Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Les Premières nations contre Coastal GasLink

La lutte Wet'suwe'ten, une lutte éco-universelle pour sauver la civilisation

Plus six compléments à l’article initial

La lutte des Wet’suwe’ten et de leurs alliés comporte un paradoxe. Le nombre de gens mobilisés, quelques milliers en tout et partout, est très loin du demi-million de la grande manifestation Greta Thunberg de Montréal mais ses effets sociaux-politiques sont plusieurs ordres de grandeur plus élevés. Pourquoi ? Pour reprendre une expression de Greta Thunberg, « ils/elles ont osé » s’attaquer frontalement à deux piliers mythiques de l’économie du Canada, soit l’extraction de ressources naturelles dont aujourd’hui les hydrocarbures sont le noyau dur et au système de transport à longue distance, crucial dans ce grand pays longitudinal de régions mal arrimées, chacune sollicitée par le géant étasunien et dont le rail reste l’épine dorsale. Il n’en reste pas moins que le faible nombre de la militance aux blocages, et même en appuis par des manifestations sporadiques surtout à Toronto, Victoria et Vancouver, et dans une moindre mesure à Winnipeg, Edmonton, Régina, Halifax, Montréal et quelques autres endroits, est le tendon d’Achille de cette mobilisation. Elle doit sa résilience, rendue à deux semaines, à la peur bourgeoise de l’ampleur de la réaction autochtone soutenue par une remobilisation massive du mouvement climatique très remonté contre les hydrocarbures et très conscient du rôle d’avant garde de protecteur de la terre-mère joué par les autochtones.

En ce 22 février, on constate d’abord le blocage crucial et initial du chemin de fer transcontinental sur le territoire des Kanien’kehá:ka (Mohawks) de Tyendinaga en Ontario. Il est appuyé par ceux régionaux, à L’Isle-Verte jusqu’à hier et dans la banlieue de Montréal sur le territoire des Kanien’kehá:ka de Kahnawake et plus récemment jusqu’à hier à St-Lambert par de jeunes gens surtout francophones et aux études s’organisant par réseaux sociaux et ralliés par Extinction Rebellion, et en Colombie britannique jusqu’à hier aussi par les Neskonlith affectés par l’élargissement de l’oléoduc bitumineux Trans Mountain racheté par Ottawa. Pendant ce temps, au nord de la Colombie britannique, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) continue de contrôler ce chemin menant au chantier de construction du gazoduc litigieux sur le territoire des Wet’suwe’ten après qu’elle eut démoli manu militari, au début février, la barricade interdisant l’accès au chantier et arrêté plus d’une dizaine de personnes de cette nation autochtone. Ce gazoduc est partie prenante d’un investissement total estimé à 40 milliards de dollars par les filiales de cinq sociétés internationales : Royal Dutch Shell Plc. (40%, chef de file), du Royaume-Uni et des Pays-Bas ; PETRONAS (25%), de Malaisie ; PetroChina Co. Ltd. (15%), de Chine ; Mitsubishi Corp. (15%), du Japon ; et Korea Gas Corporation (5%) de Corée.

Le gouvernement fédéral des Libéraux, mu par une officielle politique tant pro-climatique que de « réconciliation » avec les peuples autochtones, en complète contradiction avec ses réelles actions pro-pipeline et d’abandon de maintes communautés autochtones sans eau potable et d’enquête bâclée et sans suite sur les meurtres en série de jeunes femmes autochtones, cherche à sauver les apparences qu’une nouvelle crise d’Oka ou d’Ipperwash gâcherait. Il cherche un dialogue sans conditions ni concessions que les chefs traditionnels Wet’suwe’ten lui accorderaient bien mais à condition que la GRC quitte leur territoire, ce qu’elle fait semblant de faire, et surtout que cessent les travaux de construction du gazoduc au moins momentanément. Voilà que maintenant le gouvernement NPD-Vert de la Colombie britannique, autre larron de l’affaire et fidèle allié des Libéraux fédéraux, vient au secours du grand frère en ordonnant une révision de l’enquête environnementale d’une durée de trente jours laquelle révision oblige le constructeur du gazoduc, TC Energy ex Trans Canada Pipeline de l’ex oléoduc Énergie Est de triste mémoire, à consulter les chefs traditionnels pendant que les travaux seront arrêtés.

