Édition du 30 avril 2024

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La marche du FNL, un succès de la mobilisation et des revendications

Après une période de préparation et d’alliances, la marche du Front national des Luttes des campagnes et des villes (FNL) a atteint ses objectifs de manière victorieuse.

19 novembre 2021 | tiré et traduit de la revue Revista movimiento -

Ce fut une marche de 70 km entre Sorocaba et la capitale São Paulo, commencée le 10 novembre, au long de six jours. 1500 militants se sont mobilisés, paysans pauvres, combattants pour le droit au logement et activistes des mouvements sociaux ont apporté leur soutien. Le bilan est complètement positif, du début à la fin. Dès que l’idée même de réaliser une telle marche a été lancée, elle s’est trouvée continuellement menacée par le gouvernement et les tribunaux : convocations, interdictions et autres expédients. Mais le gouvernement de l’État a été finalement contraint d’organiser une réunion avec le secrétaire à la sécurité publique et l’Institut des terres de l’État de São Paulo (ITESP) le troisième jour de la marche.
Le MES (Mouvement de la Gauche Socialiste) est fier d’avoir perçu dès le départ le potentiel de cette marche avec les combattants pour le droit à la terre. Nous avons défendu cette initiative au sien du PSOL et parmi l’avant-garde combative des mouvements sociaux et de la jeunesse, un effort qui a joué un rôle décisif dans la concrétisation de la marche.

Lorsque de nouveaux acteurs entrent en scène

La marche a été préparée par une nouvelle vague d’occupations de terres dans la région de Pontal do Paranapanema, qui a commencé en juin de cette année. L’offensive du FNL dans l’ouest de São Paulo a attiré l’attention des mouvements sociaux et du gouvernement de São Paulo, qui depuis de nombreuses années n’avait pas vu surgir chaque semaine de nouvelles occupations avec des centaines de familles, qui vont se transformant en grands campements organisés avec des militants déterminés à résister pour conquérir un bout de terre où vivre et travailler pour assurer leur subsistance.

Cette méthode de lutte sociale a remis à l’ordre du jour le débat historique sur la réforme agraire au Brésil. Une grande partie de notre territoire est constituée de terres en friche, tandis que des milliers de familles n’ont nulle part où vivre. De même, il n’y a pas de politiques en faveur de l’agriculture familiale, qui pourtant résiste et produit une part fondamentale de l’alimentation des régions urbaines. Aujourd’hui, alors que le pays refait son apparition sur la carte de la faim dans le monde, il est urgent de considérer la réforme agraire comme l’axe de la solution pour combattre l’insécurité alimentaire et la pauvreté.

Les scènes de la marche sur la route rappelaient fortement les grandes marches pour la réforme agraire menées par le MST dans les années 1990. Toutefois, le Brésil a beaucoup changé depuis lors. Le scénario est différent.

Dans le Brésil de Bolsonaro, avec Nabban Garcia (fondateur et organisateur des milices rurales de l’UDR) à la tête du Secrétariat aux Questions Ffoncières, la tension dans la lutte rurale s’est accrue. Une partie de l’agrobusiness, basée à Pontal do Paranapanema et dans tout le centre-ouest brésilien, est une base fondamentale pour les mobilisations fascistes, comme nous l’avons vu le 7 septembre à Brasilia.
Du point de vue de la crise sociale, la conjoncture est très grave. Prix élevés, hausse du carburant. L’indignation populaire est encore contenue. L’entrée en scène du FNL brise cette retenue et montre l’exemple à des centaines de milliers de personnes qui souffrent de la profonde crise sociale. Les occupations de terres et de logement vont se multiplier.

Un chemin riche d’enseignements

Le chemin pour préparer la marche a été long. En octobre, une quarantaine de mouvements, parmi lesquels des partis, des collectifs de jeunes, des syndicats, des centrales syndicales et des associations, ont tenu une réunion de mobilisation à São Paulo. La réunion, à l’initiative du MES, a rassemblé d’importants secteurs sociaux pour élargir la base de soutien à la marche et aux revendications du FNL, et renforcer la campagne de collecte financière indépendante et inciter les caravanes venues de d’autres points de l’état de São Paulo et d’autres états à participer à ce moment historique.

Dès le mardi 9 novembre au soir, des centaines de militants se sont concentrés au km 79 de l’autoroute Castelo Branco à Sorocaba. Mercredi, plus d’un millier de marcheurs, bonne surprise, pour le premier jour de la marche ont démontré leur organisation, leur discipline mais surtout leur fierté de renouer avec la tradition de marches et des manifestations de rue. Pendant que les jeunes présents apportaient leur soutien et renforçaient les liens de camaraderie avec les combattants de la campagne, les militants du FNL enseignaient la combativité et l’endurance aux nouveaux militants, qui jusqu’alors n’avaient connu cette méthode de lutte sociale que par quelques livres d’histoire.

