Édition du 7 mai 2024

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Face à la réforme des retraites, l’union de la gauche n’est pas de tout repos

Lors d’un premier meeting à Paris sous l’égide de Reporterre et « Fakir », donc de François Ruffin, la gauche a posé un premier acte contre la réforme des retraites. En arrière-plan, l’urgence de l’union était omniprésente.

11 janvier 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Meeting des composantes de la gauche contre la reforme des retraites a l’initiative de Reporterre et « Fakir » à Paris, le 10 janvier 2023. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
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Un constat s’impose, ce 10 janvier, dans la salle Olympe-de-Gouges, à Paris (Xe arrondissement). Non seulement la gauche est à nouveau unie face à la réforme des retraites, annoncée dans la journée par la première ministre Élisabeth Borne, mais à la tribune, les appels à ne pas céder au narcissisme des partis politiques et de leurs petites différences font exploser l’applaudimètre. Les mille personnes réunies pour ce premier meeting en présence de figures de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) acclament ainsi le discours de Léa Filoche, porte-parole de Génération·s.

« Là, nous sommes unis, et j’en suis particulièrement fière, mais la suite arrive, nous ne pouvons pas seulement parler de la retraite, a-t-elle lancé. Nous ne pouvons pas nous résigner à être divisés sur un projet de société, nous ne pouvons pas nous résigner à être divisés aux élections, nous ne pouvons pas nous résigner à être divisés entre nous parce que nous avons des petites chapelles. Il faut que notre projet de société se fasse entendre bien au-delà de cette salle. »

Raviver la flamme

Derrière elle sur la scène, la gauche et les écologistes offrent toute une palette de réactions hétérogènes, à l’image des récentes divisions qui ont fait pâlir l’étoile de la Nupes. Le député insoumis de la Somme François Ruffin applaudit franchement. Mathilde Panot, la présidente du groupe parlementaire de La France insoumise (LFI), arbore un sourire sibyllin. Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste (PCF), discute en aparté avec Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, et Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). L’air de rien, ils savent tous que le mouvement social qui s’annonce et l’union parfaite des syndicats les mettent au défi – d’autant plus qu’en 2020, aidée par la pandémie, la contestation avait gagné.

L’organisation même de ce meeting est le fruit de cette conjoncture heurtée, où la logique du repli sur soi partisan risquait de prendre le dessus après la séquence enchantée des élections législatives. Ce n’est pas la Nupes qui en est à l’initiative (ça, ce sera le 17 janvier, au gymnase Japy), mais deux médias, Fakir et Reporterre, « sur une idée originale de François Ruffin », confie Hervé Kempf, rédacteur en chef du « quotidien de l’écologie ».

Le député-reporter, inquiet de l’absence de prévision d’un meeting commun – LFI s’est arcboutée sur un appel à défiler le 21 janvier avec les organisations de jeunesse, EELV, le PCF et le PS préférant attendre le la des syndicats, qui appellent à défiler le 19 – a donné un coup d’accélérateur avant Noël. « L’enjeu, c’est que la gauche se réunisse, et de renouveler le débat sur les retraites, en disant que c’est la question du temps libre et du sens du travail », explique Kempf, qui donnera le ton de la soirée un peu plus tard sur scène : « La Nupes avait suscité un énorme espoir en juin, il était temps de raviver la flamme ! »

Il est vrai qu’entre l’affaire Quatennens qui a tendu les relations à l’Assemblée nationale, la crise au sommet de LFI (un meeting qui rassemble les personnalités dissidentes à Bobigny le 16 février fait d’ailleurs débat), les annonces des écologistes de vouloir partir seuls aux européennes et les risques que le PS suspende sa participation à la Nupes en cas de défaite d’Olivier Faure au congrès de son parti, l’alliance bat de l’aile. Les retraites, nouvelle mère des batailles du monde du travail, pourraient lui offrir un nouveau ciment.

Elle pourra compter pour cela sur le sens de la formule de François Ruffin, auteur d’un petit essai sur les retraites en fin d’année (Le Temps d’apprendre à vivre) : « Ce n’était pas une première ministre qu’on a entendue ce soir, c’était une juge. On a pris deux ans », lance-t-il devant la nuée de micros qui se tendent vers lui en début du meeting, en référence au recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. 򅉁

Chasser la résignation

Dans son discours, l’ancien organisateur de Nuit debout insiste sur l’épreuve que le rallongement de la durée du travail va constituer pour les métiers les plus pénibles et les plus précaires : « C’est une question de pouvoir sur le corps social, et sur les corps des gens », dit-il, soulignant à quel point l’inflation sans indexation des salaires et la réforme des retraites pèseraient sur les métiers essentiels, soit « ces femmes et ces hommes que nos économies rémunèrent si mal » – un clin d’œil aux mots d’Emmanuel Macron le 13 avril 2020, au plus dur de la crise sanitaire.

« On ne peut pas parler des retraites sans se demander quelle est la nature du travail aujourd’hui, explique un peu plus tard François Ruffin, descendu de scène. En 1984, 12 % des salariés subissaient trois contraintes physiques, on est passé à 34 % aujourd’hui ! Le travail s’est intensifié, pour les corps et pour les esprits. »

Sur la scène, Fabien Roussel rappelait à ce titre l’engagement du programme partagé de la Nupes – « Notre engagement commun c’est la retraite à 60 ans pour toutes et tous » – même si les socialistes, notamment, tergiversent sur cette question –, en appelant à « faire péter les jauges » le 19 janvier dans la rue : « Soyons un million dans la rue, et après on parlera ! »

Meeting des composantes de la gauche contre la reforme des retraites a l’initiative de Reporterre et « Fakir » à Paris, le 10 janvier 2023. De gauche à droite : Boris Vallaud, Fabien Roussel, Marine Tondelier, François Ruffin, Léa Filoche, Mathilde Panot, Pauline Salingue. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

La gauche, elle, s’est en tout cas reparlé, le temps d’une soirée. Non seulement les dirigeant·es des partis de la Nupes ont répondu présent·es, mais dans la salle, on croisait aussi des visages connus de LFI, qui reflètent davantage que de simples affinités personnelles avec le réalisateur de Merci patron ! Ont répondu à l’appel celles et ceux qu’une partie de la direction du mouvement commence à appeler « les frondeurs » : Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido, l’eurodéputée Leïla Chaibi, mais aussi des élu·es proches des un·es et des autres – Damien Maudet, Christophe Bex, Marianne Maximi, Pascale Martin, Charlotte Leduc…

Après une série de prises de parole en forme de tour de chauffe avant la manifestation du 19 janvier et les suivantes – avec en prime le lancement d’une reprise militante d’I Will Survive (« Je survivrai ») –, François Ruffin se félicite de cette dynamique. Mais il reste prudent, connaissant trop bien « notre pire adversaire, la résignation » : « Ici, on est dans le cœur du réacteur. Il faut transformer la colère froide en colère chaude. Comme je le disais à l’oreille de Marine [Tondelier – ndlr] pendant le meeting, maintenant, il faut réchauffer Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) et Flixecourt (Somme). » La bataille ne fait que commencer.

Mathieu Dejean

Mathieu Dejean

Journaliste Les Inrocks (France).

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