Les chefs traditionnels mordront-ils à l’appât ? Il faut dire qu’ils ne font pas l’unanimité dans leur communauté. Cinq chefs de « bande » sur six de la même nation, structure imposée par la colonialiste et toujours en vigueur par la Loi fédérale des Indiens du XIXiè siècle, ont signé des ententes avec la filiale de TC Energy assurant quelque revenu afin de palier à la pauvreté de cette petite nation d’à peine plus de 3 000 personnes isolée dans le nord de la Colombie britannique. On devine les tensions internes. Même les « mères de clan » seraient réticentes aux blocages. Il n’en reste pas moins que ces chefs de bande n’ont juridiction que sur les « réserves », qui ont servi de modèle au système d’apartheid de l’Afrique du sud, à travers lesquelles le gazoduc ne passe pas. Juridiquement, l’arrêt Delgamukw de la Cour suprême en 1997 assure que les droits sur les terres ancestrales non cédées — la Colombie britannique a cru pouvoir se dispenser des infâmes traités à numéro suite à une hécatombe due à la variole dans les années 1860 (https://socialistproject.ca/2020/02/indigenous-resistanceshakes-the-canadian-state/) — englobant les réserves sont du ressort des chefs traditionnels. De plus, « le Canada souscrit à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), alors que la Colombie-Britannique vient d’en adopter l’application dans sa législation. Le consentement libre, préalable et éclairé est une des pierres angulaires de la DNUDPA. » (France-Isabelle Langlois, Directrice
générale, Amnistie internationale Canada francophone – https://www.ledevoir.com/opinion/libreopinion/573294/chronique-d-un-fiasco-annonce).

Les chefs traditionnels ont proposé en 2014 un tracé alternatif que TC Energy a refusé pour des raisons pécuniaires et... environnementales (https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/wetsuweten-coastalgaslink-pipeline-alternative-path-1.5464945). On réalise qu’il y aurait là une sortie de secours, entrouverte par l’arrêt des travaux pour 30 jours, du point de vue strictement et étroitement nationaliste Wet’suwe’ten en autant que quelqu’un quelque part finance un milliard $ supplémentaire et que le tracé alternatif ne trouverait pas sur son chemin un autre blocage autochtone. Peut-on raisonnablement exiger d’une pauvre et minuscule nation de sauver la civilisation blanche de sa turpitude d’accumulation capitaliste jusqu’à l’annihilation de la civilisation ? C’est déjà énorme que jusqu’ici les chefs traditionnels Wet’suwe’ten, malgré l’appui crucial de la nation Kanien’kehá:ka toujours à la fine pointe de la lutte autochtone, n’aient pas cédé sous la pression du patronat aux abois et de la droite appelant à la répression armée dont les Conservateurs fédéraux et les Premier ministres du Québec et de la Saskatchewan sont les principaux porte-voix.

Après plus de deux semaines de blocage, l’extrême centriste gouvernement Trudeau commence à céder à ces cris d’orfraie pendant que les chefs de l’Assemblée des Premières nations poussent au compromis tout en ne condamnant pas les blocages. Pour renverser la vapeur contre le Canada des hydrocarbures afin que ceux-ci restent sous terre, il faudra bien un jour frapper dans le plexus l’accumulation du capital par des grèves et blocages généralisés et prolongés dûment dirigés et coordonnés avec une alternative prête à prendre la relève.


Complément 1 Un clash de souveraineté portant sur l’essentiel de part et d’autre

Finalement le gouvernement Trudeau s’est résolu à employer la répression... ou plutôt à jouer l’hypocrisie en s’en remettant aux forces policières soi-disant agissant en toute indépendance sur ordre d’injonction demandée par le Canadien National ou le Canadien Pacifique. Pour l’Ontario et le Québec, la couche d’hypocrisie est encore plus épaisse car ces forces policières sont de juridiction provinciale. Plus ratoureux, tu meurs. On a fait beaucoup de cas du blocage de Tyendinaga qui aurait paralysé le transport pan-canadien est-ouest jusqu’à ce qu’on apprenne que les deux grandes compagnies de chemin de fer collaboraient pour le contourner soit par le réseau pan-canadien plus au nord du Canadien Pacifique soit par les ÉU sans compter le recours accru au camionnage. Pour la pénurie de gaz propane, on repassera. Mais il est vrai que ça coûte plus cher ce qui emmerde le dieu profit.

