé, l’eau, l’énergie, le logement, le transport et la culture vont rencontrer une résistance acharnée de la classe dominante. Cette résistance ne pourra être cassée que par la nationalisation et la socialisation démocratiques des ressources naturelles, des secteurs industriels stratégiques, des banques afin de construire un système économique et financier public qui en finisse avec le chantage à la fuite des capitaux et qui redonne la priorité aux besoins de la population et à la protection de l’environnement.

13. La planification écologique et participative sera le résultat de décisions collectives guidées par les besoins réels de la population et le respect des écosystèmes. Elle permet de rompre avec des productions décidées par les grands propriétaires des entreprises et des banques à leurs seuls profits. La planification écologique et démocratique part des besoins établis démocratiquement dans les entreprises ainsi qu’aux niveaux local, régional et national afin d’assurer à tous et à toutes le droit de vivre dans un environnement sain protégeant les écosystèmes.

b. Renouveler dans un Québec indépendant la démocratie économique, sociale, participative et représentative

14. La défense et la reconquête de la démocratie passent d’abord par la dissolution des corps répressifs (polices antiémeutes, armée professionnelle), et la lutte pour l’élargissement des droits démocratiques des organisations sociales (droit à la syndicalisation, droit de grève et de manifester par l’action directe et la désobéissance civile, si nécessaire). Mais au-delà de ces mesures défensives essentielles, une réelle démocratie écosocialiste chercherait :

— à permettre à l’ensemble des citoyennes et citoyens à décider des choix économiques et environnementaux stratégiques pour la vie de la société ;

— à généraliser la parité de genre (hommes/femmes) dans la représentation politique et à lutter contre les diverses formes de domination patriarcale ;

 à introduire des mécanismes de démocratie participative à tous les niveaux dans les institutions de l’État (participation à l’élaboration de budgets participatifs...) et à généraliser le principe d’éligibilité à différents postes ;

 à bloquer les voies par lesquelles les représentantEs échappent au contrôle des personnes représentées et à imposer un contrôle populaire des éluEs dans le cadre de la démocratie représentative.

15. L’ensemble de ces revendications démocratiques, des batailles sur ces différents axes vont se heurter à la domination de l’État fédéral sur le Québec qui est réduit par l’oppression nationale au statut de minorité politique. Une véritable reprise en main démocratique de la société québécoise ne peut éviter la lutte pour l’indépendance du Québec et la fin de la domination de l’État fédéral. Les luttes économiques, sociales et démocratiques peuvent culminer par l’élection d’une assemblée constituante, dont l’élection, par elle-même, constituera l’amorce d’une rupture avec la domination de l’État canadien sur le Québec et permettra d’en finir, dans une démarche de souveraineté populaire. avec notre statut de minorité politique, d’assurer l’indépendance du Québec et de définir des institutions qui élargissent le pouvoir citoyen dans toutes les sphères de la société. Pour nous, l’indépendance du Québec est indissolublement liée au projet social de dépassement du capitalisme.

c. Favoriser la convergence des luttes sociales et politiques.

16. Le mouvement étudiant, lors du printemps érable, a remis en question l’école néolibérale et la subordination de l’éducation aux intérêts de la minorité économique dominante. Le Mouvement des femmes conteste la division inégalitaire devant le travail et sa rémunération, le caractère oppressif des rôles sociaux et la violence faite aux femmes. En somme, il remet en question la domination patriarcale qui structure la société capitaliste. Les peuples autochtones se mobilisent pour la défense de leurs territoires ancestraux et la reconnaissance de leurs droits nationaux. Le mouvement syndical s’oppose chaque jour à l’arbitraire patronal dans les entreprises privées et dans le secteur des services publics. Le mouvement populaire multiplie les luttes sur le front de la consommation (logement, aménagement urbain, consommations diverses). Le mouvement écologiste se mobilise afin de protéger l’environnement. Les partis politiques de gauche doivent se nourrir de ces expériences pour dépasser les luttes partielles et tracer dans des synthèses programmatiques les voies d’une redistribution des pouvoirs vers la société civile.

