Édition du 30 avril 2024

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Canada

Dynamique de l’élection fédérale de 2019 dans une circonscription « accueillante » pour la gauche : Rimouski-Neigette — Témiscouata — Les Basques

2. Après l’élection

La circonscription fédérale de Rimouski-Neigette — Témiscouata — Les Basques est représentée depuis 2011 par Guy Caron du NPD. La circonscription québécoise de Rimouski est un fief péquiste animé par Harold Lebel, le plus à gauche des députés du PQ. Québec solidaire jugeait en 2018 que cette circonscription était prenable, considérant le score de 16 % d’appui réalisé en 2014, qui préfigurait la percée en région de QS en 2018. Quelle est la dynamique de l’élection fédérale de 2019 dans cette circonscription « accueillante » pour la gauche ? Deux analyses (une première avant l’élection et celle-ci, après) permettent de répondre à la question.

Jean Bernatchez

Les résultats de l’élection

Le candidat bloquiste Maxime Blanchette-Joncas a remporté la victoire de manière convaincante, récoltant 38,0 % des suffrages. Le député néodémocrate sortant Guy Caron a obtenu 28,5 % des voix pour se positionner en deuxième place, faisant mentir les sondages de fin de campagne qui le plaçaient troisième derrière la libérale Chantal Pilon, qui a finalement obtenu 22,0 % des voix. Se positionnent ensuite Nancy Brassard-Fortin du Parti conservateur (8,9 %) ; Jocelyn Rioux du Parti vert (1,7 %) ; Pierre Lacombe du Parti populaire (0,5 %) ; et Lysane Picker-Paquin du Parti Rhinocéros (0,4 %).

Les réactions des trois candidat.es en tête

Les candidat.es en tête de peloton ont accueilli les résultats avec humilité, du moins dans l’espace public. « Mon équipe a fait la différence » affirme le jeune député élu du Bloc québécois. Le journal local L’Avantage retient ceci de ses premiers commentaires : « Maxime Blanchette-Joncas se dit prêt à l’action dès maintenant. Il prévoit rencontrer rapidement les principaux acteurs économiques de la région en demeurant à l’écoute de leurs préoccupations. » Le jeune homme est connu et reconnu comme ex-directeur des affaires publiques de la Jeune Chambre de Rimouski. Il aurait été naturel et inclusif dans un discours de victoire d’affirmer vouloir rencontrer les citoyenn.nes plutôt que les seuls acteurs économiques. Ce premier commentaire « à chaud » traduit la posture qui l’a caractérisé lors de la campagne. Les mots sont les vecteurs des intentions.

Guy Caron croyait en ses chances de remporter l’élection, faisant fi des sondages et se référant plutôt à son propre pointage et à l’accueil chaleureux qui lui était réservé sur le territoire. « Maxime a fait une bonne campagne portée par son chef Yves-François Blanchet. Nous avons senti un ressac du Bloc mené largement par son chef. Ce n’est pas la décision qu’on attendait, mais il faut la respecter » (L’Avantage). Guy Caron ne souhaite pas quitter la politique : « il est encore trop tôt pour savoir ce que je ferai ou si je travaillerai pour le parti, mais je jouis d’une bonne réputation et d’une crédibilité au parlement » (L’Avantage).

La candidate libérale Chantal Pilon « félicite Maxime pour sa victoire ». « De mon côté, je vais continuer à travailler au développement de ma région, mais je ne sais pas encore de quelle façon » (L’Avantage). Elle se dit déçue du résultat, surtout pour son équipe.

La dynamique de l’élection

Guy Caron du NPD est le seul candidat qui avait une stratégie électorale réfléchie, structurée et mise en œuvre efficacement. Les enjeux régionaux qu’il a dégagés, notamment sur la question de la couverture cellulaire et des transferts familiaux de fermes et de petites entreprises, étaient originaux quant aux solutions proposées. Rapidement, les autres candidat.es se sont positionné.es sur ces enjeux, mais de manière plus convenue. Le député sortant est le seul à avoir mobilisé son électorat-cible conformément aux pratiques professionnelles de stratégie électorale. Il a paré de façon adroite les attaques de l’équipe de son adversaire libérale.

