Hebdo L’Anticapitaliste - 582 (16/09/2021)
Par Pauline Salingue
Après le discours de Macron en juillet, on a dit beaucoup de choses sur les soignantEs et le fait qu’ils et elles seraient réticents à se faire vacciner : qu’en est-il réellement ?
Dans le CHU de Toulouse où je travaille, au moment des annonces de Macron en juillet, on en était déjà à 76% de vaccinés. En réalité, la population soignante en général n’a jamais été en retard par rapport à la population globale, et était même en avance dans pas mal de secteurs. Aujourd’hui, et on ne saura jamais ce qui est lié au pass sanitaire et ce qui est lié à un parcours normal de vaccination, d’après les chiffres du ministère, on en est à 90% de vaccinés.
Par rapport à ce chiffre, il y a deux options possibles : dire que 10% de soignantEs non vaccinés c’est dangereux, et prôner leur suspension, voire leur renvoi ; ou alors se rendre compte que 10% ce n’est vraiment pas grand-chose, on peut même parler d’immunité collective, a fortiori avec un personnel soignant qui se protège en permanence, et que ce n’est sûrement pas ça qui met en danger l’hôpital. Car la manip est un peu grossière : 10% de soignants non vaccinés, en comparaison des dizaines de milliers de lits qui ont été fermés, des fermetures de services, du manque de personnel, des départs que les menaces de suspension ont causés, etc., ce n’est rien.
Comment comprendre qu’il subsiste néanmoins une réticence à la vaccination, même si comme tu l’expliques elle est très minoritaire ?
Il faut tout de même se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps on nous expliquait qu’il fallait travailler même si on était malade, même avec une pénurie de matériel de protection, etc. Et maintenant ce sont les mêmes qui affirment que si on vient travailler non vacciné on va tuer des gens… Sachant qu’en plus, parmi les collègues non vaccinés, la très grande majorité est prête à faire des tests très régulièrement pour venir travailler.
En fait, la défiance qui existe chez les soignants rejoint la défiance qui existe dans le reste de la population. On nous a expliqué tout et son contraire, on nous a menti, on nous a dit que c’était plus dangereux d’aller faire ses courses au supermarché que de travailler à l’hôpital, que les masques ne servaient à rien, puis que les masques étaient utiles et qu’on pouvait même les garder pendant huit heures alors qu’on nous a toujours expliqué l’inverse… Les mêmes qui nous donnent des leçons aujourd’hui sont ceux qui ont refusé de nous entendre lorsque l’on expliquait qu’il fallait des embauches pour éviter que les personnels circulent d’un service à l’autre pour faire des remplacements et créent des clusters : et c’est ce qui s’est passé, avec des gens travaillant dans les services covid qui devaient parfois aller faire des remplacements dans d’autres services.
On nous a tellement raconté n’importe quoi que les gens ne savent plus qui croire, alors quand ceux qui nous ont menti nous donnent des ordres, ça ne fonctionne pas, et chez certains ça crée même le résultat inverse…
Aujourd’hui on est le 15 septembre, jour de l’entrée en vigueur de l’obligation, ça donne quoi concrètement sur le terrain ?
Ce n’est pas évident d’avoir une vision d’ensemble, mais ce que l’on sait c’est que s’ils appliquent les suspensions, ça va être une catastrophe. On parle de 10% des personnels dans certains services, comme dans le médico-social : autant dire qu’ils ne pourront pas fonctionner, ou alors très au ralenti…
Les gens non vaccinés sont très minoritaires, et c’est une bonne chose, car le vaccin ça marche. Mais ils risquent de partir si les sanctions sont mises à exécution, et qui va avoir envie de faire ce boulot dans une telle ambiance et sous une telle pression ?
À l’heure actuelle, au CHU de Toulouse, il semble que celles et ceux qui sont suspendus sont celles et ceux qui ont déclaré, en amont, ne pas vouloir se faire vacciner, soit une centaine de personnes, sachant que parmi elles, vu l’angoisse que tout cela suscite, il y en a qui sont déjà en arrêt maladie. Mais ce que la direction de l’hôpital annonce, et ce sont les consignes nationales, c’est que la suspension devrait s’appliquer à toutes celles et tous ceux qui n’ont pas transmis leurs certificats vaccinaux. Mais à l’heure actuelle, ce que l’on peut dire, c’est que chez nous aucune personne qui n’a pas transmis son certificat et qui n’avait pas déclaré auparavant ne pas vouloir être vaccinée n’a été suspendue. Ce qui n’est pas très surprenant, car ils ne peuvent pas le faire : si tu suspends 10% des effectifs de l’hôpital, l’hôpital ne tourne plus. Et finalement c’est intéressant, car c’est un moyen de résistance, avec beaucoup de gens vaccinés parmi ceux qui ne transmettent pas leurs certificats, qui pourrait nous permettre d’obtenir qu’aucun collègue ne soit suspendu : pourquoi ceux qui ont fait une déclaration préalable et pas les autres ?
Propos recueillis par la rédaction
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