Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

L’émergence d’une nouvelle génération : la révolte de Hong Kong vue par un témoin oculaire

L’émergence d’une nouvelle génération : la révolte de Hong Kong vue par un témoin oculaire.

Première étape : juin - Cette première étape a eu lieu en juin, lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue. Le Conseil législatif a été assiégé, et des actes violents se sont produits. Une radicalisation s’est produite, et les mobilisations sont devenues un mouvement de masse.

Puis l’administration Carrie Lam a fait des concessions en annonçant la suspension temporaire du projet de loi sur l’extradition. Mais le mécontentement a persisté. L’administration Lam n’a désormais plus aucune légitimité.

Il convient de mentionner le mouvement syndical : HKCTU, la plus démocratique des deux confédérations existantes, a appelé à la grève le 17 juin. Cet appel n’a pas été couronné de succès.

- Deuxième étape : juillet

Cette étape a été caractérisée par des manifestations et l’assaut du Conseil législatif : les jeunes radicaux ont pénétré de force dans le bâtiment de cette assemblée.

Il s’agissait d’une action extrêmement radicale. Si la même chose avait lieu en Australie, il y aurait beaucoup de victimes. Mais cette action n’en a fait aucune.

La raison en est que la police était partie de ce bâtiment, dans le but probable d’inciter les radicaux à entrer par effraction et qu’il en résulte une confrontation.

Quoi qu’il en soit, cette action a fait parvenir le mouvement à un niveau supérieur.

Mais ce qui a suivi était horrible : dans la région de Yuen Long [tout près de la frontière avec la Chine], la police a collaboré avec la mafia qui a perpétré des agressions indiscriminées à la gare, dans le but de terroriser les habitant.es et les manifestant.es.

Cette attaque a exaspéré la population, et même les plus modéré.es des libéraux se sont mis en colère. Le mouvement s’est encore davantage radicalisé.

Des manifestations ont également eu lieu dans 16 ou 17 districts différents. Suite à cette attaque de la mafia, le mouvement s’est élargi à de nombreux quartiers, ce qui ne s’était jamais produit auparavant à Hong Kong. Des centaines de milliers de personnes ont participé aux mobilisations.

La manifestation du 27 juillet a été encore plus significative. Jusque-là, les manifestations étaient légales. Mais, pour la première fois, la police a refusé d’autoriser celle-ci.

Les habitant.es de Hong Kong sont très modéré.es - ou l’ont été pendant de nombreuses années. En temps ordinaire, ils/elles auraient accepté cette interdiction. Au lieu de cela, des centaines de milliers de personnes se sont rebellées et sont descendues dans la rue.

C’était la première fois qu’un tel niveau de désobéissance civile avait lieu. Cela a jeté les bases pour l’étape suivante.

- Troisième étape : août

Le mois d’août a constitué la troisième étape, dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Il est important de noter que le 5 août, un deuxième appel à la grève a été lancé. Cette fois, il a été une réussite.

Un secteur de l’économie de Hong Kong a marqué ce mouvement de grève : celui des employé.es de l’aéroport et du transport aérien. Suite à celui-ci, le Parti communiste chinois a demandé à disposer de la liste des employé.es de Cathay Pacific ayant fait la grève. Mais le syndicat refuse la divulgation de cette liste. On estime que pour l’ensemble de Hong Kong, 300 000 ou 400 000 personnes ont participé à la grève.

Par la suite en août, des manifestations réussies ont eu lieu tous les deux ou trois jours. Il y a eu plus de défilés qu’en juillet. Les mobilisations se poursuivent donc. Le 12 août, les occupations de l’aéroport se sont multipliées.

Cela a déclenché une réaction très virulente du Parti communiste chinois. Il a envoyé environ 10 000 membres de la police militarisée à la frontière.
Il ne s’agissait en fait que d’une mise en scène : un énorme régiment chinois de 8 000 soldats est stationné à Hong Kong. Il est basé juste à côté du siège du gouvernement de Hong Kong. Si Pékin veut écraser le mouvement, il utilisera les forces dont il dispose déjà sur place.

Les composantes du mouvement

En ce qui concerne la composition du mouvement, il convient de noter que les partis politiques n’ont joué aucun rôle prépondérant. Ils ne jouent qu’un rôle logistique, en fournissant une expertise juridique et en assurant la cohérence d’un front civique unitaire.

1) Le Civil Human Rights Front

Il regroupe des syndicats, des ONG, et des partis politiques. Il a joué le rôle de structure référente des manifestations au cours des deux derniers mois. Sans lui, les jeunes radicaux/cales se seraient retrouvé.es très isolé.es.
Il ne s’agit pas de sous-estimer le rôle du Front, mais il n’a joué aucun rôle politique dirigeant. Il a toujours attendu que la jeunesse radicale impulse le passage à un niveau supérieur.

2) La jeunesse, et en particulier la jeunesse radicale

Environ 10 000 jeunes, principalement des étudiant.es, sont prêt.es à affronter la police. Il est difficile d’établir des chiffres exacts, mais des milliers de personnes sont prêtes à recourir à la force.

Et des milliers d’autres jeunes ne sont pas prêt.es à participer au Front, mais sont prêt.es à soutenir les radicaux.

Cela rend le mouvement dynamique. Les jeunes qui apportent leur soutien fournissent les visières, les casques, l’eau et ainsi de suite.

Leurs orientations politiques sont variées, et il est rare qu’ils adhèrent à des organisations politiques. Ils sont jeunes, en âge d’être scolarisé.es dans le secondaire ou le supérieur. Ils croient sincèrement en la démocratie mais ont une compréhension rudimentaire de la politique.

