Édition du 14 mai 2024

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International

Grand changement au Japon

Le 30 août dernier des élections générales ont eu lieu au Japon. Sauf une courte période au début des années 90 le Parti libéral démocrate détenait le pouvoir depuis 1955. Il vient de le perdre aux mains du Parti démocrate japonais. Et par un score sans appel : 480 sièges contre 308 au PLD. [1] C’est l’équivalent d’une révolution. Pas seulement à cause du changement de la garde, mais surtout à cause des différences de programmes, d’intentions et de volonté. Le chef du PDJ, M. Hatoyama, a été installé dans la fonction de premier ministre le 16 courant. Le nouveau gouvernement est aux commandes. Mais les électeurs n’ont pas tant voté pour lui que contre le PLD. [2]

POURQUOI CETTE VICTOIRE ?

Voilà dix ans maintenant que le Japon est aux prises avec une crise économique sans précédents et sans égale ailleurs dans les pays développés. Comme la majeure partie de la production est dirigée vers l’exportation, le développement de la globalisation est venu mettre des bâtons dans les roues de ce qui avait fait la richesse du pays jusque là. La concurrence des pays émergents a compté pour beaucoup dans le processus mais aussi la baisse des importations américaines. Les grandes compagnies nationales comme Panasonic, Japan Airlines et même la si solide Toyota ont cessé de faire des profits l’an dernier, ont mis des travailleurs à pieds et supprimé des emplois. 15,000 pour la seule Panasonic cette année. Le chômage s’est installé durablement et a augmenté d’un million de personnes en un an à 3,6 millions soit 5,4% de la population active. [3] Quand on sait que depuis le début des années d’après-guerre les travailleurs étaient engagés à vie dans leur entreprise qui leur garantissait des pensions raisonnables en fin de vie active, on peut imaginer le malaise. La démographie est aussi un élément non négligeable dans la situation japonaise. Il s’agit d’une des populations les plus vieilles au monde. On y compte 40,000 centenaires pour une population de 127 millions d’habitants.

Non seulement la gestion du PLD au cours de cette crise n’a pas ramené la richesse antérieure mais les politiques de type néo-libérales introduites n’ont fait que creuser le niveau de vie des Japonais. Des coupures dans les retraites, dans l’ensemble du secteur public dont la santé et l’éducation et dans les allocations de chômage, de multiples privatisations dont celle de la poste et la « flexibilisation » des lois du travail, sans que cela ne corrige la situation, ont fini par dégoûter la population. Déjà en 2007, un analyste [4] signalait « ….le néo libéralisme de Koizumi et Abe [5] a conduit à l’acceptation d’un degré plus élevé de soumission et d’exploitation au sein de l’Empire américain. » La privatisation de la poste (qui fait office de banque) notamment, était ardemment désirée par les Américains qui présentent chaque année une liste de réformes désirées, destinées à leur ouvrir le marché nippon. [6]

Par ailleurs, sur le terrain, le militantisme communautaire et syndical se déployait pour « ramasser les pots cassés » et développer une alternative politique. Donc, pour la population de plus en plus dans une situation vulnérable, le PLD n’étant plus capable de maintenir le mode de vie qui a dominé depuis plus de quarante ans, il fallait lui retirer le pouvoir.

Il a fallu dix ans pour y arriver. Jusque là les Japonais n’avaient jamais eu de véritable alternative. [7]

LE PDJ ET SON PROGRAMME

Le PDJ est un parti hétéroclite formé en partie par des transfuges du PLD dont le nouveau premier ministre, M. Hatoyama, et une bonne quantité de jeunes qui ne voyaient pas de débouchés à l’intérieur de ce parti où le pouvoir et les fonctions sont détenus par des membres de familles politiques qui n’ont jamais fait autre chose que de la politique. S’y sont aussi greffés des « …débris de petites formations qui ne pouvaient survivre (autrement) .Certains viennent du Parti socialiste et d’autres de la droite libérale. » [8] Certains de ces groupes ont leur propre programme qu’ils défendent à l’intérieur du parti. Un tiers des nouveaux députés sont de nouveaux membres du PDJ [9] et en sont donc à leur première expérience politique.

Le programme du DPJ est ambitieux à tous égards et à l’opposé de celui du PLD. Il entend bousculer les règles politiques et administratives installées depuis les années cinquante. Il va dans le sens de revendications populaires fortes ce qui a fait dire à bien des observateurs qu’il s’agissait de démagogie ou de populisme.

L’économie

Sur le plan économique il vise à renforcer la demande intérieure en améliorant sensiblement les revenus de ménages. Il veut le faire par des baisses d’impôts, des améliorations aux allocations sociales et autres mesures de ce type. Il compte utiliser une partie des investissements publics visant les infrastructures pour financer ces mesures. [10] Il présente ce volet par une critique de ce qu’il appelle le « capitalisme fondamentaliste ». Et il s’appuie pour le faire sur un certain discrédit du modèle américain. [11] Il veut donc rompre, à long terme, au moins en partie, avec la politique économique basée sur l’exportation qui a montré ses limites. L’intention est de donner plus de latitude et un plus grand rôle aux consommateurs dans la croissance [12] . Avec une dette qui atteint les 180% du PIB [13] et une population de plus en plus appauvrie, il est clair que des changements s’imposent.

