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États-Unis

Donald Trump ou la foire permanente aux boucs émissaires

L’agenda raciste du président Donald Trump s’avère, tweet après tweet, arme de destruction démocratique massive, qui piège son monde. En agissant tel un climatiseur politique à même d’imposer un air conditionné contaminateur.

28 JUILLET 2019 | tiré de Mediapart.fr

Il faut procéder à un arrêt sur tweets trumpiens. Comprendre ce qu’implique le nouveau pas franchi, samedi 27 juillet, par le président Donald Trump dans l’art et la manière de clouer au pilori un adversaire politique, noir de préférence – en l’occurrence Elijah Cummings, élu démocrate du Maryland à la Chambre des représentants.

Celui-ci est accusé par le locataire hystérisant de la Maison Blanche d’avoir « brutalement » critiqué les agents de la police aux frontières à propos des conditions de détention des mineurs migrants, « alors qu’en fait son district de Baltimore est BIEN PIRE et plus dangereux ». « Aucun être humain ne voudrait y vivre », assène Donald J. Trump, ajoutant : « Le district de Cummings est un désordre dégoûtant, infesté de rats et autres rongeurs. S’il passait plus de temps à Baltimore, il pourrait peut-être aider à nettoyer cet endroit très dangereux et sale. »

Les mots blessent et tuent parfois. L’écriture peut être génocidaire, ouvertement ou de manière cryptée. Donald Trump a joué sur l’implicite raciste. Il a usé d’une vieille ficelle : la métaphore zoologique réduisant l’être exécré à une condition animale dégradante. C’est un classique – l’antisémitisme se repaît également d’un tel parallèle avec le rongeur nuisible par excellence dans l’inconscient collectif : le rat. Voilà pour l’émetteur.

Passons au récepteur : celui qui reçoit une telle flèche digitale extraite d’un carquois électronique sans limites. Sur CNN, l’animateur Victor Blackwell, né en 1981 à Baltimore, la ville la plus peuplée du Maryland visée par la haine présidentielle, en perd ses moyens, percé jusques au fond du cœur d’une attaque imprévue aussi bien que mortelle. C’est à 1,50 mn. Et l’on voit le résultat de l’offensive trumpienne, qui enferme dans la rage et le désespoir un pan entier de la population américaine, contraint de se taire ou de pleurer, séquestré symboliquement dans une… réserve, en raison de la couleur de sa peau. Victor Blackwell, ci-dessous, à 1,50 mn, nous oblige à nous extraire de notre position de spectateur, de voyeur coupable de non-assistance à personne en danger.

Sur CNN, Victor Blackwell est submergé par l’émotion, l’indignation, le dégoût face au racisme de Donald Trump (à 1,50 mn) © CNN

Mais Donald Trump n’a rien à faire des belles âmes qui sont pour lui des âmes mortes. Regardez le nombre d’assentiments et de partages dont ont bénéficié, sur la Toile, ses messages d’abomination, de persécution, de répulsion raciste. Il y a là, en notre ère numérique, un ascendant sur l’opinion et la foule – relayé par des meetings grandeur nature où la masse exerce sa puissance –, qui renvoie aux accointances passionnelles que les dictateurs entretiennent avec leur peuple traité en plèbe manipulable.

Donald Trump ne croit qu’en la loi du plus fort. Le plus fort économiquement d’abord, biologiquement ensuite. Son succès politique est fondé sur ce qu’une litote politique désigne comme « l’insécurité culturelle », qui peut se traduire en peur de voir disparaître la « supériorité de la race blanche » de la part d’une couche amère du peuple américain, paupérisée pour n’avoir pu prendre en première classe le train de la mondialisation.

À ces catégories maintenues sur le bord du chemin, lâchées par le parti démocrate qui lorgne davantage Wall Street que Flint (Michigan), Trump apporte une rédemption, une vengeance, une promesse de retour à un Âge d’or qui n’aurait jamais dû s’éclipser. Ainsi parlait Horthy aux Hongrois, Mussolini aux Italiens, Salazar aux Portugais, Metaxas aux Grecs, Hitler aux Allemands, Franco aux Espagnols, Doriot aux Français, Mosley aux Anglais, etc.

