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« L’océan n’est pas une poubelle. » Le rejet des eaux de Fukushima inquiète des Japonais

Cet été, le gouvernement japonais a annoncé le démarrage imminent du rejet des eaux de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima dans le Pacifique après filtration. Un projet controversé puisqu’aucun expert n’est capable d’estimer les ravages sur la faune et la flore. Les autorités nippones accélèrent le calendrier, faisant fi des inquiétudes de l’industrie de la pêche.

20 août 2023 | tiré de mediapart.fr | Photo : Manifestation vendredi 18 août 2023 à Tokyo pour s’opposer au rejet des eaux de Fukushima dans le Pacifique. © Photo Johann Fleuri/Mediapart
https://www.mediapart.fr/journal/international/200823/l-ocean-n-est-pas-une-poubelle-le-rejet-des-eaux-de-fukushima-inquiete-des-japonais

Tokyo (Japon).– Le visage fermé, Kazuyoshi Sato serre les dents. Cet habitant de la ville d’Iwaki (40 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima), ardent activiste antinucléaire et responsable du Conseil des citoyens « Ne polluez plus la mer » ne voit guère d’amélioration malgré les discours rassurants des autorités. Avant l’accident de Fukushima en 2011, il était « déjà contre les centrales car on ne peut pas contrôler les risques pour l’être humain ».

Aujourd’hui, son inquiétude réside dans le rejet des eaux traitées à l’ALPS [Système avancé de traitement des liquides (ALPS), un processus de filtration – ndlr] dans le Pacifique. « Mon espoir aujourd’hui est que l’on stoppe ce projet » […]. L’océan n’est pas une poubelle. Et il y a d’autres solutions qui n’ont pas été suffisamment approfondies. »

Ce vendredi matin, sous un soleil de plomb, Kazuyoshi Sato fait partie des 150 personnes qui se sont réunies devant le bureau du premier ministre Fumio Kishida pour dire « non au rejet des eaux de Fukushima dans le Pacifique ». Ces responsables d’ONG, activistes originaires de tout le pays ou habitant·es de la région qui borde la centrale sont furieux de voir le calendrier s’accélérer sans plus de consultation. « Comment peuvent-ils nous donner des dates sans consultation plus approfondie ? »

Kazuyoshi Sato ne décolère pas : « À l’heure où nous parlons, Fumio Kishida est à Camp David avec Joe Biden et le président sud-coréen. Est-ce que le sujet des eaux va être mis sur la table ? Nous, les Japonais, nous devons faire entendre nos voix contre ce projet. » Harue Sampei, 63 ans, habitante de Namie (20 kilomètres de la centrale) s’inquiète que ses petits-enfants « ne mangeront plus de poissons ». « Cela fait déjà douze ans que notre calvaire dure. Nos sacrifices sont immenses mais visiblement ce n’est pas la fin. Que devrons-nous encore supporter ? J’ai peur pour mes enfants. »

Selon une enquête réalisée par le journal Asahi Shimbun en 2021, 55 % des Japonais se prononcent contre le rejet de l’eau traitée dans le Pacifique, 86 % pensent que la réputation du poisson sera entachée. C’est d’ailleurs le seul rempart au rejet des eaux : la Fédération nationale des associations de pêcheurs (Zengyoren) reste strictement opposée au projet, malgré les 50 milliards de yens promis par le gouvernement cet été en guise de compensation. En 2015, le gouvernement et Tepco avaient promis qu’aucun rejet ne serait fait sans l’accord des pêcheries locales.

Avant la fin du mois d’août

En 2021, le gouvernement japonais annonçait vouloir rejeter les eaux de Fukushima dans le Pacifique. Cette eau qui a servi à refroidir les réacteurs pendant l’accident mais est aussi issue des pluies et des nappes souterraines a été traitée à l’ALPS pour retirer une grande partie des radionucléides présentes : elle est stockée aujourd’hui dans plus d’un millier de réservoirs situés dans l’enceinte de la centrale.

Début juillet, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a donné son vert pour ce projet qui sera réalisée en « toute sécurité », promet-elle. Dans la foulée, le Japon a accéléré la manœuvre annonçant que les opérations pourraient démarrer avant la fin du mois d’août.

