Édition du 21 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Négociations du secteur public

Entente de principe intervenue entre la FMOQ et le MSSS afin d’accroître et d’améliorer l’accessibilité aux services médicaux de première ligne.

Lise Goulet, Conseillère CSQ en santé et services sociaux

Où s’arrêtera la réforme Barrette ? Après une réorganisation majeure du réseau public de santé imposée par la fusion des établissements, en avril dernier, des compressions budgétaires et des suppressions de postes sans précédent, voilà que le ministre annonce sa volonté de légaliser les frais facturés par les cliniques et de réviser le panier de services assurés. S’il voulait privatiser le système de santé, il ne s’y prendrait pas autrement...

« La réforme Barrette est une attaque en règle contre notre système public de santé.

Sous le couvert de la rigueur budgétaire et de l’efficience, le ministre abandonne nos principes d’universalité et d’équité en matière de santé. Nous ne laisserons pas le gouvernement détruire ainsi notre modèle de santé ! », préviennent Claire Montour et Claude de Montigny, respectivement à la présidence de la Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ) et de la Fédération des syndicats de la santé et des services sociaux (F4S-CSQ).

Des dossiers sous haute surveillance
Réorganisation du réseau de la santé

Depuis le 1er avril 2015, la réorganisation du réseau de la santé bat son plein. Fusions d’établissements, nominations des nouveaux conseils d’administration, dotations des nouveaux postes de direction, révision des responsabilités et des ratios d’encadrement, bref, comme le prévoit la loi, la nouvelle gouvernance se met en place très rapidement. Et pourquoi ?

« L’hiver dernier, le ministre Barrette affirmait que les services à la population ne seraient pas touchés par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et que tous les points de services seraient maintenus. Notre ministre est un beau parleur. Nous le savons, ce sont les mesures d’austérité de son gouvernement qui affectent les services à la population, un fait qui a aussi été clairement établi par la Protectrice du citoyen. Il ne faudrait pas prendre les gens pour des idiots », prévient Claire Montour.

Ainsi, bien que les ententes de gestion et d’imputabilité signées par les PDG des nouveaux établissements prévoient des mesures visant « à assurer le maintien de l’offre de service à la population de manière optimale durant la période de réorganisation du réseau [1] », plusieurs changements à venir suscitent déjà de vives inquiétudes.

La direction générale des services sociaux du ministère, par exemple, révise actuellement les offres de services de nombreux dossiers, notamment celui du soutien à l’autonomie des personnes âgées, des déficiences physique et intellectuelle, de la jeunesse de même que ceux de la santé mentale et des dépendances. « Tout semble être dans le collimateur », s’inquiète Claude de Montigny.

Ajoutons que, dès août 2014, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) recevait du gouvernement le mandat de revoir la pertinence de certains services offerts. Les quatorze chantiers de l’INESSS doivent élaborer les lignes directrices qui aideront les établissements à définir les soins et les services pertinents en santé physique et à répertorier ceux qui ne le seront plus. Les résultats ne seront connus que dans plusieurs mois.

Dans le cadre de son mandat d’évaluation de la performance du système de santé et de services sociaux, le Commissaire à la santé et au bien-être mène, quant à lui, des consultations publiques sur le panier de services assurés afin d’identifier les valeurs et les priorités qui pourraient guider les choix futurs en matière de santé.
Or, malgré ces travaux qui ont cours, et sans donner de lignes directrices, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a demandé aux établissements de revoir la pertinence des soins et des services en santé physique afin de réduire les dépenses de ce programme de 150 millions de dollars dès cette année. En fait, c’est plus de 450 millions de dollars de compressions additionnelles qui devront être réalisées d’ici le 1er avril 2016.

« Ces restrictions budgétaires se traduiront forcément par une réduction de l’offre de services et une détérioration des conditions d’exercice. Certains gestionnaires admettent que les départs à la retraite et les postes vacants leur permettront de revoir leur offre de services. Comment peut-on parler d’accès équitable et de saine gouvernance ? C’est inacceptable ! », fulmine Claire Montour.

Ripostons contre les frais illégaux ou abusifs

· Registre des frais facturés lors de consultations médicales (ccpsc.qc.ca/registre)
· Recours collectif concernant la surfacturation illégale par des médecins et des cliniques (surfacturation.ca)

Développement des groupes de médecine familiale et des supercliniques

Le projet de loi no 20 visant à favoriser l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée, déposé le 28 novembre 2014, constitue une autre composante majeure de la réforme Barrette. Si tous les acteurs du réseau admettent la nécessité d’améliorer l’accès aux services de première ligne, en favorisant la collaboration interdisciplinaire notamment, les débats houleux qui ont fait la une de l’actualité démontrent l’existence d’une multitude d’enjeux, de points de vue, voire d’intérêts.

La signature d’une entente de principe [2]2 entre le ministère et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le 25 mai 2015, aura permis à ces derniers d’éviter l’imposition des quotas de prise en charge de patients et les pénalités financières prévues au projet de loi. Les médecins s’engagent toutefois à atteindre certaines cibles d’ici le 31 décembre 2017 (inscription et suivi de 85 % de la population du Québec, taux d’assiduité de 80 % des médecins de famille envers leurs clientèles inscrites) au risque de se faire imposer la loi qui aura été d’ici là adoptée. L’entente prévoit l’usage d’indicateurs de performance, une meilleure couverture du territoire (services de proximité) et la création d’un environnement favorable [3]3, qui facilitera, semble-t-il, le travail interprofessionnel.

Les grandes lignes du nouveau cadre de gestion des groupes de médecine de famille (GMF), rendues publiques le 26 mai dernier, vont dans le même sens : ressources proportionnelles au nombre de patients inscrits (l’argent suivra le patient), heures d’ouverture étendues, respect d’un taux d’assiduité élevé, plus grande gamme de services encourageant le travail interprofessionnel.

