Édition du 23 avril 2024

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Canada

Discours du Trône ou de l'usage systématique de la duperie

Ce 23 septembre, le gouvernement Trudeau s’est exprimé par un discours du Trône et par une Adresse à la nation. Au cœur de ces interventions l’appel à la responsabilité du peuple canadien face à la pandémie et un plan de relance « verte »et son million d’emplois. Les jours sont durs mais, il nous promet des lendemains qui chantent.

Le contexte

La pandémie continue. Tous les gouvernements parlent de l’amorce d’une deuxième vague. La force de la pandémie risque d’accentuer la crise économique. Non seulement il n’y aura pas de relance en V, mais le rebond de l’été est déjà du domaine du passé. L’endettement public qui a déjà atteint des niveaux sans précédent va également être appelé à s’approfondir. Toute l’économie est menacée par une réaction en chaîne : faillites des entreprises, multiplication des licenciements, montée du chômage, dettes privées plus importantes, incapacité des remboursements aux banques…

Il n’est donc pas étonnant que l’atténuation de cette deuxième vague soit devenue la priorité absolue du gouvernement Trudeau. Stephen Guilbault, l’écologiste libéral de service, affirme que la lutte aux changements climatiques « n’est plus juste la priorité immédiate ». L’important pour le gouvernement c’est de venir en aide aux entreprises canadiennes pour qu’elles puissent survivre et être forte au moment de la relance. Il s’agit en ce moment de protéger les entreprises.

Les demandes des organisations patronales sont claires à cet égard. La Fédération canadienne des entreprises indépendantes (La Presse, 17 septembre 2020) affirme que ce n’est pas de mettre en œuvre des programmes coûteux (nous comprenons un véritable virage vert) mais de créer un environnement fiscal plus compétitif, soutenir les entreprises par des subventions et de promouvoir la croissance des travaux d’infrastructure qui est à l’ordre du jour.

a. La pandémie, la priorité absolue [1]

Dans le discours du Trône comme dans son adresse à la nation, Trudeau affirme que la pandémie du coronavirus présente le danger essentiel pour la société canadienne. « C’est la priorité absolue » et il appelle à la responsabilisation de la population pour aplanir cette deuxième vague et empêcher la détérioration de la situation sanitaire et économique.

Le discours du Trône tire un bilan positif de l’action gouvernementale : fourniture de protection individuelle, la Prestation Canadienne d’Urgence pour 9 millions de personnes, la subvention salaire aux entreprises, l’accélération du dépistage, la recherche pour amélioration des tests, l’utilisation des entreprises pour produire le matériel de protection...

Ce que ce discours reste dans l’ombre, c’est la responsabilité de la gestion néolibérale de la santé qui a conduit le gouvernement fédéral a diminuer les montants consacrés au secteur de la santé et aux transferts aux provinces à ce niveau. Le discours du Trône ne répond d’ailleurs pas aux demandes des provinces d’augmenter de manière récurrente, la contribution fédérale en santé. C’est cette gestion néolibérale, conséquence de la mondialisation capitaliste, qui a fait que les biens nécessaires à la sécurité de la population n’ont pas été produits localement et que la gestion à flux tendu a conduit à ne pas maintenir les stocks nécessaires de produits de dépistage, des masques, des gants, des blouses de protection. C’est ce qu’a bien illustré la course à ses produits en Chine en concurrence forcenée avec d’autres pays. Qu’on est couvert, alors cela par des propres sur l’utilité plus ou moins avérée des masques, ne faisait qu’ajouter l’insulte à l’injure. C’est cette gestion néolibérale, d’ailleurs appliquée par les administrations provinciales, qui a fragilisé le système de santé et de soins.

b. « La relance économique est maintenant bien engagée ».

L’évaluation des perspectives économiques est pour le moins douteuse. « Le gouvernement lancera une campagne visant à créer plus d’un million d’emplois, ce qui nous ramènera aux mêmes niveaux qu’auparavant ». La relance est bien engagée nous dit-on. Mais le gouvernement veut la soutenir par des investissements dans le secteur social et les infrastructures. Il maintiendra la subvention salariale d’urgence aux entreprises. Mais les « prestataires de la PCU devraient désormais passer au régime d’assurance-emploi ». Pour ceux qui n’auraient pas droit à l’assurance-emploi en temps normal, le gouvernement a créé temporairement la Prestation canadienne de la relance économique ». Le gouvernement prévoit même « d’établir le Plan d’action pour les femmes dans l’économie pour aider plus de femmes à retourner sur le marché du travail et veiller à gérer la pandémie et la reprise d’un point de vue féministe et intersectionnel. »

Les femmes, les jeunes, les autochtones, les personnes racisées, les personnes souffrant de handicaps, les personnes en situation d’itinérance, les personnes migrantes, il y en a pour tout le monde dans ce discours. Qu’on ait parlé du discours comme de la base d’une éventuelle plate-forme électorale qui sait en offrir à tous les secteurs de la population, c’est une vieille tactique éprouvée bien connue des spécialistes de la communication.

