Édition du 14 mai 2024

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Afrique

Première partie de deux

Entretien avec un socialiste égyptien, Sameh Naguib

Les membres des Socialistes révolutionnaires en Egypte ont enduré pendant des années la répression de l’Etat policier alors qu’ils s’organisaient en faveur de la démocratie et des droits des travailleurs et travailleuses. C’est grâce à ces efforts courageux que les socialistes ont été capables de jouer un rôle significatif dans l’organisation des premières manifestations du 25 janvier qui ont galvanisé le soulèvement réussi contre le dictateur Hosni Moubarack. Leur rôle a continué à se développer à mesure que le mouvement devenait plus fort. Sameh Naguib est un membre dirigeant des Socialistes révolutionnaires. Il s’est entretenu avec Mostafa Omar* présent au Caire.

Mostafa Omar - Nous vivons une époque incroyable pour tous les révolutionnaires en Egypte. Vous attendiez-vous à tout ceci avant le 25 janvier  ?

Sameh Nagui - Nous comprenions évidemment sur le plan théorique que la situation politique était explosive depuis un certain nombre d’années et que l’éclatement d’une révolution était une possibilité. Mais nous n’avions aucune idée que cela se produirait le 25 janvier 2011. Le nombre massif de manifestants qui ont participé à la mobilisation ce jour-là et leur degré de militantisme, était sans précédent.

Nous avions l’habitude que les appels à des journées d’action massive ne réunissent que 100 ou 200 personnes, qui étaient d’ailleurs rapidement délogées par les « forces de sécurité ». Mais le 25 janvier, le nombre de manifestants a grossi au Caire, à Alexandrie et dans les autres villes, les unes après les autres, tout au long de la journée.

Les manifestants ont repoussé les attaques successives de la police. Ils jetaient des pierres contre les policiers. Les gens sortaient de leurs maisons pour nous rejoindre. Les femmes ululaient et nous jetaient des bonbons. A la fin de la journée du 25 janvier, nous avons compris qu’un mouvement révolutionnaire avait commencé.

Quel a été le rôle des Socialistes révolutionnaires et des autres forces de gauche dans la mobilisation pour la manifestation du 25 janvier ?

Notre mouvement a joué – avec le reste de la gauche et avec le Mouvement des Jeunes du 6 avril – un rôle clé dans cette mobilisation. Les Frères Musulmans n’ont pas soutenu l’appel à manifester ce jour-là, parce que, comme d’habitude, ils n’aiment pas soutenir des actions qu’ils ne contrôlent pas. C’est ainsi que la gauche a joué un rôle de premier plan.
Nous et les autres forces de gauche nous sommes rencontrés et avons développé une stratégie pour l’action le 25.

Par exemple, nous avons décidé de commencer la manifestation dans différents quartiers du Caire, pour ensuite marcher sur la place Tahrir. Cette tactique était destinée à éviter que les forces de sécurité ne puissent concentrer leurs forces dans un seul lieu afin de briser notre action avant même qu’elle ne commence, comme elles l’ont toujours fait par le passé, et cette tactique a été utile.

D’ailleurs, pour être honnêtes, les forces de sécurité n’étaient pas préparées à l’afflux massif des personnes qui sont arrivées. Nous avons été pris au dépourvu.

Les médias occidentaux et égyptiens répétaient sans cesse qu’il ne s’agissait que d’une révolte de la jeunesse organisée par Facebook et d’autres médias sociaux. Pouvez-vous nous donner une idée de la nature de classe de la révolution durant ces premiers jours ?

Des jeunes de différentes classes sociales, qui avaient leurs propres griefs contre le régime, ont effectivement joué un rôle de premier plan dans le déclenchement de cette révolution, mais le rôle de la classe travailleuse a été central depuis le premier jour.

Par exemple, la ville de Suez, une ville ouvrière avec une longue histoire de luttes antibritanniques et antisionistes, a été à l’avant-garde de la révolution. Des travailleurs de Suez sont sortis massivement des usines de la ville et sont descendus dans la rue, et ce sont eux qui ont sacrifié les premiers martyrs du premier jour. Sheik Hafez Salama, un dirigeant de la lutte contre le colonialisme britannique dans les années 1940, et plus tard de la guerre avec Israël, était dans la rue avec les révolutionnaires. Il est même venu nous rejoindre ici à la place Tahrir.

De même, les travailleurs du Caire, d’Alexandrie et de Mansoura ont joué un rôle clé dans tous les événements depuis le début. Mais, dans cette phase, les travailleurs n’ont pas pu participer à la lutte révolutionnaire en tant que force collective parce que les capitalistes se sont mis en grève et ont stoppé la production. Cela allait changer dans les jours avant la chute de Moubarak, le 11 février et tout de suite après.

Il y avait des millions de personnes qui participaient à la révolution à la place Tahrir, à Alexandrie et ailleurs en Egypte. Comment est-ce que vous, en tant que Socialistes révolutionnaires, dont le nombre est restreint, avez fonctionné ? Comment êtes-vous intervenus dans ce mouvement de masse ? Et quelles étaient vos priorités ?

Depuis le début, les Socialistes, les nassériens et les autres forces de gauche ont joué un rôle important dans la direction des protestations. Mais comme le nombre de ceux qui rejoignaient la révolution augmentait de manière exponentielle et a atteint plus d’un million de personnes dans des villes comme Le Caire ou Alexandrie, nous avons dû nous focaliser et définir des priorités.

Nous nous sommes prononcés en faveur de la poursuite du mouvement pour renverser le régime et nous avons rejeté toutes les demandes de négocier avec lui.

Nous avons mis les revendications de la classe travailleuse sur le devant de la scène et au centre de toutes nos publications et de notre « agitation ». Nous avons contacté tous nos contacts et alliés dans le mouvement des travailleurs, et nous avons appelé à des grèves et au renforcement de la révolution.

Nous avons appelé à la confiscation des biens des grandes entreprises qui avaient un lien avec le régime de Moubarak et nous avons revendiqué que ces biens soient nationalisés sous contrôle ouvrier.

Nous avons fait de l’agitation pour transformer la révolution d’une révolution politique, démocratique en une révolution sociale. Nous avons soutenu les revendications populaires pour un salaire minimum de 1200 livres [75 CHF], pour des syndicats indépendants, pour des emplois et des allocations de chômage pour les personnes sans emploi et pour d’autres revendications de classe.

Nous avons publié six déclarations pour articuler notre analyse et nos revendications. Nous en avons distribué des milliers et des milliers dans la place ; nous avons également utilisé notre site Web pour atteindre toutes les régions du pays.

* Militant de l’ISO aux Etat-Unis et d’origine égyptienne 27 février 2011

La suite de cette entrevue sera publiée dans l’édition du vendredi 4 mars 2011 de Presse-toi à gauche.

Sameh Naguib

Socialiste égyptien

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