En ce jour du 25 février, on a pu distinguer trois types de répression des blocages après le démantèlement de celle de Tyendinaga au prix de dix arrestations auquel les Kanien’kehá:ka (Mohawks) ont répondu par des tactiques de harcèlement et un nouveau blocage empêchant de nouveau la circulation ferroviaire. Tant au Québec (Lennoxville), qu’en Ontario (Hamilton) et en Colombie britannique (Port de Vancouver) les forces policière interviennent immédiatement pour mettre fin au blocage avec arrestations à l’appui si ces blocages sont à l’initiative de non-autochtones. Elles paraissent faire de même si ce sont des autochtones sans expérience historique d’affrontement comme au nord de la Colombie britannique. Mais pour ce qui est des Kanien’kehá:ka de Kahnawake, qui bloquent un rail depuis deux semaines, de Kanesatake qui bloquent depuis peu partiellement une route et de Tyendinaga qui sont de retour, tout comme pour les Mig’maq de Listiguj, leur expérience de lutte conséquente et de solidarité de même que leur capacité défendre fermement leur territoire leur vaut pour l’instant l’intouchabilité y compris de la part du matamore nationaliste Legault. Le but de cette manière de faire est d’isoler les nations autochtones expérimentées et combatives.

Plusieurs s’étonnent que la politique dite de « réconciliation » du gouvernement Trudeau ne l’ait pas incité à se rendre aux conditions raisonnables des chefs traditionnels Wet’suwe’ten de sortir la GRC de leur territoire ancestrale et d’arrêter les travaux de la filiale de TC Energy ce dont s’est chargé le gouvernement de la Colombie britannique par sa demande de clarification environnementale supplémentaire. Pourquoi, diable, la GRC continue-t-elle de patrouiller le territoire Wet’suwe’ten ? Parce que consentir à ce retrait des forces de l’ordre canadiennes, noyau dur de la souveraineté de l’État canadien, c’est avouer à la face du monde que la souveraineté autochtone prime sur celle canadienne. Cette abdication mènerait inéluctablement à renoncer à faire passer le gazoduc sur les territoires autochtones non consentant tout en reconnaissant la prééminence des gouvernements autochtones dit traditionnels sur ceux, les conseils de bande, imposés par la colonialiste loi des indiens. Ce serait là une mise en cause de l’épine dorsale de la stratégie économique de la bourgeoisie canadienne qui requiert le pillage des ressources naturelles situées sur les territoires autochtones. À revers, si les chefs traditionnels négociaient avec Ottawa sous le contrôle de leur territoire par la police fédérale, ils renonceraient de facto à leurs droits ancestraux reconnus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 tout comme au consentement libre et informé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Complément 2 Le matamore Premier ministre du Québec cherche-t-il un deuxième Oka ?

Aujourd’hui, on constate que le projecteurs se braquent de plus en plus sur le Québec à cause du barrage des Kanien’kehá:ka de Kahnawake, dans la région de Montréal, et de celui des Mig’maq de Listiguj au sud de la Gaspésie. Ce sont les deux seuls barrages solides qui restent en place. La police provinciale de l’Ontario a réussi hier à démanteler sans coup férir celui des Kanien’kehá:ka de Tyendinaga à l’est de Toronto. Les tactiques de harcèlement, dont une tentative de faire un feu sur les rails pendant le passage d’un train de marchandise, n’ont pas empêché le passage d’une dizaine de tels trains mais non ceux de passagers jugés trop risqués. Ailleurs en Ontario et en Colombie britannique, les barrages ont été levés avec un minimum d’arrestations bien qu’il y ait eu certains blocages temporaires de routes à Vancouver et de rails à Toronto, et que continue devant le parlement britanico-colombien à Victoria le sit-in et bed-in de jeunes gens amenés par de jeunes autochtones.