17. Une orientation écosocialiste rejette la séparation artificielle du travail, promue par la social-démocratie, entre le travail du parti, limité à la sphère politique formelle, et le militantisme dans les organisations sociales. La transformation de la société ne sera pas le résultat ni d’un militantisme social fragmenté, ni d’une action politique se contentant d’agir sur la seule arène électorale. Seule la convergence des luttes sociales et politiques dans un vaste mouvement d’ensemble permettra de construire le rapport de force nécessaire pour pouvoir remettre en question les politiques de la classe dominante. Pour assurer la convergence des luttes sociales et environnementales, nous devons favoriser autant que possible l’émergence de formes unitaires et démocratiques d’autoorganisation et d’autogestion de ces mouvements.

18. Dans le mouvement syndical (et parfois dans d’autres mouvements sociaux), une stratégie de concertation sociale avec la classe dominante et l’état occupe une place largement majoritaire. L’écosocialisme, compte tenu de son analyse de la responsabilité des classes dominantes face aux crises économique, politique et environnementale, critique une telle stratégie et lui oppose une stratégie de syndicalisme de combat et de masse. La classe des salariéEs ne peut sans s’enfermer dans une impasse reprendre à son compte les objectifs de la classe dominante. Les militantEs syndicaux écosocialistes doivent favoriser l’indépendance de classe de leurs organisations de masse dans lesquelles ils-elles militent et chercher à construire l’unité dans l’action, y compris avec les autres mouvements sociaux. Nous ne pouvons, comme parti politique, éviter de participer aux débats stratégiques qui traversent les mouvements sociaux qui peuvent avoir une dynamique antisystémique essentielle à la transformation sociale.

D. Les tâches du Réseau écocialiste

19. Les tâches du Réseau écosocialiste s’organiseront autour des axes suivants :

a. Constituer un centre d’élaboration des perspectives écosocialistes et participer aux débats programmatiques de Québec solidaire pour y avancer les orientations du Réseau dans le cadre des instances locales, régionales et nationales du parti. L’écosocialisme prend en compte les liens entre le patriarcat et le capitalisme. Dans cette perspective, le Réseau écosocialiste doit faire développer son élaboration sur la lutte antipatriarcale et promouvoir la place des femmes dans l’organisation, en reprenant tous les acquis sur la question et en étant vigilant face à toute régression.

b. S’assurer de la mise en œuvre de telles orientations et de telles politiques et travailler à ce que Québec solidaire mène des campagnes et des activités contre les politiques antiécologiques, austéritaires et patriarcales des classes dominantes et des partis politiques néolibéraux. En ce sens, le Réseau écosocialiste se doit de tout mettre en œuvre pour ouvrir des espaces d’implications et de mobilisations à l’intérieur de Québec solidaire et ce, en période électorale et non-électorale. Le réseau militera donc pour une transformation des structures du parti pour renforcer la démocratie et la combativité : ce qui implique de favoriser une plus grande participation des militantes et des militants.

c. Construire, élargir et consolider la présence de Québec solidaire dans les mouvements sociaux et, dans cette perspective, contribuer à faire de notre parti un parti de la rue capable de tisser des liens solides avec les mouvements sociaux. C’est de là que nous partons pour contribuer à son élargissement et à sa construction. Le réseau militera pour la mise en place d’un collectif intersyndical de QS, d’un regroupement national étudiant de QS-campus, et d’un réseau de militantes féministes dans différentes régions et au sein des différentes instances du parti.

d. Animer des débats et des formations sur les perspectives écosocialistes tant dans le cadre d’activités du parti que sur une base autonome. Au sein du parti, militer en faveur de structures démocratiques, transparentes, décentralisées et favoriser la participation de la base.

e. Tisser des liens avec des organisations écosocialistes à l’échelle de la planète et relayer au sein de Québec solidaire et de la société québécoise des campagnes internationales menées sur des enjeux environnementaux et sociaux.

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