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L’affaire Odebrecht au Pérou : suicide d’Alan García, quatrième président mis en cause

18 AVRIL 2019 | tiré de mediapart.fr

Mercredi, l’ancien président Alan García s’est tiré une balle dans la tête à l’arrivée des policiers venus l’interpeller dans l’affaire des pots-de-vin versés par le groupe de construction brésilien Odebrecht. Avant lui, trois ex-présidents ont été mis en cause : Pedro Pablo Kuczynski, hospitalisé mardi ; Ollanta Humala, qui a purgé neuf mois de détention provisoire ; et Alejandro Toledo, sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Il n’a fallu que quelques heures pour que le suspect redevienne un président. Quelques heures et une balle. Visé par un mandat d’arrêt et un ordre de placement en détention provisoire du parquet pour dix jours, l’ancien président péruvien Alan García s’est tiré une balle dans la tête, mercredi, vers six heures du matin (heure locale) peu après l’arrivée des policiers à son domicile. Il est décédé à l’hôpital à 10 heures.

En fin d’après-midi, la présidence du Conseil des ministres rendait public un décret promulguant trois jours de deuil national, des funérailles dues aux présidents en exercice, et des drapeaux en berne dans le pays. Leader de l’APRA (Alianza popular revolucionaria americana, membre de l’Internationale socialiste) pendant quarante ans, Alan García, 69 ans, a été par deux fois président de la République, entre 1985 et 1990 puis entre 2006 et 2011.

Déjà sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire pour 18 mois émise par le parquet en novembre dernier, en raison des versements opérés en sa faveur par le groupe de BTP brésilien Odebrecht, García s’était un temps réfugié à l’ambassade d’Uruguay, où il avait demandé l’asile politique, qui lui avait été refusé en décembre.

Mis en cause lors de son premier mandat pour des violations répétées des droits humains (l’exécution d’une centaine de détenus à la prison El Frontón en 1986 ou encore les assassinats opérés par un groupuscule armé attaché à l’APRA, le commando Rodrigo Franco), García avait bénéficié d’une prescription des faits prononcée en 2001 par la Cour suprême. Son deuxième mandat a été entaché par de nombreuses affaires, notamment celle des grâces présidentielles accordées aux narcotrafiquants moyennant finances (« narcoindultos ») et gérées par l’un de ses collaborateurs, ou encore la répression des populations amazoniennes de Bágua en 2009.

Mais c’est au Brésil, dans l’affaire Odebrecht courant 2017, que des noms de hauts responsables péruviens sont mentionnés par les anciens dirigeants qui détaillent leurs opérations en Amérique latine et leurs versements offshore. Au Pérou, le géant brésilien a obtenu l’attribution de vingt-quatre projets (quinze grands travaux et neuf concessions), pour un total de 9,2 milliards d’euros.

Quatre anciens présidents sont soupçonnés d’avoir été gratifiés par la compagnie brésilienne : Alejandro Toledo (2001-2006), sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré en février 2017 ; Alan García (2006-2011) ; Ollanta Humala (2011-2016), incarcéré en juillet 2017 avec sa femme, et qui a purgé neuf mois de détention provisoire ; et enfin Pedro Pablo Kuczynski, élu en 2016 et démissionnaire en 2018, à la suite de la crise politique provoquée par sa mise en cause dans l’affaire.

Sous le coup d’un ordre de placement en détention provisoire délivré par le parquet, Kuczynski, 80 ans, a été hospitalisé mardi soir pour une pression artérielle trop élevée, alors qu’il s’apprêtait à contester en appel cette mesure. Autre figure de la vie politique locale, Keiko Fujimori – la fille d’Alberto Fujimori, lui aussi ancien président et lui aussi incarcéré mais pour d’autres faits de corruption et crimes contre l’humanité –, candidate en 2011 et 2016, a elle aussi fait l’objet d’un placement en détention provisoire de 36 mois, en octobre dernier, dans l’affaire.

La somme promise à Alejandro Toledo est évaluée à 35 millions de dollars, dont 20 millions ont effectivement été retracés sur le compte de l’un de ses proches, gestionnaire des fonds. Entre 2004 et 2007, Odebrecht a versé près de 5 millions de dollars à des sociétés appartenant à Pedro Pablo Kuczynski, lorsqu’il était ministre de Toledo. Ollanta Humala a, quant à lui, obtenu une contribution d’Odebrecht à sa campagne présidentielle de 2011, à hauteur de 3 millions de dollars, pour partie remise en espèces à son épouse, Nadine Heredia. À l’occasion de la même campagne électorale, Keiko Fujimori est mise en cause pour un apport d’un million de dollars d’Odebrecht. Des fonds extraits de la caisse noire du groupe brésilien.