Le gouvernement fédéral ne se gêne pas pour traiter de « totalement irresponsable » les Kanien’kehá:ka de Tyendinaga et de souligner « que presque tous les secteurs [économiques] sont touchés et qu’il faudra être très patient avant d’espérer un retour à la normale ». De souligner un ministre « que les résidents du territoire de Wet’suwet’en ont droit à la présence policière [la GRC] comme n’importe quel résident de la Colombie britannique ». Au diable donc une des conditions des chefs traditionnels pour être d’accord avec le démantèlement des barrages. L’affirmation de la souveraineté coloniale passe avant tout. Ces menaces n’empêchent pas le fédéral de se décharger de la répression sur les polices provinciales de l’Ontario et du Québec, ce qui donne mauvaise apparence à la Sûreté du Québec qui n’a pas bougé d’un crin.

C’est dans ce scénario de déconfiture identitaire qu’est intervenu avec ses gros sabots le très nationaliste Premier ministre du Québec dont ses ministres invoquent le sort de plusieurs PME qui « aurait atteint un point critique ». Pour justifier l’inaction de sa police, misant sur le souvenir douloureux de la crise d’Oka en 1990, il affirme tout de go qu’« on a des renseignements qui nous confirment qu’il y a des armes [chez les manifestants], des AK-47 pour les nommer », ce qu’un responsable Kanien’kehá:ka s’est empressé de démentir et de dénoncer comme « irresponsable » en soulignant que la communauté ne veut rien savoir de revivre les événements dramatiques de 1990. Quant au barrage en Gaspésie, le gouvernement du Québec y est encore plus impliqué puisque ce chemin de fer régional lui appartient.

Comment de ne pas voir que le gouvernement fédéral manœuvre, d’instinct ou consciemment, pour précipiter un affrontement entre deux nations opprimées en mal d’affirmation nationale dont il finira par être l’arbitre de la situation sur le dos de l’une et de l’autre. La sortie de ce piège repose entièrement auprès de la nation québécoise prise en sandwich entre son statut « blanc » de demi-état colonial et sa situation de nation conquise et non reconnue. Ou bien le peuple québécois se laisse entraîner dans une prise d’assaut des barricades donnant libre cours au chauvinisme anti-autochtone ou bien il pousse son gouvernement à appuyer le droit de la nation Wet’suwe’ten de refuser le passage du gazoduc sur son territoire. Ce revirement ouvrirait la porte à une négociation fructueuse avec les Kanien’kehá:ka de Kahnawake et les Mig’maq de Listiguj pour atténuer certains effets des barrages.

Après tout le Premier ministre n’a-t-il par ouvert la porte à une telle issu quand il a affirmé hier, anticipant sur les leçons de la crise en cours, que « le projet de gaz naturel liquéfié GNL Québec devra obtenir non seulement l’aval de la communauté, mais aussi l’aval des communautés autochtones. ». Ne faut-il pas pousser à la roue dans la rue ?

Complément 3 Mouvement climatique, Québec solidaire, où êtes‑vous ? : Dans la rue ?

La crise Wet’suwe’ten paraît aller vers un dénouement. Les chefs traditionnels ont finalement accepté de rencontrer les délégations du gouvernement fédéral et de la Colombie britannique aujourd’hui et demain (jeudi et vendredi) en mettant beaucoup d’eau dans leur vin. « La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a accepté de se retirer du chemin menant au chantier du gazoduc Coastal GasLink. Le promoteur du gazoduc a également interrompu les activités de construction de son projet, pendant les négociations qui doivent durer deux jours. »

On est loin des exigences originales : « Les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en ont déclaré qu’ils ne participeraient à aucune rencontre avant que la GRC ne quitte complètement leur territoire traditionnel [22,000 km2] et que la compagnie construisant le gazoduc ne cesse ses activités dans la région. [Le ministre fédéral] Blair a déclaré que les personnes qui y vivent ont le droit d’être protégées par la police. ’’Je pense qu’il y a un principe très important : il y a des milliers de Canadiens qui vivent dans cette région [qui] ont droit à des services de police’’, a‑t‑il dit. »

Le fond de l’air a une odeur nauséabonde. « Alors que les protestations en faveur des chefs héréditaires de Wet’suwet’en continuent de déferler sur le Canada, les experts en matière de racisme disent que le racisme et la violence anti‑autochtones sont en augmentation et devraient être combattus. On constate un grand changement avec des suprémacistes blancs et des groupes haineux qui redirigent leur attention sur les peuples autochtones, dit Evan Balgord du Réseau canadien anti‑haine. »

