Édition du 14 mai 2024

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Asie/Proche-Orient

Éliminer les causes du mécontentement plutôt que les mécontents

Les services secrets et l’armée américaine ont « éliminé » (euphémisme commode pour « assassiner ») le chef de l’État islamique (Daech) et son adjoint après un long travail de repérage avec les Kurdes. En fait, le calife autoproclamé Abou Bakr Al-Bagdadi, coincé dans son repère, a préféré se suicider avec une ceinture d’explosifs plutôt que d’être abattu. Ses enfants ont péri en sa compagnie, semble-t-il.

Le « calife » des États-Unis, Donald Trump s’est réjoui à grand bruit de ce « succès » dans la lutte antiterroriste. Il a soutenu triomphalement que Bagdadi était mort comme un lâche et qu’il avait vécu comme un chien, ou quelque chose d’approchant.

Beaucoup de personnes commentatrices occidentales se sont appesanties sur les crimes (très réels) du défunt responsable d’État islamique et de ses adjoints, comparant Bagdadi et ses pareils à des « monstres ». Certain-E-s de ces commentateur-trice-s ont toutefois souligné (à juste titre) que la disparition de M. Bagdadi, si elle affaiblissait État islamique, ne le supprimait cependant pas.

Cet épisode sinistre est révélateur des tensions qui marquent les rapports des États-Unis avec le monde arabe et de l’ambiguïté même de la notion de terrorisme.

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que le gouvernement américain fait disparaître des responsables islamiques clandestins : même le Démocrate Barack Obama avait assisté en direct à l’exécution d’Oussama ben Laden en 2011, le responsable des attaques du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New-York et la Maison Blanche.

On peut aussi évoquer les multiples meurtres extra-judiciaires de l’armée et des services secrets israéliens contre des résistant-e-s palestinien-ne-s, leur mouvement de libération nationale étant assimilé à du « terrorisme ».

La collaboration entre les États-Unis et certains pays arabes (comme l’Arabie saoudite) ne doit toutefois pas faire illusion : il importe de faire une distinction très nette entre les classes politiques arabes ou musulmanes, souvent corrompues et dictatoriales et pro-américaines d’une part, et d’autre part leurs peuples, dont une bonne partie s’oppose à la gestion américaine des affaires du Moyen-Orient et à leurs propres dirigeants inféodés à Washington.

Le question du conflit israélo-palestinien représente le point central du désaccord entre les opinions publiques arabes et les classes politiques occidentales dont le soutien à l’État hébreu constitue au contraire la pierre angulaire de leur orientation proche-orientale.

Les peuples arabes ne sont pas dupes du prétexte occidental d’appuyer « la seule démocratie du Moyen-Orient ».

Par ailleurs, dans les propos de M. Trump au sujet de l’assassinat de M. Bagdadi tout comme dans ceux de plusieurs commentateur-trice-s, on remarque beaucoup de lieux communs à l’endroit des résistants islamistes.

Par exemple, selon eux, M. Bagdadi serait mort en « lâche ». Il s’est fait sauter plutôt que d’être capturé ou tué par ses ennemis ;on se trouve en fait devant une tactique souvent utilisée par les islamistes comme par certains combattant-e-s palestinien-ne-s pour éviter d’être faits prisonnier-ère-s ou encore pour infliger le maximum de pertes à l’ennemi, faute d’un arsenal aussi sophistiqué que celui dont disposent les gouvernements occidentaux.

Agir ainsi exige au contraire beaucoup de courage et de détermination. Se sacrifier délibérément pour défendre sa cause relève de l’héroïsme. Combien de militaires occidentaux seraient prêts à en faire autant ? M. Trump lui-même accepterait-il d’imiter M. Bagdadi, le cas échéant ?

On peut par ailleurs risquer une hypothèse : la montée de l’islamisme au Moyen-Orient est à relier, du moins jusqu’à un certain point, à celle du néo-conservatisme de pays occidentaux hégémoniques (en particulier les États-Unis), néo-conservatisme lui-même le produit de leur relatif déclin.

La direction américaine (tous partis confondus) se déshonore en court-circuitant les mécanismes judiciaires normaux pour se livrer à des meurtres ciblés de gens considérés comme des ennemis politiques irréductibles.

Pour apaiser au moins une partie des tensions politico-militaires qui déchirent le Moyen-Orient, il y a mieux à faire que de jouer les États de cette région les uns contre les autres et d’utiliser la carte militaire et répressive contre des mouvements divers de contestation dont le dynamisme morbide tient avant tout à des causes locales et régionales. Il faut surtout reconnaître concrètement le droit à l’autodétermination des Palestiniens et Palestiniennes en faisant pression efficacement sur le gouvernement de Tel-Aviv afin qu’il cesse sa politique expansionniste en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le noeud du problème réside là.

Jean-François Delisle

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