Or, « améliorer l’accès aux soins de santé, c’est beaucoup plus qu’une question de quotas et d’assiduité des médecins. Que les médecins admettent la nécessité de réviser certaines modalités touchant le travail interprofessionnel est intéressant. Cependant, jusqu’où seront-ils prêts à aller ? », se questionne la présidente de la FSQ-CSQ.

Pour le Collège des médecins du Québec, « la collaboration, la communication, le partage d’information et la compréhension des rôles des différents intervenants doivent désormais guider les pratiques des équipes interprofessionnelles ». Mais au-delà de ces principes, qu’en sera-t-il du déploiement réel des ordonnances collectives et de l’exercice des actes délégués ?

La mise en place de nouveaux projets cliniques et organisationnels, découlant de la réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux, doit être l’occasion de revoir globalement les rôles et les responsabilités des divers professionnels qui constitueront les équipes de soins.

« À ce titre, nous continuerons de réclamer plus d’autonomie professionnelle et les conditions d’exercice qui permettront à nos membres d’assurer un meilleur accès à des services de qualité », insistent les deux syndicalistes.

Légalisation des frais accessoires

La facturation de frais accessoires abusifs – et souvent illégaux - par les cliniques n’est malheureusement pas un phénomène nouveau ni marginal. Chaque année au Québec, 100 millions de dollars seraient ainsi réclamés aux patients ; en date du 30 juin 2015, 113 médecins, optométristes et cliniques médicales étaient visés par un recours collectif. La multiplication de ces frais engendre de profondes injustices.
« Les difficultés d’accès à un médecin et à certains services médicaux placent les médecins en situation de pouvoir par rapport à des patients prêts à payer, à se priver ou à s’endetter pour un accès à des soins autrement difficiles à obtenir [4]4. » Tolérer cette situation a pour effet de « normaliser » le fait de devoir payer pour un soin médicalement requis et en principe couvert par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Sous prétexte de vouloir empêcher les abus, le ministre Barrette a annoncé, en juin dernier, son intention d’amender le projet de loi no 20 afin d’encadrer la facturation directe aux patients. Ce faisant, Gaétan Barrette légitimise cette pratique. Pire, les changements qu’il souhaite instaureraient un système à deux vitesses pourtant interdit par la Loi canadienne sur la santé.

D’ailleurs, Santé Canada est très clair sur cette question : les frais reliés à la prestation de services médicaux assurés sont interdits par la loi. En maintenant le cap vers la privatisation du financement des soins, le Québec pourrait perdre plusieurs millions en transferts fédéraux, ce qui n’est certainement pas dans l’intérêt de la population.

Contrairement à ce qu’affirme le ministre, l’opposition à la normalisation des frais facturés aux patients est sans précédent. En conférence de presse, le 14 septembre dernier, de nombreuses organisations citoyennes, communautaires, syndicales et médicales lui ont très clairement signifié que l’amendement proposé est complètement inacceptable.

Une riposte déjà à l’œuvre

Parce qu’elle s’inscrit dans un contexte d’austérité, de compressions budgétaires et, surtout, de réduction du rôle social de l’État, la CSQ et ses deux fédérations en santé et services sociaux sont convaincues que la réforme proposée n’améliorera pas l’accessibilité et la qualité des services offerts à la population québécoise, même si cela constitue l’objet de la nouvelle loi.

« Nous surveillons attentivement ce qui se passe sur le terrain, avertit Claire Montour. Les prétentions du ministre feront l’objet d’une évaluation très rigoureuse. Dès le début de l’été, les syndicats membres de la FSQ-CSQ ont acheminé aux directions générales des nouveaux centres intégrés une demande d’accès à l’information visant à établir, au 31 mars 2015, un portrait de la situation de l’accessibilité aux services sociaux et aux soins de santé. L’analyse des informations obtenues nous permettra d’évaluer dans le temps la situation et d’appuyer le moment venu nos actions et revendications. »

La CSQ, quant à elle, tente d’obtenir le nouveau cadre de gestion des groupes de médecine familiale (qui n’était toujours pas disponible au moment de mettre sous presse), les récentes ententes de gestion et d’imputabilité que les établissements publics auraient conclues avec le ministre, de même que les plans d’action qui devraient en découler.

Mieux comprendre les transformations à venir est primordial. Le gouvernement saura-t-il faire preuve de la transparence qu’il se targue de vouloir implanter ou cherchera-t-il encore à contrôler l’information ? Les faits nous le diront... et nous agirons.

Ripostons contre la réforme Barrette

La qualité et la sécurité des services et des soins vous préoccupent ? Vous êtes témoins de situations problématiques dans votre milieu de travail ? Vous ou l’un de vos proches vivez des problèmes d’accessibilité ? Aidez-nous à repérer les dérives et les problèmes qu’occasionne la nouvelle réforme. Communiquez avec votre syndicat.


[1QUÉBEC. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (2015). Au fil de la réorganisation, vol. 1, no 15 (avril), p. 1.

[2Entente de principe intervenue entre la FMOQ et le MSSS afin d’accroître et d’améliorer l’accessibilité aux services médicaux de première ligne.

[3Amélioration du soutien technique et administratif, accès à un dossier médical électronique, meilleur accès aux consultations spécialisées et aux plateaux techniques, révision des notions « lui-même » et « travail interprofessionnel », simplification des demandes administratives, adaptation des ententes, etc.

[4AREQ (2015). « La surfacturation médicale – Quand le médecin veut nous faire payer des soins couverts », Quoi de neuf, vol. 37, no 3 (printemps), p.19-26.

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