Ce racisme n’est pas que verbal : « Le mercredi 19 février 2020, des vigiles d’extrême droite ont démoli un blocus mis en place à l’extérieur d’Edmonton par des Autochtones agissant en solidarité avec les défenseurs des terres des Wet’suwet’en. La GRC et des politiciens envoyés sur place pour des raisons de ’’sécurité publique’’, sont restés impassibles pendant que les extrémistes de droite affrontaient les bloqueurs et éliminaient le blocus. »

Au Québec, c’est le Premier ministre lui‑même qui en rajoute : « Le premier ministre du Québec n’a pas l’intention de s’excuser pour les propos qu’il a tenus mercredi sur la présence d’armes d’assaut de type AK‑47 sur le territoire de Kahnawake, au sud de Montréal. [.] Kenneth Deer, qui est également secrétaire de la Longhouse, le système politique traditionnel mohawk, a établi un parallèle entre le refus de Legault de s’excuser et le projet de loi 21 ‑ l’interdiction controversée du gouvernement sur les symboles religieux [.] ’’Ce n’est pas un signal pour construire un pont entre nous et le premier ministre du Québec’’ »

Le lénifiant gouvernement fédéral prétend qu’il faut viser le long terme. On comprend en effet que les négociations territoriales sont complexes mais il n’est reste pas moins que l’affaire de la construction du gazoduc doit se résoudre dans l’immédiat. Ou bien les travaux continuent pendant qu’on négocie ou bien ils s’arrêtent. Le rapport de force s’est manifestement détérioré, pour dire le moins. Ne reste plus en place comme barrages solides que celui des Kanien’kehá:ka de Kahnawake, dans la région de Montréal, et de celui des Mig’maq de Listiguj au sud de la Gaspésie plus des tactiques désespérées et inefficaces à Tyendinaga à l’est de Toronto. Même vis‑à‑vis eux, les chefs traditionnels leur ont émis ce qui paraît être une invitation à démanteler : « ’’Les chefs héréditaires wet’suwet’en remercient ses partisans de leur dévouement inlassable. Et maintenant, les chefs ont besoin de temps pour discuter avec la Colombie‑Britannique et le Canada dans une atmosphère de wiggus (respect)’’, peut‑on lire dans le communiqué publié jeudi après‑midi par les chefs héréditaires. »

Le mouvement climatique, malgré moult déclarations d’appui, n’a pas été au rendez‑vous dans la rue. Il y a bien eu une poignée de jeunes gens cagoulés qui ont tenus des barrages une journée ou deux. Il faut saluer leur courage et leur détermination et regretter leur gauchisme qui se manifestait par un comportement complotiste de refus de s’expliquer et de parler aux journalistes, à quelques déclarations lapidaires près. C’est ce qu’on appelle créer un événement puis se tirer dans le pied. Il ne faut pas se surprendre que cette attitude bizarre n’ait pas été invitante. Il faut signaler plusieurs rassemblements à l’initiative de petits groupes, qui comprenaient souvent de jeunes autochtones, mobilisant par réseaux sociaux qui ont parfois regroupé un peu plus de mille personnes. Mais on était loin du compte de la gigantesque manifestation de Montréal alors que pourtant le prix gagnant aurait pu être une victoire stratégique résultant en l’échec d’un projet majeur de GNL qui, après l’abandon de l’immense projet d’exploitation des sables bitumineux par Teck Frontier, aurait signifié une défaite majeure de la bourgeoisie canadienne ayant misé sur l’axe Toronto‑Calgary.

Pour rassembler en masse, on se serait attendu que bougent les principales organisations nationales québécoises et canadiennes. Elles sont restées prisonnières de leurs propres campagnes et fascinées par le réformisme gouvernemental. Quant au NPD, c’est l’un de ses députés qui a servi de médiateur entre le gouvernement fédéral et les chefs traditionnels Wet’suwe’ten ! Québec solidaire croit s’en tirer par son refus d’entériner au parlement une motion de la CAQ et des deux autres partis d’opposition sur cette crise parce qu’on n’y parlait pas du rôle des autochtones et de la nécessité du pacifisme. Cette joute parlementaire les dédouanerait de prendre position sur le fond ‑ le refus de ce projet GNL en Colombie britannique et le droit souverain autochtone de dire non ‑ et sur la méthode ‑ la pertinence et le courage politique de faire des barrages même si cette méthode n’est pas condamné sans compter le refus d’envisager de recourir à la désobéissance civile en ce qui concerne le parti. À l’interne, le parti a envoyé une lettre aux membres relatant la visite de la porte‑parole aux Innu, Inuit et Mik’mak l’été dernier ‑ six mois plus tard ! ‑ mais sans dire un mot sur la présente crise ni sur la nouveauté de la Commission nationale autochtone (CNA). Ajoutons l’absence du parti y inclus au moins un député, sauf la CNA à sa propre initiative, à la manifestation de soutien aux Wat’su’weten à Montréal laquelle manifestation a mobilisé plus de mille personnes.