 Ils peuvent être xénophobes à l’égard des Chinois du continent, mais cela ne s’est pas cristallisé pour l’instant dans un programme ou une perspective politique.

 En même temps, beaucoup de jeunes pensent qu’il est important de gagner à leur cause les Chinois.es du continent, et de les convaincre des cinq revendications.

Des positions contradictoires sont donc en présence.

3) Les « localistes » xénophobes

Ils ont vu le jour avant le « Mouvement des parapluies » de 2014. Ce courant est affaibli depuis 2016. Les médias occidentaux adorent ces gens, mais leurs organisations sont petites, et regroupent moins de deux ou trois mille personnes.

Leur politique reste dangereuse parce que la société hongkongaise a toujours été orientée à droite, et que les gens peuvent accepter l’idée que les habitant.es du continent sont le problème et devraient être expulsé.es de Hong Kong.

4) Le monde du travail

La syndicalisation est importante à Hong Kong. C’est une bonne chose que la grève du 5 août ait été relativement réussie, d’autant plus qu’elle n’était pas bien organisée.

Les syndicats de Hong Kong n’organisent généralement pas de grèves politiques, mais on parle maintenant d’une troisième grève début septembre.

5) La question de ce qui est appelé l’ingérence étrangère

Si vous observez le mouvement sur le terrain, vous constaterez que les accusations selon lesquelles il serait contrôlé ou financé par le gouvernement américain sont carrément stupides.

Lorsque deux millions de personnes descendent dans la rue, il y a forcément des gens qui insultent la police et les traitent de porcs. Il est idiot de dire pour autant qu’ils sont contrôlés par une puissance étrangère.

La situation est maintenant dans une impasse

Il est très clair que Pékin ne veut pas perdre la face et restera sur sa ligne dure. Le gouvernement Lam a perdu toute autonomie, mais il ne reculera pas.
Et pendant ce temps, les gens sont constamment en butte à une répression croissante.

Cela pourrait se transformer en une situation révolutionnaire. Il faudrait pour cela que des centaines de milliers de citoyen.nes ordinaires et de salarié.es fusionnent avec les jeunes radicaux et combattent simultanément la police. Nous entrerions alors dans une situation révolutionnaire.

Mais ce n’est pas facile. Hong Kong est trop petit pour se battre contre Pékin, et beaucoup de gens en sont conscients. De plus, le mouvement n’est pas bien organisé du tout, et le niveau de conscience général est très rudimentaire.

Néanmoins, le mouvement revêt une grande importance pour un certain nombre de raisons

1) Tout d’abord, il est le signe de l’émergence d’une nouvelle génération. Une nouvelle génération qui a grandi après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997. Cela procure une nouvelle énergie à la politique de Hong Kong. Les jeunes de la nouvelle génération est plus radicale. Qu’ils/elles utilisent le mot « révolution » est très intéressant.

Ma génération craint la révolution, c’est pourquoi notre génération n’a pas de chance. Mais aujourd’hui, nous voyons apparaître une génération saluant l’idée de révolution. Ce sont des jeunes qui jettent des pierres à la police pour cette révolution. C’est très bien, même si c’est simultanément chaotique. Il s’agit à la fois d’une chance et d’un défi.

2) La deuxième raison est que ce mouvement représente un conflit entre deux visions de Hong Kong.

L’une est la vision de Pékin, et l’autre est celle des gens ordinaires.

 Le gouvernement de Pékin a toujours toujours considéré Hong Kong uniquement sous l’angle économique. Il a voulu priver Hong Kong de son identité politique et l’empêcher de jouer un rôle politique.
Ceci est compréhensible, étant donné que Hong Kong est la seule ville de Chine à jouir de la liberté d’expression et de la liberté pour les partis politiques.

 Mais ce qui est contradictoire, c’est que c’est précisément cela qui a politisé la population initialement apolitique de Hong Kong. L’énorme politisation de Hong Kong n’est pas due à l’ingérence étrangère, c’est le Parti communiste chinois qui a contribué à la susciter.

3) Troisièmement, deux orientations s’affrontent à Hong Kong : celle des couches populaires, et celle de la classe supérieure et des magnats (tycoons).

 Il y a trente ans, la classe moyenne partageait la même vision que les magnats. Contrairement à la vision de Pékin, la classe moyenne de Hong Kong aspirait à une forme libérale de capitalisme pour l’île.

 Depuis 30 ans, les magnats ne partagent plus cette vision. Ils sont devenus les partisans du capitalisme totalitaire de Pékin.
Un conflit existe donc entre ces deux orientations.

La crise de Hong Kong symbolise les tensions liées à l’essor de la Chine

Dans mon livre, « L’essor de la Chine : Forces et faiblesses », je soutiens l’idée que la Chine recèle des contradictions : ce pays est fort, mais a aussi d’énormes faiblesses. Hong Kong révèle la faiblesse de la Chine.

 La Chine est une société du type de celle du roman « 1984 » de Georges Orwell. Il est vraiment difficile d’y apporter des changements parce que la société est tellement dure.

 Mais Hong Kong est différent et cela constitue une faiblesse importante.

AU Loong Yu, le 18 août 2019

Transcription d’un exposé d’AU Loong Yu, traduit de l’anglais en français par Dominique Lerouge.
Red Flag https://redflag.org.au/node/6882

Au Loong-Yu

Porte-parole de l’Alliance du peuple lors des manifestations contre la réunion du Fonds monétaire international à Hong Kong l’ancienne colonie britannique, en 2006. Membres du comité de rédaction du site China Labour Net.

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