Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

L’après Lac-Mégantic : des remises en question fondamentales s’imposent

Plus d’un mois après la catastrophe de Lac-Mégantic nous nous retrouvons plongés dans un débat aux multiples facettes touchant notamment la sécurité du transport ferroviaire, particulièrement celui des matières dangereuses comme le pétrole. Mais les réflexions et débats concernent plus largement les questions énergétiques, celles relatives aux responsabilités de l’État et ultimement les réalités auxquelles nous confronte un système économique basé sur la croissance économique infinie et accélérée, avec l’accumulation de profits à n’importe quelles conditions.

Indépendamment des conclusions auxquelles en arriveront les diverses enquêtes en cours au sujet de la tragique catastrophe de Lac-Mégantic, il est essentiel d’avoir à l’esprit les choix idéologiques et politiques des gouvernements canadiens et québécois des dernières décennies. Chaque jour nous apporte des indices montrant que les politiques de déréglementation, de privatisation et de laisser-aller adoptées par les gouvernements au cours des dernières décennies ont des conséquences sur la qualité et la sécurité du transport ferroviaire et dans bien d’autres secteurs d’activités.

La gravité du drame vécu à Lac-Mégantic exige de remettre en question un certain nombre de dogmes qui se sont imposés à partir des années 1970, dans la foulée de la mise en place des politiques ultra conservatrices, à la suite de l’élection de Margaret Thatcher, en Grande-Bretagne, et de Ronald Reagan, aux Etats-Unis d’Amérique. Le Canada et le Québec ont suivi quelques années plus tard dans la voie du néolibéralisme.

L’expérience que nous fait subir la Montreal, Maine and Atlantic Railway (MMA) montre une entreprise privée inspirée par des modes de gestion qui mettent l’accent sur la réduction des coûts et du personnel au détriment de la qualité et de la sécurité. Il s’agit d’une entreprise qui, de toute évidence, ne voit dans les règles et les normes que des objets à contourner pour assurer une meilleure rentabilité à la compagnie. Or, elle n’est pas la seule entreprise qui adopte une telle attitude. Cela ne devrait pas nous surprendre alors que l’État lui-même a mené la charge contre les services publics, les règlementations ou les contrôles depuis plus de trente ans.

Remettre en question la confiance aveugle au privé

Le cas de Lac-Mégantic est flagrant, mais il convient de rappeler quelques événements et situations qui ont suscité des constats plutôt clairs quant aux conséquences du recours au privé dans des domaines où les services publics sont indispensables pour assurer le respect des intérêts et de la sécurité de la population.

Le détachement de pièces de béton de viaducs à Laval en 2000 et l’effondrement du viaduc de La Concorde, toujours à Laval, en 2006. À la suite des enquêtes, la faiblesse des contrôles et inspections du ministère des Transports, lesquels sont aussi confiés à des entreprises privées, a été mise en cause. L’abandon de la surveillance des travaux routiers par Transports Québec, dans les années 1990, pour les confier au privé a fait en sorte que le ministère a fragilisé sa capacité à s’assurer du respect des normes dans les travaux d’entretien et de construction. Dans les années 1990, il en est même venu à être incapable de s’assurer de la qualité et de la quantité des matériaux utilisés par les entrepreneurs.

Le ministère des Transports n’est pas le seul à avoir subi les choix politiques des gouvernements. C’est le cas de l’ensemble des services publics tant au fédéral qu’au provincial. Des services comme l’inspection des aliments, la sauvegarde maritime sur le Saint-Laurent, la curatelle publique qui prend en charge les personnes les plus fragiles dans notre société, la sécurité publique dont nous avons besoin à l’occasion des catastrophes. La liste est longue et finit par être choquante tant les décisions prises ont fait passer l’intérêt collectif au second plan.

Remettre en question les choix environnementaux risqués des gouvernements

Malgré les beaux discours force est de constater que les politiques adoptées par les gouvernements canadien et québécois en matière environnementale sont loin de répondre aux réalités actuelles. Il semble bien que nous ne devions pas prendre au sérieux les avertissements réguliers que nous servent plusieurs organismes internationaux comme le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement), le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou états-uniens comme l’AMS (American meteorological society) en ce qui concerne les changements climatiques. Or, il ne fait plus de doute que les activités humaines en sont, pour une bonne partie, responsables. Et parmi ces activités celles reliées à l’utilisation des énergies fossiles comme le pétrole ou le gaz occupent une place considérable.

Si le terrible événement qui a frappé Lac-Mégantic au début de juillet appelle des mesures urgentes pour soutenir la population éprouvée, nettoyer et décontaminer les lieux ainsi que les cours d’eau touchés et assurer une sécurité indéfectible du réseau ferroviaire, il est vital de porter notre regard sur notre avenir collectif en matière de protection de l’environnement et de viser à éliminer le plus tôt possible les sources du changement climatique dont nous sommes responsables.