Ainsi Jean-Marie Le Pen recommença-t-il à parler. Nous pensions qu’il avait du retard : il était en avance. Ainsi parlent désormais Orbán aux Hongrois, Netanyahou aux Israéliens, Poutine aux Russes, Modi aux Indiens, Salvini aux Italiens, Bolsonaro aux Brésiliens, déjà Johnson aux Anglais, etc. Le tout comme tracté par Trump le Yankee, qui imprime la cadence raciste et donne le la suprémaciste et nativiste (make America white again...), dans une mise en tension de son pays qui se retrouve en guerre civile, d’abord symbolique et larvée, puis tangible et avérée...

Face à une telle offensive aux allures de croisade du Nord endiguant le Sud, les valeurs humanistes (respect, mesure, principes, honneur...) sont battues d’avance donc disqualifiées. L’heure n’est plus à l’intelligence des choses mais à la fantasmagorie complotiste, à l’exaspération, au rejet vindicatif : cap au pire ! Trump se sait porté par ce vent mauvais, qu’il attise en jouant sur tous les leviers institutionnels à sa disposition derrière l’écran Twitter.

Et son moteur politique, son pousse-au-jouir personnel, c’est l’attaque, la morsure, la calomnie, la provocation, le raid électronique (lorsqu’il se trouve hors de son monde virtuel, en face à face avec les belligérants qu’il se crée – Trudeau et Merkel plutôt qu’Erdogan, Poutine, ou ben Salmane –, le président américain se révèle d’une sobriété lâche et boudeuse...).

Il y a toujours chez lui un ennemi extérieur désigné, qui symbolise le Sud menaçant (de l’Iran au Venezuela), couplé à un ennemi intérieur flétri pour être perçu telle une cinquième colonne à refouler : en témoigne, à la mi-juillet, sa série de tweets pervers et vipérins visant quatre élues démocrates issues de minorités (Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib, Ayanna Pressley et Ilhan Omar), auxquelles il conseillait de « retourner »dans leur pays d’origine – les trois premières étant natives des États-Unis d’Amérique.

Le pari de Donald Trump – comme de tous ses épigones « illibéraux » (euphémisme pour néo-fascisants) sur la planète – consiste à jouer à la fois sur l’abattement des démocrates voyant leur échapper le monde échafaudé après 1945 et la mobilisation surchauffée des démagogues tout à leur ivresse de s’abandonner au sauveur suprême. Avec un noyau de 30 % de sectateurs indéfectibles, il est possible de conquérir et de conserver le pouvoir, face à une élite déboussolée de chers professeurs à la ramasse, d’avocats anéantis, de journalistes dénaturés, de droits-de-l’hommistes n’ayant plus que leurs yeux pour pleurer ; cette avant-garde devenue arrière-garde d’un peuple de gauche divisé, désespéré, éparpillé façon puzzle et donc tout juste bon pour l’abstention.

Les attaques racistes soudent la base trumpiste et consternent l’opposition. Or une guerre se gagne avec des troupes galvanisées plutôt que douchées. Élevés dans l’ordre émollient né de la Seconde Guerre mondiale, nous avons fini par oublier que les salauds politiques, ça ose tout pour gagner – c’est à cela qu’on les reconnaît. Ils sont ravis et confortés de ne trouver en face de leurs défis toujours plus vigoureux, de leurs provocations toujours plus énormes, de leurs injustices toujours plus éclatantes, que des chieurs mous (oui, c’est ainsi qu’ils nous voient !) uniquement capables de jérémiades à la Calimero : « C’est vraiment trop inzuste. »

C’est tout le drame démocratique en train de se jouer sous nos yeux : faut-il se laisser entraîner dans une rivalité mimétique pour combattre efficacement le néo-fascisme ploutocratique du XXIe siècle – avec son cortège de racisme et de sexisme ?

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