Jeudi après-midi, quatre ONG (FOE Japan, Greenpeace Asie de l’Est, CNIC, No Nukes Asia Forum Japon) ont rencontré des officiels du ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie ainsi que des membres de l’Autorité de régulation nucléaire pour tenter d’obtenir des réponses.

À l’heure actuelle, « personne ne peut nous dire quels seront les effets de ce rejet pour la faune et la flore ? Est-ce raisonnable ? », demandent les responsables des ONG. Le coût des installations bâties dans le but de rejeter l’eau s’élève désormais à plus de 3,4 milliards de yens (un peu plus de 21 millions d’euros) soit le double du budget initial. La durée du rejet est passée de trois à trente ans.

Les ONG pointent aussi que « récemment, il est apparu que les concentrations notifiées de césium 137, de strontium 90 et d’iode 129 dépassaient les limites à la sortie de l’ALPS ». Ajoutant : « Tepco a expliqué les différentes circonstances, mais cela pourrait signifier qu’il n’est pas possible de respecter les normes, à l’exception du tritium. » Après le traitement, l’eau est toujours chargée de vingt-neuf radionucléides, dont le tritium et c’est cette eau qui sera relâchée.

Tepco, l’opérateur de la centrale nucléaire endommagée de Fukushima, soucieux de l’opposition éventuelle de la Chine et de la Corée, promet une sécurité optimale.

« Des scientifiques du monde marin, dont la National Association of Marine Laboratories [réseau de laboratoires américains – ndlr] qui a publié une déclaration s’opposant au plan de rejet des eaux, s’inquiètent, précise Cécile Asanuma-Brice chercheuse et codirectrice d’un programme international de recherche du CNRS sur les post-Fukushima Studies. Pour eux, la solution aurait pu être de continuer de stocker cette eau jusqu’à ce que la radioactivité du tritium diminue naturellement. »

Car il y a encore des terrains vacants autour de la centrale, ce qui aurait permis de continuer de stocker l’eau le temps nécessaire. « Il me semble important de s’interroger sur les raisons de l’accélération de ce projet qui est que le gouvernement japonais veut relancer l’énergie nucléaire sur son territoire et pour cela, son objectif est de faire de la région un modèle de territoire résilient à un accident nucléaire, juge la chercheuse. Cela passe par le démantèlement de la centrale et comme l’a précisé le ministre de l’économie, du commerce et de l’industrie, M. Nishimura : “Le rejet dans l’océan des eaux traitées par le système ALPS de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi est un problème qui ne peut être évité si nous voulons procéder au démantèlement de la centrale.” »

Sur place, dans la centrale nucléaire de Fukushima, tout était prêt, fin juillet, pour le rejet des eaux. Tepco, l’opérateur de la centrale nucléaire endommagée de Fukushima, soucieux de l’opposition éventuelle de la Chine et de la Corée, promet une sécurité optimale.

Deux valves de sécurité « permettent de tout stopper en cas de détection de radioactivité anormale », affirme Kenichi Takahashi, responsable de la communication des risques chez Tepco. « 70 % de l’eau sera retraitée et diluée dans l’eau de mer pour ne pas dépasser les 1 500 becquerels par litre », ajoute-t-il.

Selon Junichi Matsumoto, responsable du projet au sein de la Société d’ingénierie pour la décontamination et le démantèlement de Fukushima Daiichi, le rejet de l’eau dans le Pacifique reste « la meilleure solution ». Il affirme également que le temps presse car le « risque de fuite » des réservoirs « devient réel ». Vendredi matin, les responsables des ONG sont retournés dans les bureaux du gouvernement pour y déposer une pétition de plus de 36 000 signatures qui réclame l’arrêt immédiat du projet.

Tout juste rentré des États-Unis, Fumio Kishida se préparait pour une visite de la centrale nucléaire dimanche. « Le rejet de l’eau traitée est une question qui ne peut pas être reportée si l’on veut progresser régulièrement dans le démantèlement et la reconstruction de Fukushima », a-t-il déclaré. Kishida a affirmé que le gouvernement est au « stade final » de la prise de décision mais a refusé de s’exprimer sur la date exacte du début des rejets.

Il a également annoncé vouloir rencontrer au plus vite le président de la Fédération nationale des associations de pêcheurs, avec qui les négocations n’aboutissent pas malgré les compensations promises.

Johann Fleuri

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