Or, à voir aller les gouvernements Harper et Marois force est de constater qu’ils n’ont aucune volonté politique de changer de cap. On nous invite à faire confiance aux mesures qui seront prises tout en nous incitant à accepter des projets qui renforcent les réseaux de circulation du pétrole : projet d’oléoduc de Trans-Canada, volonté de Pauline Marois d’aller de l’avant avec les projets d’exploitation du pétrole à Anticosti et en Gaspésie. Il faut noter que ces projets ne changeront rien au transport de pétrole et autres matières dangereuses par train puisque dans le cas de l’oléoduc il a pour fonction d’amener le pétrole albertain au Nouveau-Brunswick pour l’exportation. Dans le cas du Québec, malgré la tenue d’une consultation sur les enjeux énergétiques du 4 septembre au 9 octobre prochains, les choix sont déjà annoncés : c’est oui au pétrole québécois.

C’est dans une tout autre direction qu’il faut aller. D’ailleurs, les alternatives sont nombreuses. Nous devons cesser de nous fermer les yeux et de continuer à foncer vers les catastrophes au nom d’une croissance qui sert d’abord et surtout les intérêts privés d’une minorité. Nous devons questionner le type de production et de consommation auxquelles nous soumettent les détenteurs du pouvoir économique et financier. Cela nous conduit irrémédiablement, à des intervalles irréguliers, mais de plus en plus rapprochés, à payer un prix social, écologique et humain inacceptable.

Il est donc urgent d’élaborer un plan de réduction et d’abandon de l’utilisation du pétrole et du gaz afin d’éliminer à la source les risques directs que ces matières dangereuses font courir à nos concitoyennes et concitoyens. Le gouvernement québécois, s’il veut s’affirmer véritablement comme gouvernement souverainiste, a la responsabilité d’appeler la population à se pencher sur un tel plan au lieu de nous inviter à nous prosterner devant les possibilités de produire encore plus de pétrole et à permettre de faire transiter sur notre territoire le pétrole le plus sale qui soit, celui des sables bitumineux de l’Alberta. Il est grand temps de dire non à ce type de développement. Ce plan de réduction du recours aux énergies fossiles devrait être accompagné d’un plan de transition comportant une stratégie de développement des alternatives que nous connaissons pour remplacer le pétrole : économies d’énergie, éolien, géothermie, biomasse, solaire. Si nous avons des surplus d’électricité, qu’attendons-nous pour faire preuve d’avant-gardisme et utiliser ceux-ci pour nous affranchir de ce qui nous empoisonne de plus en plus, jour après jour.

Restaurer la capacité des services publics à assumer pleinement leurs rôles

Qu’il s’agisse de la protection de l’environnement ou de la sécurité de la population face aux activités industrielles de toutes sortes, il importe de mettre de côté les dogmes que l’on nous sermonne depuis plus de trente ans. Les gouvernements et les services publics doivent cesser de copier la culture entrepreneuriale des compagnies privées dont les intérêts sont souvent fort éloignés de ceux de la population.

Cette perspective suppose une approche différente en matière de gestion des finances publiques. La lutte aux déficits et à la dette publique est insoutenable si elle signifie une réduction sans fin de la capacité d’intervention des services publics et de la fonction publique à cause de coupes incessantes dans ses budgets et son personnel. Il importe donc de prendre des décisions budgétaires et fiscales permettant d’augmenter l’efficacité des services publics que ce soit dans le domaine de la sécurité publique, du transport ferroviaire, de l’inspection des aliments, de la protection de l’environnement ou de la surveillance des chantiers de construction pour n’en citer que quelques uns.

Plusieurs demanderont comment nous pouvons financer tout cela. La question est certainement pertinente. La réponse réside dans l’adoption d’orientations politiques qui placent au premier rang le bien-être de toute la population. La réponse se trouve également dans l’arrêt immédiat des réductions d’impôts favorisant les plus riches pour, au contraire, imposer convenablement ceux-ci. Il faut aussi abandonner l’augmentation des tarifs, comme ceux d’Hydro-Québec, qui ne sont nullement un moyen efficace pour relancer le financement des services publics. Mais, plus globalement, il faut mettre de côté l’idéologie néolibérale et ses recettes empoisonnées pour faire place à un projet de société fondé sur un véritable partage des ressources et des richesses ainsi que sur une authentique solidarité qu’anime les collectivités lorsqu’elles sont éprouvées comme l’a été Lac-Mégantic.


* Serge Roy a été président du Syndicat de la fonction publique du Québec de 1996 à 2001, il est l’auteur de Fonction publique menacée – Le néolibéralisme à l’assaut des services publics, 1981-2011, M éditeur, 2012.

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