Édition du 30 avril 2024

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États-Unis

La misogynie de Donald Trump et les intérêts des médias

Christian Christiensen [1], countercurrents.org, 10 octobre 2016,
Traduction, Alexandra Cyr,

Il y a 20 ans, le grand humoriste Bill Hicks, dans un de ses spectacles classiques, a imaginé que des publicitaires visionnaient ses divagations contre la publicité et les commentaient entre eux : « AH ! Je vois ce que Bill fait ! Il s’en prend au marketing, à l’argent qui y est consacré. Il clame son indignation morale ! C’est pourtant de l’argent bien placée » ! Bill Hicks mettait en évidence l’habileté de la publicité à monnayer, de manière cynique, tout et n’importe quoi même la critique la plus vulgaire du désir de publiciser tout et n’importe quoi pour le monnayer.

Confronté aux lamentations des médias à propos de Donald Trump, je constate qu’ils ne tiennent aucune discussion sérieuse quant à leur propre rôle dans la création de l’environnement hostile et sexiste dans lequel sa grotesque vision du monde peut s’épanouir. Il convient de se demander si le travail des médias n’est pas de fait la publicisation de tout et n’importe quoi.

Encore une fois, D. Trump s’est présenté comme le misogyne que beaucoup d’entre nous soupçonnions. Et encore une fois, comme pour le racisme et l’islamophobie, les médias américains se sont empressés de crier au scandale devant ses commentaires dégoutants de 2005.

Je ne doute pas de la sincérité des attaques contre Trump de la part des journalistes à titre personnel. La responsabilité du choix des mots ne peut revenir qu’à Donald Trump lui-même. Mais ses propos grossiers nous rappellent à quel point le traitement des hommes et des femmes est différencié socialement y compris dans les médias. C’est un élément important dans cette histoire.

Le langage de Trump ne sort pas d’un vide social. Et comme collectif industriel, ont trouve dans les médias américains une représentation des femmes qui soulève la honte. Il est d’ailleurs assez ironique de lire les articles contre D. Trump et, quelques pages plus loin, de voir des mannequins anémiques qui font la publicité de leurs vêtements propageant un idéal de corps féminins non seulement impossible à atteindre mais destructeur. La même ironie existe à la télévision, chez les commentateurs-trices qui, blâment D. Trump pour sa honteuse glorification des abus sexuels alors que les « femmes d’un certain âge » sont retirées de l’écran dans le silence pour les remplacer par de « jeunes talents plus attrayantes ». Ajoutez à cela que les femmes sont sous représentées à la télévision et dans le cinéma populaire, qu’on ne les y entend pas et vous atteignez un sommet dans l’ironie.

Bien sûr, le discours de Trump est une bonne occasion pour les médias de s’attribuer quelques bonnes notes : sur le racisme, sur l’islamophobie, sur le sexisme. Le problème toutefois est que le racisme, l’islamophobie et le sexisme de Donald Trump n’est pas contre balancé par un élargissement de la présence des Afro-Américains-es, des musulmans-es et des femmes en général. Au contraire, la plupart du temps, ils soutiennent ces écarts. On est en droit de raisonnablement se poser des questions devant des éclats d’indignation dans les éditoriaux alors que l’étendue du silence dans les nouvelles des médias populaires du pays à contribué à donner de la crédibilité au discours de Donald Trump, aux insultes (que les femmes sont des objets sexuels inférieurs) qu’ils condamnent maintenant. Pourquoi les femmes d’un certain poids et d’un certain âge ne peuvent-elles pas faire valoir leurs talents à la télévision ? Où donc sont les tables rondes de commentateurs-trices qui s’intéressaient au contrôle corporatif des médias et de la publicité qui, toutes deux définissent les contours de la représentation féminine ? Cette absence d’auto critique sur le rôle des médias joue comme une tentative délibérée de faire dévier le débat et déconcerter le public. Ça n’absout pas D. Trump pour autant mais donne leur part de responsabilité à ceux et celles qui ont le pouvoir sur le flot de nouvelles, d’informations et de divertissements.

Oui, Donald Trump est le vilain dans cette histoire. Mais étrangement, ce n’est que lorsque D. Trump s’exprime outrageusement sur ces sujets, que le sexisme, le racisme et la xénophobie structurels deviennent plus importants ; c’est le message plus large qu’on peut tirer ici. Quand on s’arrête à l’histoire des médias américains, on se trouve face à la duplicité et à l’hypocrisie.


[1Journaliste américain qui enseigne à l’Université de Stockholm

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