Concernant Alan García, c’est dans l’agenda 2010 de l’ancien PDG Marcelo Odebrecht qu’apparaissent les premier indices, dans une note sibylline concernant le projet d’Olmos visant à l’irrigation du côté pacifique de la cordillère par un fleuve amazonien : « AG [les initiales du président – ndlr] sur Olmos. Gérer les délais ; rencontre personnelle. Disponibilité maximum : 1 million. »

Selon le mandat des policiers qui ont fait irruption au domicile de l’ancien président, mercredi, Alan García se voyait reprocher de s’être concerté avec les dirigeants d’Odebrecht pour l’attribution de deux grands projets, celui de la ligne 1 du métro aérien de Lima, en 2009, et celui de la poursuite de la construction de l’autoroute interocéanique, un tracé de 2 400 km faisant partie de l’Initiative d’intégration régionale sud-américaine (IIRSA), et débuté sous le mandat de Toledo – comme l’opération Olmos.

Estimé à 800 millions de dollars en 2005, le coût de l’autoroute interocéanique attribuée à un pool d’entreprises – qui se sont réparties quatre tranches de travaux – est passé à 1,3 milliard en 2008, puis à 2 milliards en 2015, soit un surcoût d’1,2 milliard, moyennant des contrats rectificatifs signés pour la plupart par l’équipe García. Au retour de l’inauguration d’un tronçon de l’autoroute, en 2009, García avait lors d’une réunion exceptionnelle décidé d’émettre en urgence des décrets visant à charger le ministère des transports du marché du métro. Le coût de la ligne 1 du métro de Lima a aussi été surévalué de 100 millions de dollars.

Alan García avait ainsi « modifié le cadre légal pour débuter l’exécution des projets d’infrastructure » et mettre en œuvre « une procédure spéciale de gestion de ces projets », ont souligné les juges.

L’enquête a permis d’identifier les flux partis de la caisse noire du groupe Odebrecht vers l’entourage de García. Les fonds étaient versés sur le compte d’une société panaméenne, Ammarin Investment Inc., à la Banque privée d’Andorre (BPA), plaque tournante de la corruption d’Odebrecht.

Selon les explications du groupe à la justice péruvienne – en vertu d’un accord de coopération signé en février –, les fonds étaient destinés à Luis Nava Guibert, secrétaire général de la présidence, sous le couvert d’opérations gérées par Miguel Atala, ancien PDG de Petroperú. Les deux hommes ont été eux aussi visés, mercredi, par les mandats délivrés par le parquet, de même qu’Enrique Cornejo, ancien ministre du logement, puis des transports, sous la deuxième présidence de García.

Selon les juges, le responsable d’Odebrecht pour le Pérou, Jorge Barata, a été reçu seize fois à la présidence de la République, et à douze reprises par Alan García lui-même. Le secrétaire général de la présidence a été identifié sous le nom de code de « Chalán » dans les documents d’Odebrecht. Luis Nava Guibert aurait ainsi reçu 4 millions de dollars du groupe Odebrecht : 1 394 200 et 2 660 000, selon des extraits de comptabilité occulte révélés par le site d’investigation ILD – Reporteros. L’un de ces versements est fléché « INTEROCEANICA VIAL SUR », l’interocéanique…

Mais l’enquête a aussi corroboré l’existence d’une contribution d’Odebrecht à la campagne présidentielle d’Alan García en 2006, via un haut responsable de l’APRA, l’ancien ministre Luis Alva Castro, qui avait sollicité 200 000 dollars à Jorge Barata.

Une nouvelle audition de Jorge Barata est prévue le 23 avril par les juges, qui doivent se déplacer au Brésil, en présence des avocats des mis en cause.

Lors d’une dernière déclaration publique, Alan García a néanmoins soutenu, mardi, qu’il n’était « mentionné par personne ». « J’espère que les personnes mentionnées répondront, et que le 23, M. Barata en finira avec ce téléfilm face aux procureurs, a-t-il déclaré. Je vis avec une interdiction de sortie du territoire qui est déjà une sanction. » « Je suis l’homme sur lequel on a fait le plus d’enquêtes depuis trente ans », a-t-il soutenu.

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