Chantal Pilon, une femme d’affaires appréciée, a porté la cause du Parti libéral avec détermination. Sans connaître en détail la stratégie de son équipe, force est d’admettre qu’elle s’est révélée inefficace. La candidate a été active dès l’avant-campagne, dans un contexte où les sondages prédisaient une victoire libérale sans équivoque. L’équipe libérale de la circonscription – la direction de campagne, mais aussi le noyau dur des ultra-partisans – a fait preuve d’arrogance. Le jeune directeur de campagne Gabriel Cyr, président de l’association libérale de circonscription et conseiller dans un cabinet fédéral à Ottawa, a notamment écrit à un ou à des détracteurs pour livrer ce message ambigu : « Bonsoir monsieur (…), Je suis le directeur de campagne de Chantal Pilon. J’aimerais beaucoup discuter avec vous de votre commentaire sur L’Avantage (site Web du journal local). Je suis convaincu qu’après réception de mes explications, vous prendrez en considération de retirer votre commentaire ».

En outre, des reproches ont été adressés au député néodémocrate sortant par des partisans libéraux sur le fait que sa famille n’habitait pas la circonscription (un reproche récurrent depuis huit ans, malgré que le député soit né et ait grandi à Rimouski). Suite à l’appui à Guy Caron donné par Suzanne Tremblay, députée du Bloc québécois de 1993 à 2004, un partisan libéral a soutenu dans l’espace public qu’une « belle-mère » n’avait pas à se mêler de cela. La candidate libérale a défendu l’argumentaire à l’effet qu’un député associé au parti au pouvoir obtient plus de ressources pour sa circonscription qu’un député de l’opposition. Cet argument peut cependant être interprété autrement : le Parti libéral est malhonnête au point de privilégier les circonscriptions qui votent « du bon bord » ! Cet argument éculé est faux (cela ne se vérifie pas empiriquement) et il contribue de plus à infantiliser la population. Le maire de Rimouski a utilisé cet argument pour inciter les citoyen.nes à voter pour le parti au pouvoir (dans son esprit, le Parti libéral). Il a d’abord demandé au député Guy Caron de se présenter plutôt pour le Parti libéral. Durant la campagne électorale, il a invité ses commettants à voter pour la candidate d’un parti susceptible d’exercer le pouvoir (dans son esprit, le Parti libéral).
La machine péquiste s’est finalement activée dans la circonscription fédérale pour soutenir le candidat du Bloc québécois. Maxime Blanchette-Joncas a pris de l’assurance graduellement, tout en « jouant fessier ». D’un point de vue strictement électoral, c’était la carte à jouer. L’humilité dont il a fait preuve lors de la campagne le servira pour la suite, s’il résiste à l’humaine tentation de se croire maintenant le « king de la place ».

Et pour la suite ?

Le député sortant du NPD Guy Caron est un homme de gauche qui a mené la joute politique de manière efficace et pragmatique, mais dans l’arène du consensus néolibéral. Rien dans son discours jusqu’à maintenant ne permet d’affirmer que le député élu du Bloc québécois, Maxime Blanchette-Joncas, soit un homme de gauche, bien au contraire.

Sur le plan de ses intérêts et du bien commun, la région était très bien servie grâce au travail conjoint et complémentaire des députés fédéral Guy Caron du NPD et provincial Harold Lebel du PQ. Bien qu’il ne l’avouera pas, le député péquiste risque de s’ennuyer de son complice néodémocrate lorsque viendra le temps d’agir efficacement dans quelque dossier particulier lié à la lutte à la pauvreté ou au développement régional.

Le Bloc québécois n’est pas non plus un parti de gauche : bon nombre des nouvelles personnes élues logent ailleurs (l’axe gauche-droite demeure pertinent pour apprécier le politique, malgré ce qu’affirment les personnes qui défendent l’idée de la venue d’une ère post-idéologique). Au-delà de ce qui se passera dans la circonscription de Rimouski-Neigette — Témiscouata — Les Basques, il sera intéressant d’observer le jeu parlementaire des alliances et des mésalliances, alors que le Bloc québécois risque de se retrouver souvent complice du Parti conservateur, nettement campé à droite.

Légende de la photo (tirée de la page FaceBook du député sortant Guy Caron) : la première personne à gauche qui tient la banderole : Chantal Pilon (PLQ) ; puis les quatre personnes sur la droite : Maxime Blanchette-Joncas (BQ), Guy Caron (NPD), Harold Lebel (PQ) et Lysane Picker-Paquin (Parti Rhinocéros) lors d’une activité du Regroupement contre l’appauvrissement Rimouski-Neigette.

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