Les marcheurs parcouraient en moyenne entre 10 et 14 kilomètres par jour et commençaient toujours à l’aube. L’arrivée ne signifiait pas une pause, au contraire. Il y avait un camp à installer, afin que les marcheurs, pour les repas de la journée et le repos de la nuit, bénéficient d’un peu de confort. Partir à l’aube pour arriver au prochain point d’arrêt alors que le soleil n’est pas encore très chaud est une tactique pour essayer de minimiser l’effort des familles qui avec des enfants et des personnes âgées dans les rangs de la marche. Le FNL a enseigné l’auto-organisation et la collectivité.

Le vendredi 12, la rencontre avec le secrétaire à la sécurité publique, João Camilo Pires de Campos, et les représentants de l’ITESP, sous la médiation de Raul Marcelo, député de l’état de São Paulo (PSOL), a montré la force de la marche. Le gouvernement s’est engagé à délimiter les terres publiques revendiquées par le Front, et à commencer l’enregistrement des milliers de familles qui participent aux campements dès ce mois de novembre, entre autres mesures. L’arrivée à l’étape de Barueri le samedi a été célébrée par une grande séance plénière réunissant tous les militants.

Un partenariat qui fonctionne

Dimanche, la marche a atteint son point culminant par un meeting de clôture au siège du Syndicat des travailleurs du métro, où tous les marcheurs se sont rencontrés. Clôturer la marche par un acte politique dans un lieu traditionnel des travailleurs du métro, un lieu constamment menacé par le gouvernement de São Paulo, était aussi un acte de résistance et un geste qui symbolisait la solidarité active entre les combattants de la campagne et la catégorie des travailleurs du métro, reconnue pour sa combativité et ses grèves historiques dans la ville. L’alliance du MES et du FNL, comme l’a dit le camarade Marron, leader du FNL d’Alagoas, est "un mariage qui a bien fonctionné". Même avec la fatigue de plusieurs jours de lutte, le meeting de clôture a été émouvante et a renforcé la volonté de lutte du mouvement.
La marche est terminée mais les activités du FNL ne se sont pas arrêtées là. Lundi, un grand acte a marqué la fondation d’un noyau du Front dans la zone sud de la capitale São Paulo, à Grajaú. Le 15 novembre (date anniversaire de la fondation de la République) aurait dû voir les revendications populaires et le Fora Bolsonaro envahir la rue. Cependant, tout au long du mois d’octobre et des dernières semaines, la mobilisation de l’ensemble des mouvements sociaux a été démantelée par les partis et les collectifs qui ont insistent pour s’en remettre aux élections présidentielles de 2022, se soumettant á l’agenda électoral de Lula.
Le lendemain, complétant déjà une semaine de mobilisation, le FNL a créé la surprise avec des actes politiques décentralisés à Campo Grande, Brasília, Porto Alègre et Maceió. Cet agenda de mobilisations nationales vise à accélérer l’expropriation des terres déjà inspectées par l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA), un processus qui a été totalement paralysé pendant le gouvernement Bolsonaro. À Campo Grande, où se trouvait le coordinateur national du FNL, Zé Rainha, environ 300 militants ont défilé dans la capitale. "Ce qui fait avancer la lutte, c’est la nécessité. Il ne suffit pas d’avoir l’envie si, dans la pratique, nous ne cherchons pas la lutte comme voie et l’alliance avec les combattants du peuple" - a prévenu Beto, le coordinateur du FNL dans le MS (état du Mato Grosso du Sud).

Le combat pour la liberté continue

Le FNL se bat aussi devant les tribunaux contre la persécution politique. Le processus illégal qui a condamné Zé Rainha et Claudemir Novais à la prison, une fois de plus, a généré une campagne nationale pour la liberté des coordinateurs d’autres leaders régionaux également persécutés par les propriétaires terriens et l’État, comme Diolinda Souza. Le droit de lutter pour la terre et pour la réforme agraire est une revendication fondamentale, non seulement pour les militants du FNL, mais aussi pour tous ceux qui considèrent le gouvernement Bolsonaro comme une menace constante pour les mouvements sociaux et ceux qui luttent pour défendre leurs droits. Nous poursuivons cette campagne pour défendre la liberté de ceux qui luttent.

Nous avons tous à la fois appris et contribué au processus de construction de la marche. Le partenariat entre le MES et le FNL a démontré, à travers la mobilisation et l’appel à occuper les terres publiques, et maintenant avec la marche, que seule la combativité et les initiatives collectives permettent de faire face à des gouvernements autoritaires comme celui de Bolsonaro. Ce n’est que de cette manière qu’il sera possible de faire avancer la réforme agraire et de reprendre le débat sur la fonction sociale de la terre au Brésil et de renforcer la résistance aux attaques du gouvernement fédéral. L’alliance entre le MES et le FNL se fonde aussi sur cette vision commune de l’urgence de la lutte, qui ne peut attendre les définitions électorales. La lutte continue.

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