Complément 4 Une sourde inquiétude : La crise canadienne en devient une québécoise

Les négociations entre les chefs traditionnels Wet’suwe’ten et les ministres des affaires autochtones fédéral et britanno-colombien s’allongent sans aucun résultat concret. Non seulement les chefs ont-ils mis de l’eau dans leur vin quant aux conditions soit admettre que la GRC continue de patrouiller le territoire ancestral non cédé, sauf le chemin litigieux, et se contenter que les travaux cessent pour le temps des négociations. De plus, les chefs se sont poliment plaints qu’ils doivent négocier avec des ministres sous-fifres et non pas avec leurs vis-à-vis soit les Premiers ministres, ce qui est diplomatiquement une insulte en termes de rapports nationaux égalitaires. Les rapports faits aux journalistes donnent l’impression qu’on y parle de mille et une choses sauf du sujet litigieux central, soit l’arrêt définitif ou non de la construction du gazoduc. Le fond de l’affaire est pourtant clair. « Selon le chef de l’APNQL [Ghyslain Picard], l’attitude du gouvernement fédéral dans le dossier des chefs héréditaires wet’suwet’en va à l’encontre de ce qu’il s’est lui-même engagé à respecter en signant, en 2007, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. » Il ne s’agit pas de blâmer les chefs mais de constater un rapport de force très déséquilibré suite à une médiocre mobilisation du mouvement climatique et même des autochtones sauf des Kanien’kehá:ka et des Mig’maq.

On a l’impression que du côté fédéral il n’y a plus d’urgence étant donné que leur dite crise ferroviaire est terminée grâce au démantèlement du barrage de Tyendinaga à l’est de Toronto bien que l’arrêt des travaux de construction du gazoduc ne puisse se prolonger indéfiniment. La crise ferroviaire est dorénavant québécoise ce qui laisse les nations en présence, toutes sous la chape du fédéral, se regarder en chiens des faïence sur fond de souvenirs pénibles de litiges historiques soit la crise d’Oka de 1990 et la « guerre du saumon » de 1981. Comme ces barrages durent depuis plus de deux semaines, ça commence à faire mal comme le montre un échange de propos entre deux personnes gaspésiennes : « ...la population demeure partagée sur le barrage. Il y a beaucoup de gens qui ont perdu leur emploi à cause de ça. [Les manifestants] ne devraient pas être capables de contrôler le gouvernement comme ça, lance une dame. Le gouvernement fédéral se traîne un peu les pieds, mais les Autochtones ont leurs idées et il faut les respecter, réplique un homme. » Le scénario des événements obéit comme par exprès à la règle d’or de la domination, diviser pour régner.

Le poids des responsabilités n’est pas partagé également pour autant. Les deux communautés autochtones impliqués ont fait le courageux choix de la solidarité qui les lie à la décision des chefs Wet’suwe’ten. Les Kanien’kehá:ka de Kahnawake ont même fait l’astucieuse proposition de substituer leur police à la GRC sur le territoire Wet’suwe’ten ! On peut penser qu’ils appliqueraient la loi... de la Déclaration des Nations unies. Cette solidarité est le fil de plomb du tissu de contradictions manigancé par le gouvernement fédéral. Le Premier ministre « AK-47 » du Québec doit le comprendre. C’est à son gouvernement d’atténuer les pertes économiques des travailleurs mis à pied, des navetteurs (par des autobus spéciaux) et des PME, sans plus. Une telle politique ouvrirait la porte à une pression conjointe des gouvernements des trois nations sur le machiavélique gouvernement fédéral de régler avec les chefs traditionnels à leur satisfaction. C’est là bien sûr trop demander à la CAQ qui a choisi une politique identitaire pour ne pas dire raciste. Prendre ce chemin envenimant les frustrations mènerait au garrocheux de roches de Ville Lasalle d’il y a trente ans jusqu’à l’affrontement armé.

