Édition du 30 avril 2024

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États-Unis

REPORTAGE

La « colère » politique des femmes, enjeu clé de la présidentielle américaine

Le vote des femmes conservatrices fut décisif pour Donald Trump en 2016. Mais ses propos sexistes et sa politique ont aussi provoqué une mobilisation historique des femmes contre lui. Alors que de lourdes menaces pèsent sur le droit à l’avortement, certaines ont manifesté ce week-end contre sa réélection le 3 novembre.

18 octobre 2020| tiré du site de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/international/181020/la-colere-politique-des-femmes-enjeu-cle-de-la-presidentielle-americaine?page_article=2

New York (États-Unis), de notre envoyée spéciale. – Des dessins d’utérus et de vulves, des poings levés : leur corps, c’est leur choix, un point c’est tout. Dans l’Amérique de Donald Trump, les manifestations de femmes sont devenues une habitude. Le lendemain de son investiture, le 21 janvier 2017, plus de quatre millions de personnes, en grande majorité des femmes, avaient défilé dans plus de 650 villes. Plus que les marches contre la guerre du Vietnam de 1969 et 1970. Plus que les défilés de 2003 contre la guerre en Irak.

Ce week-end encore, un peu plus de quinze jours avant l’élection, quelques centaines d’entre elles ont manifesté à New York. Ce qui les réunit désormais, ce n’est plus seulement la misogynie du président — qui se vantait en 2005 d’« attraper » les femmes « par la chatte ». Mais aussi les attaques incessantes de l’administration Trump contre leurs droits.

« Vote him out, vote him out », ont-elles scandé, pancartes à la main, devant le Trump Building, un gratte-ciel de Wall Street à Manhattan, propriété du président. « Sortons-le », « sortons-le » de la Maison Blanche, « en nous rendant aux urnes » le 3 novembre. Partout sur leurs pancartes, le même visage : des lunettes, un chignon et un collier en dentelle blanche, l’accessoire fétiche de la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg, icône féministe décédée le 18 septembre.

À quelques semaines de la présidentielle du 3 novembre, la mort de Ginsburg, à 87 ans, a offert à Trump une opportunité inespérée : donner à ses électeurs ce qu’il leur a promis, une majorité largement conservatrice à la Cour suprême. Désormais en mesure, comme beaucoup l’espèrent, de renverser « Roe vs. Wade  », qui permit, en 1973, de légaliser l’avortement aux États-Unis.

Amy Coney Barrett, la juge ultra-conservatrice choisie par Donald Trump pour remplacer Ruth Bader Ginsburg, dont l’audition a débuté la semaine dernière au Sénat, ne fait aucun mystère de ses intentions. En 2006, elle s’opposait publiquement à « l’avortement à la demande  ».

Candidat à sa réélection, en difficulté à l’approche du scrutin face au démocrate Joe Biden, Donald Trump doit en partie sa victoire il y a quatre ans à celles qu’il a souvent moquées, voire insultées : les femmes. Dans les banlieues blanches et coquettes, les suburbs, entre 47 % et 52 % des femmes, selon les estimations, lui ont accordé leur confiance. Donald Trump parviendra-t-il cependant à les convaincre de nouveau ? À entendre les manifestantes new-yorkaises croisées ce jour-là, c’est plutôt mal parti.

Roe v. Wade, « je m’en souviens encore, confie Mary, 67 ans. En 1971, je venais d’obtenir mon diplôme au lycée. Je me souviens d’avoir conduit, peu après, pendant des heures avec une amie, depuis la Pennsylvanie. On a roulé jusqu’à New York, pour qu’elle puisse se faire avorter ».

Si cette prof à la retraite aux yeux bleus est venue manifester à Manhattan aux côtés de Lory, sa compagne depuis trente-cinq ans, c’est parce qu’elle ne comprend pas ce qui est arrivé à son pays. « Même en rêve », elle n’aurait pas imaginé un tel scénario.

« Il y a cinq ans » a peine, Mary aurait volontiers assuré que ses droits avaient enfin progressé aux États-Unis. Elle n’est plus sûre de rien. À Brooklyn, où elle vit avec son épouse, elle raconte se faire régulièrement « harceler » par un groupe de religieux dans la rue.