Mais, là n’est pas l’essentiel. Si la pandémie a approfondi et précipité la crise de l’économie capitaliste, cette dernière s’annonçait déjà bien avant la pandémie. Mais la pandémie va impacter la structure économique de telle manière que la reprise va être difficile. C’est ce que synthétise bien Michel Husson en identifiant les obstacles à une reprise rapide : « 1.Les entreprises, endettées et aux débouchés incertains, vont hésiter à investir et chercher à réduire les emplois et les salaires ; 2. Les ménages, appauvris ou inquiets, vont réduire leur consommation, privilégier une épargne de précaution ou reporter leurs achats de biens durables ; 3. Les États vont finir par chercher à « assainir » les finances publiques ; 4. Les chaînes de valeur sont désorganisées et le commerce international va ralentir ; 5.Les pays émergents, impactés par les sorties de capitaux et par la baisse des prix des matières premières, vont contribuer à la rétractation de l’économie mondiale. » [2]

Et cela sans oublier, la réalité de la crise écologique et du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources et de la volonté capitaliste de continuer dans une logique de croissance. L’espoir du retour au business usual repose sur une série de dénis d’une oligarchie d’abord préoccupée par la défense de ses intérêts les plus immédiats.

c.« Surpasser les objectifs climatiques du Canada pour 2030 », ou le capitalisme vert comme perspective

Un Canada carboneutre (zéro émission) pour 2050, c’est un incontournable. Plusieurs gouvernements occidentaux se sont déjà engagés à ce niveau. Plan de rénovation des maisons et des immeubles, mise en place de « solutions de transports en commun et de transport actif » ; « construction de véhicules et de batteries zéro émission », plantation massive d’arbres, développement du « domaine des technologies propres »… Le gouvernement veut créer les conditions pour faire du Canada « la destination la plus compétitive du monde pour les entreprises de technologies propres. »

Mais le Premier ministre Trudeau n’en est pas à une contradiction près. Il réussit à parler de virage vert sans jamais utiliser le mot pétrole dans l’ensemble du discours. Pas un mot sur la fin des subventions à l’industrie pétrolière et gazière. Pas un mot sur la construction de pipelines. Pas un mot sur le rejet sur la nécessité de placer le pétrole canadien sur le marché international que contenait le précédent discours du Trône.

La carte verte, pour définir une image progressiste, a été au cœur de la stratégie de communication du premier ministre. Qu’il cherche à lui donner un nouveau lustre n’est pas étonnant. Il reste que le gouvernement Trudeau va continuer à subventionner de secteur pétrolier et gazier à la hauteur de milliards de dollars. Par l’achat de Transmountain, le gouvernement libéral s’est mué en promoteur de pipelines et de l’expansion de la production de pétrole tiré des sables bitumineux. Le soutien direct à la hauteur 500 millions de dollars à la construction de gazoduc de Coastal Gazlink en une récente illustration. En prenant au frais du gouvernement le nettoyage de 3500 puits orphelins en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, il a socialisé des dépenses qui devraient relever des industries de ce secteur.

Le gouvernement a manifesté à différentes occasions une tendance à céder aux différents lobbies pétrolier et gazier en multitpliant les déréglementations qui vont à l’encontre de la protection de l’environnement. Et cela c’est sans oublier le maintien des cibles de réductions des émissions du gouvernement Harper, soit une réduction de 30% par rapport à 2005, ce qui va à l’encontre des cibles proposées par le GIEC. Pire encore, le gouvernement du Canada est en voie de rater ces cibles. Sa relance économique passera également vers l’économie numérique et l’implantation de la 5G partout au Canada sans qu’il ouvre le moindre débat à cet égard.

Et il promet maintenant dans ce discours de surpasser ses objectifs climatiques sans établir clairement les cibles de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Si l’image verte de premier ministre est pour le moins ternie par ses pratiques concrètes de son gouvernement, il n’en reste pas moins qu’il fait le pari qu’il doit continuer à jouer cette carte surtout face au Parti conservateur qui n’hésite pas à maintenir une position climato-négationniste. Électoralement, cela demeurera sans doute fort payant.

Le gouvernement Trudeau, comme tous les gouvernements de l’oligarchie, sait bien qu’il fait face à une triple crise sanitaire, économique et écologique. Mais, sa tâche est de masquer que cette triple crise trouve sa source dans le système capitaliste lui-même qu’il se donne comme tâche de défendre.

C’est pourquoi la lutte pour la transition écologique et économique ne passera pas à côté de la lutte de classe visant la mise en place de nouvelles formes de production, de nouveaux types de consommation, d’une réelle redistribution de la richesse et par la création de rapports de force qui heurteront les intérêts de la classe dominante. De telles perspectives nécessiteront pour s’imposer les mobilisations les plus larges, les formes d’action les plus déterminées afin de casser la volonté des décideurs de continuer à nous imposer leur économie capitaliste basée sur la croissance infinie et leurs politiques destructrices de l’environnement qu’ils cherchent à masquer sous des propos mensongers.


[1Les citations en italique sont tirées du Discours du Trône

[2Michel Husson, L’économie mondiale en plein chaos, 16 juin 2020.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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