La seule possibilité d’une telle issue, qui malheureusement augmente en probabilité, doit inciter le mouvement climatique et en premier lieu Québec solidaire à dépasser le pacifisme, l’appel au dialogue et même le pur appui platonique. Le temps est venu à leurs responsables, chefs de file et député-e-s de visiter les barrages autochtones au vu et au su de toutes et tous, d’appeler à de grandes mobilisations d’appui au nom de garder les hydrocarbures dans le sol, d’appliquer rubis sur ongle la règle du consentement informé et préalable de la Déclaration des Nations unies, de compenser les inconvénients des barrages... et d’en finir avec les menaces judiciaires et les insinuations et les insultes.

Note : Le texte complément 3 dit « Quant au NPD, c’est l’un de ses députés qui a servi de médiateur entre le gouvernement fédéral et les chefs traditionnels Wet’suwe’ten ! « Il aurait fallu lire « …. Un ancien député NPD... ».

Complément 5 : Des intérêts irréconciliables marquent une (més)entente surréaliste

À propos de la (més)entente concluant les négociations entre les ministres des affaires autochtones fédéral et de la Colombie britannique, voici ce que dit : –Le porte-parole des chefs traditionnels :

« Le chef Woos, l’un des chefs héréditaires de Wet’suwet’en, a déclaré que la proposition représentait une étape importante pour reconnaître les droits des chefs héréditaires sur leur territoire traditionnel. Woos a déclaré que les dirigeants héréditaires restent opposés au pipeline. Il a averti les développeurs que les chefs héréditaires continueront de protéger leurs eaux, leurs habitats fauniques et leurs sites traditionnels avec ’’tout ce que nous avons. En tant que Wet’suwet’en, nous sommes la terre et la terre est la nôtre", a-t-il dit. Nous n’allons pas chercher d’autres moyens. [...] Nous allons tenter d’avoir d’autres conversations avec la Colombie-Britannique, avec le promoteur du projet et avec la Gendarmerie royale du Canada’’, a déclaré le chef Woos. »

–Le ministre NPD des affaires autochtones de la Colombie britannique et TC Energy : « Fraser a déclaré que l’accord provisoire sur les terres et les titres ne serait pas rétroactif sur la question du pipeline et que les parties n’étaient toujours pas d’accord sur la façon d’aller de l’avant. "Le projet qui est en place, il a été autorisé et il est en cours", a-t-il déclaré. Coastal GasLink a publié une déclaration dimanche pour dire qu’il "apprécie" que le titre et les droits de Wet’suwet’en ont été identifiés, mais que la société ades permis en place et qu’elle a l’intention de reprendre les activités de construction lundi. »

–La ministre Libéral des affaires autochtones du Canada : « Bennett a déclaré que les derniers jours de négociations avaient porté sur l’apprentissage et l’humilité. "Les titulaires de droits seront toujours à la table. Et c’est la voie à suivre pour le Canada", a déclaré Bennett. »

On verra comment pareille cacophonie déboulera dans les prochains jours et même dès demain, lundi. Pas plusque le gouvernement britanno-colombien ne veut lâcher le gazoduc pendant que celui fédéral se cache derrière lui pour sauver son hypocrite « réconciliation », les chefs traditionnels ne lâchent rien malgré un appui externe s’étant réduit aux barrages de Kahnawake et de Listiguj mais aussi une dissidence interne fort visible. Sur les lieux de la négociation en territoire Wet’suwe’ten, un groupe d’une douzaine de dissidents internes favorable au gazoduc pour les avantages économiques qu’il procure s’est manifesté allant jusqu’à s’insurger sur les lieux de la rencontre pour se faire entendre. Rappelons qu’en plus cinq des six conseils de bande régissantles réserves, où ne passe pas le gazoduc, avaient accepté le gazoduc en retour de compensations. Du côté des barrages au Québec, c’est l’expectative « où l’on indique aussi attendre un appel clair des chefs héréditaires wet’suwet’en pour lever la barricade. »