Les relations internationales

Le PDJ entend réviser en profondeur les relations internationales du Japon. Ici, c’est la prépondérance accordée aux Etats-Unis qui est fortement remise en question. La réalisation du programme économique tient aussi au développement de nouveaux rapports avec les autres nations de l’est asiatique dont la Chine et la Corée. Il faudra beaucoup d’habileté diplomatique et des gestes audacieux de la part de ce nouveau gouvernement pour y arriver. La gestion par le PLD du lourd passé laissé par l’occupation de ces pays et les exactions de l’armée nipponne au cours de la dernière guerre mondiale, à créé un large fossé qu’il faudra combler. Daniel Sneider [14] pense que ce parti est plus à même d’y arriver parce qu’il serait plus à l’aise avec ce passé agressif. L’amélioration des liens avec la Chine, que le PDJ refuse de voir comme menaçante, et la Corée du Sud pourrait mener à une certaine intégration dans cette région. [15] Mais notons toutefois, que la peur de l’envahissement économique japonais de cette zone existe aussi chez les dirigeants chinois et sud coréens.

En plus de rejeter le modèle économique des États-Unis, le PDJ entend aussi amorcer une nouvelle façon de gérer leur présence militaire sur le territoire, en renégociant les vieilles ententes qui la régissent. 50,000 soldats américains [16] campent dans le pays, principalement sur l’île d’Okinawa. Ce reste de l’occupation d’après-guerre est de plus en plus mal ressenti par la population et les comportements délictueux de cette armée n’y sont pas pour peu. [17] Certains demandent qu’elle parte, qu’on l’expédie sur l’île de Gwam qui appartient aux Etats-Unis. Jusqu’à maintenant, les diverses administrations américaines ont reçu ces indications sans autres promesses que d’améliorer la discipline des troupes. Le PDJ demande qu’ils aillent ailleurs : hors du Japon pour une part et ailleurs dans le pays pour en finir avec l’actuelle concentration à Okinawa.

La gestion interne

Au Japon, les fonctionnaires jouent un rôle de premier plan. Et le PDJ entend renverser leur pouvoir. Aux dires d’O. Guillard [18] il s’agit d’une véritable déclaration de guerre envers cette caste bien installée au pouvoir. Le nouveau premier ministre a déclaré lors de son installation que le principe de la transparence et du service à la population serait maintenant à l’ordre du jour et que la bureaucratie n’empêcherait plus l’introduction de changements législatifs. Pour procéder à cette transformation, que tous s’entendent à qualifier de majeure, le nouveau gouvernement a créé un organisme, le National Strategy Bureau. Il a nommé à sa tête le vice premier ministre réputé expert dans la diplomatie et les approches non conflictuelles [19].

Conclusion

Ces dernières semaines les sondages donnaient un appui de 61% au nouveau gouvernement. Les individus choisis pour les postes ministériels semblent inspirer confiance. Il s’agit des meilleurs éléments du parti avec le plus d’expérience en politique. L’ancien chef a été écarté pour raison d’affaires financières douteuses. [20] Une partie de la population qui désirait un changement reste perplexe et semble évaluer au coup par coup. Si le DPJ, qui aura à faire face à une élection législative l’an prochain, engage bien son programme et réussit à convaincre la population qu’il est sérieux dans ses promesses peut-être parlera-t-on un jour de révolution tranquille là aussi.


[1Courrier international, 3-09-09,

[2Asahi Shimbun, 3-09-09, dans le Courrier International.

[3Olivier Guillard, directeur de recherche à l’Iris, 18 sept. 2009,

[4Gavan McCormak, Japan in the American Embrace, Londres, Verso, 2007. Recensé dans le Monde diplomatique, juin 2008

[5Deux premiers ministres du PLD au début des années 2000

[6Monde diplomatique, op.cit.

[7Sheila Smith, Council on Foreing Relations, PBS, News Hour, 31-08-09

[8J.M. Bouissou, Les enjeux internationaux, France Culture, 22-7-09

[9Sheila Smith, op.cit

[10International Herald Tribune, 19-09-09

[11Daniel Sneider, prof. Un. Stanford, PBS, op.cit.

[12D. Sneider, op.cit.

[13J.M. Bouissou, op.cit. et même 200% selon d’autres sources ! Cela devrait faire réfléchir M. Charest !!!

[14Op.cit.

[15idem

[16PBS op.cit.

[17Notamment des viols dont ceux de très jeunes filles ces dernières années.

[18Iris France, op.cit.

[19O. Guillard, op.cit.

[20J.M. Bouissou, op.cit.

Mots-clés : International
Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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