Son histoire résume l’enjeu d’une nouvelle nomination à la Cour suprême qui pourrait enfoncer de nouveaux coins dans l’Obamacare, l’Affordable Care Act (ACA). Elle qui a enseigné auprès d’élèves en situation de handicap y est particulièrement attachée. « Et que deviendra ma belle sœur ? », s’interroge Mary. « Avant l’Obamacare, elle n’était jamais parvenue à obtenir de couverture santé, même par l’intermédiaire du job de son mari. »

Aujourd’hui, les Américaines bénéficiant d’une couverture santé via l’ACA et leur employeur peuvent obtenir leur contraception sans avoir à débourser de quote-part. Qu’en sera-t-il, à l’avenir ? En juillet, la Cour suprême a déjà validé une mesure de l’administration Trump permettant aux employeurs ayant des objections religieuses de refuser une couverture contraceptive à leurs employés…

Comme Mary, les femmes ont davantage tendance à soutenir l’accès aux soins pour tous, selon les enquêtes d’opinion. Malgré tout, Donald Trump espère encore leur vote. En particulier celui des femmes blanches modérées ou conservatrices. À leur intention, il utilise d’autres arguments. En campagne mi-octobre en Pennsylvanie, État de la côte est gagné de justesse par les Républicains en 2016, Donald Trump a joué la carte de la sécurité, alors que se sont multipliées les manifestations en réponse aux violences policières subies par Noirs américains.

Amy Coney Barrett, même pas « en rêve »

« S’il vous plaît, allez-vous m’aimer ? J’ai sauvé vos quartiers [de l’insécurité – ndlr], pas vrai ? » L’argument porte-t-il ? D’après The Brookings Institution, il est permis d’en douter, si on s’en tient du moins à la tendance dessinée en 2018 lors des élections de mi-mandat. Le président et le camp républicain y ont enregistré une baisse de cinq points chez les femmes blanches, diplômées du supérieur ou non. « Le changement le plus profond dans la vie politique à présent, et dans les années à venir, c’est le mouvement massif des femmes vers le Parti démocrate », écrit le think tank progressiste dans un article de juin dernier.

Spécialisée dans la participation des femmes à la vie politique, Debbie Walsh, chercheuse à l’université Rutgers, dans le New Jersey, explique cette baisse, entre autres, par l’accroissement du gender gap, ce clivage électoral de plus en plus marqué entre les hommes et les femmes aux États-Unis.

En 1980, 55 % des hommes avaient soutenu Ronald Reagan à l’élection présidentielle, contre 46 % de femmes. On était alors en plein débat sur l’Equal Rights Amendment (ERA), une proposition visant à amender la Constitution afin d’empêcher que l’égalité des droits ne soit remise en cause au niveau des États. L’ERA n’a jamais été ratifié, mais, depuis 1992, le gender gap a profité à chaque présidentielle aux démocrates. En 2020, l’écart pourrait être encore plus important que jamais.

Avec la pandémie et ses presque 220 000 morts outre-Atlantique, on a pu oublier combien les injures de Donald Trump envers les femmes ont marqué sa présidence. Hillary Clinton, Elizabeth Warren, mais aussi Alexandria Ocasio-Cortez et ses collègues de l’aile gauche démocrate attaquées par le président dans des tweets racistes sont autant d’exemples.

Selon l’essayiste Rebecca Traister, autrice de l’ouvrage Good and Mad : The Revolutionary Power of Women’s Anger, le choc moral de la victoire de Trump, suivi un an plus tard par le mouvement #MeToo a nourri la « colère » politique des femmes, réactivée en 2018 avec la nomination par Donald Trump à la Cour suprême du juge conservateur Brett Kavanaugh, accusé d’agression sexuelle.

Sans compter cette vingtaine de femmes qui ont accusé Donald Trump lui-même d’agressions sexuelles…

À New York, ce samedi, le sujet revient sans cesse dans les échanges entre manifestantes. Combien d’entre elles ont déjà essuyé un commentaire sexiste sur leur tenue ou entendu des phrases comme : « Tu serais plus belle en souriant », demande une organisatrice à la foule. Combien, parmi elles, ont déjà eu peur en rentrant seule le soir ? Combien ont dû changer de trottoir parce qu’elles se faisaient importuner par un homme ? Combien ont peur dans le métro ? Combien ont été harcelées ? Combien ont été agressées sexuellement ? À chaque question, excepté pour la dernière, une écrasante majorité de femmes ont répondu oui en levant la main.

Joana, 26 ans, est l’une d’entre elles. D’origine sud-américaine, elle travaille comme baby-sitter à New York depuis presque dix ans. Elle a tenu à manifester à quelques jours de la présidentielle, déguisée en personnage de La Servante écarlate, série adaptée d’un roman d’anticipation dystopique où les femmes finissent asservies dans un régime totalitaire. « Quatre ans de plus de Donald Trump, dit-elle, conduirait vers ça, vers le monde imaginé par Margaret Atwood. »

Ce monde, Joana n’en veut pas. À deux semaines du vote, des enquêtes d’opinion indiquent qu’une majorité des femmes sont prêtes à voter comme elle pour Joe Biden. Le candidat démocrate, s’il est élu, gouvernera le pays aux côtés d’une vice-présidente noire, la sénatrice Kamala Harris. Une première. Paradoxe : Biden lui-même traîne derrière lui des accusations de gestes déplacés, voire d’agressions sexuelles. Les femmes américaines n’ont pas fini d’être en colère.

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