Complément 6 : Le peuple canadien, et québécois encore plus, appuie les autochtones

Même si on ne connaît pas encore les détails de l’accord, on en saisit trop bien l’orientation : « John Horgan dit que l’accord de Wet’suwet’en n’arrêtera pas la construction de Coastal GasLink. Le Premier ministre de la Colombie britannique a déclaré que l’accord de principe conclu avec la province et le gouvernement fédéral se concentrera sur la question des droits et des titres mais pas sur le pipeline prévu qui a déclenché des manifestations à l’échelle nationale. "Il y a une différence d’opinion autour du projet Coastal GasLink, mais les permis sont en place, il est approuvé, il est en cours", a déclaré Horgan, »

Voilà qui est clair ! Quel contraste avec le cynisme du Premier ministre du Canada : « Trudeau a souligné que les gouvernements fédéral et provincial avaient déjà travaillé avec la nation Wet’suwet’en sur des questions de droits, y compris un accord signé avec Ottawa en 2018 donnant aux Wet’suwet’en pleine juridiction sur leurs propres services à l’enfance et à la famille. Le nouvel accord, s’il est accepté par la communauté, s’appuiera sur ce travail, a déclaré Trudeau. Tout en ne le disant pas ouvertement, les remarques de Trudeau laissaient entendre qu’Ottawa espère que l’entente pourra aider à réduire l’opposition au projet de pipeline de GNL. »

Les gouvernements du Canada et de la Colombie britannique ont d’abord acheté à coups de dollars les chefs de bande devant gérer les hauts taux de chômage et de pauvreté de leurs communautés eux‑mêmes causés par le vol colonial de leurs terres ancestrales qui les faisaient vivre et structuraient leur société et leur vision du monde. Ne pouvant plus contourner les chefs traditionnels qui évoquent l’arrêt Delgamuukw de 1997 dont ils sont à l’origine avec ceux des Gitxsan et la Déclaration des Nations unies exigeant « le consentement libre, préalable et éclairé », les gouvernements fédéral et provincial leur ont promis un protocole formel, dont on connaîtra bientôt les détails... où se logent le diable, leur assurant probablement que la prochaine fois on ne les « oublierait » pas... sans garantie de résultat final. Je présume que les chefs traditionnels, étant donné le rapport de force dégradé auquel ils faisaient face, sont allés chercher ce qu’ils pouvaient laissant tomber la revendication clef du rejet du gazoduc tout en n’abandonnant pas leur position pour autant.

« S’ils sont en colère contre les barricades qui les privent d’un train de banlieue, les Québécois ne laissent pas ce sentiment colorer leur perception des causes autochtones. C’est ce que révèle un sondage Léger mené pour le compte de La Presse canadienne. [.] Les chiffres suggèrent également que la plupart des Canadiens blâment le gouvernement fédéral pour la crise qui a éclaté après l’arrestation de partisans des chefs héréditaires de Wet’suwet’en en Colombie‑Britannique. [.] Une majorité de répondants ‑ 57% ‑ ont dit croire que les revendications territoriales autochtones sont valides et [.] appuyaient massivement la consultation des groupes autochtones sur les projets de développement. Le vice‑président exécutif de Léger, Christian Bourque, affirme que cela représente un changement majeur dans le soutien du public aux questions des droits des autochtones par rapport aux décennies précédentes. Mais quand il s’agit de savoir si les peuples autochtones devraient avoir un droit de veto sur les développements majeurs sur leurs terres, l’enquête Léger suggère que l’opinion est plus divisée [.] Les Québécois sont aussi prêts à donner un droit de veto aux Premières Nations ‑ 55 % pour ce droit de veto et 31 % contre ‑ lorsqu’il s’agit de projets d’infrastructures. À comparer, dans le reste du Canada seulement 38 % seraient en faveur de pareil droit de veto, 44 % s’y opposeraient. »

Ce serait unilatéral de considérer seulement la montée du racisme. L’avers de la médaille reluit plus que le revers. Resterait à le démontrer dans la rue comme l’ont fait environ 500 personnes à Montréal il y a encore quelques jours au moment où les Kanien’kehá:ka (et les Mig’maq) démontaient leurs barricades tout en maintenant leur feu sacré. « À la prochaine » comme disait l’autre.

Marc Bonhomme
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c a

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