Édition du 14 mai 2024

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LGBT

L’invention de la culture hétérosexuelle L'hétérosexualité a-t-elle toujours été la norme ?

Le 19e siècle est marqué par l’émergence de deux nouvelles notions : « homosexualité » et son corollaire « hétérosexualité ». Auparavant, les normes n’étaient pas pensées en termes d’orientation sexuelle.

tiré de :Fierté dans la Capitale, plus gros que jamais De Infolettre de fugues, Décorhomme et MonZip
https://www.fugues.com/254478-article-l-heterosexualite-a-t-elle-toujours-ete-la-norme-.html?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_term=

Quelles que soient la période de l’histoire ou l’aire géographique étudiées, des traces de pratiques hétérosexuelles et homosexuelles ont toujours été recensées. Ces pratiques ont peu varié au cours des siècles. Ce qui a évolué, en revanche, ce sont les représentations que les sociétés s’en sont faites. En effet, les catégories qui permettaient de penser la sexualité ont changé au cours de l’histoire. Ce n’est que très tardivement, au 19e siècle, qu’émergent les notions « d’homosexualité » et « d’hétérosexualité ».

Actif ou passif ?

Dans la Grèce ancienne, un homme pouvait avoir des rapports successifs avec un(e) esclave, un(e) prostitué(e), un jeune homme (dans l’aristocratie grecque, la pédérastie inclut une initiation sexuelle) et son épouse. La pratique homosexuelle paraissait tout aussi normale que l’acte hétérosexuel. Cela n’empêchait pas la sexualité de subir « un système très dur de contraintes et d’inégalités ». On retrouve le même phénomène dans la Rome étudiée par l’historien Paul Veyne. La morale sexuelle y est très stricte, mais ce qu’elle définissait comme transgressif ne doit rien à une quelconque orientation sexuelle et tout aux hiérarchies sociales. Un homme de rang ne peut être passif avec un homme ou une femme de condition inférieure. Les Romains condamnaient fermement les relations sexuelles qui inversaient, ne fût-ce que le temps d’une partie de plaisir, l’ordre social. Ainsi, à Rome, recevoir une fellation est considéré comme une pratique déshonorante pour un homme de rang, car elle suppose une passivité. En revanche, cette pratique est acceptée pour les vieillards.

Au Moyen Âge, émerge une nouvelle manière de catégoriser les pratiques sexuelles. Obnubilée par la procréation, l’Église instaure une frontière entre les pratiques à visée reproductive, et les autres. Les premières sont souhaitables, toutes les autres condamnables et taxées de « sodomie ». La fellation ? Sodomie ! Le cunnilingus ? Sodomie ! La sodomie ? Sodomie ! Mais là encore, pas de catégorie visant spécifiquement les pratiques entre personnes du même sexe. Néanmoins, toutes les relations homosexuelles sont incluses dans le péché de sodomie et donc répréhensibles. Condamnables en pratique, elles restent rarement condamnées. L’historien Jacques Rossiaud constate qu’entre 1432 et 1502, à Florence, environ 16 000 individus sont impliqués dans des affaires de sodomie et seulement 2 400 sont condamnés, la plupart à des amendes légères. Certaines formes d’homosexualité bénéficient même d’une reconnaissance sociale, tel le compagnonnage, une forme d’amitié entre hommes, qui inclut parfois des pratiques érotiques entre les deux membres du couple.

De la Renaissance au 19e siècle, les catégories de procréation et de sodomie décrétées par l’Église n’évoluent pas, et les peines encourues par les coupables oscillent, selon les périodes, entre une tolérance totale et des périodes de répression plus ou moins dures.

Les pratiques lesbiennes, quant à elles, bénéficient d’une tolérance relative des sociétés. Dans le monde grec, l’adultère de l’épouse subit une répression sévère, mais les pratiques saphiques sont tolérées : elles ne sont donc pas considérées comme adultérines. Pour le Moyen Âge, J. Rossiaud écrit que « le lesbianisme a constitué sans nul doute un phénomène social ». Alors que le crime sodomite chez les hommes entraîne un gaspillage de sperme, seule semence à l’origine de la procréation pensent les médecins médiévaux, chez les femmes, il n’a pas de conséquence néfaste. L’absence de répression ne facilite pas la tâche de l’historien puisque les sources judiciaires sont presque vides de procès sur la question, à l’exception de femmes arrêtées pour d’autres délits et dont la pratique homosexuelle est mentionnée au cours du procès. Des lettres de rémission permettent également de témoigner de l’existence de liaisons entre épouses.

Le grand changement du 19e siècle

Au 19e siècle, la réprobation sociale envers l’homosexualité augmente, entraînant la constitution de groupes autour des préférences homosexuelles. Cette mise en lumière alimente l’impression d’une augmentation des pratiques, et, par un cercle vicieux, contribue au développement de la condamnation sociale. En 1869, le terme « homosexualité » est utilisé pour la première fois de l’histoire par un écrivain hongrois, Károly Mária Kertbeny. La discipline psychanalytique s’empare du sujet et théorise cette nouveauté qu’est « l’orientation sexuelle ». La plupart de nos représentations actuelles restent empreintes des théories psychanalytiques développées à ce moment-là. Les stéréotypes de la lesbienne garçonne et du gay efféminé qui imprègnent toujours nos imaginaires émergent au même moment.

Les études féministes, puis les études gais et lesbiennes ont contribué à renouveler le regard historique à partir des années 2000, en mettant en avant le caractère culturel de nos sexualités. Ainsi l’historien Louis-Georges Tin a-t-il développé l’idée que l’hétérosexualité, loin d’être un « fait de nature », est bien un « fait de culture » : son exaltation est une construction culturelle, dont on peut dater l’émergence à l’époque médiévale, avec l’invention de l’amour courtois.

L’hétérosexualité comme norme culturelle n’a ainsi émergé que récemment au regard de l’histoire. Cela ne signifie pas pour autant que l’homosexualité fut la norme à d’autres époques : les normes sociales étaient simplement construites en dehors de ces catégories. Notre manière contemporaine de classer les personnes en fonction de leur orientation sexuelle n’avait aucun sens pour nos ancêtres.

• L’invention de la culture hétérosexuelle
Louis-Georges Tin, Autrement, 2008.

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