Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

La politique économique péquiste fait du gouvernement un accompagnateur docile et zélé du secteur privé

Le gouvernement Marois a lancé le 7 octobre dernier sa politique économique intitulée « Priorité emploi » [1]. Le caractère électoraliste de l’opération ne fait aucun doute. D’ailleurs, il est prévu que cette politique économique sera déployée devant les médias par les ministres responsables de ses différentes dimensions au cours des prochaines semaines. Cette présentation s’inscrit dans le cadre d’une multiplication d’annonces de subventions aux entreprises. Elle doit faire la preuve que le gouvernement péquiste est capable de s’occuper d’économie et de création d’emplois. Cela était un impératif incontournable pour la prochaine campagne électorale.

Une politique qui fait du soutien au secteur privé, l’essentiel de l’action gouvernementale

À un premier niveau, le gouvernement présente quatre mesures visant à créer des emplois à court terme dans toutes les régions du Québec : 1. utilisation des surplus d’électricité pour générer des investissements et des emplois ; 2. accélération des investissements publics prêts à démarrer pour moderniser les écoles et les infrastructures sportives et de loisir ; 3. stimulation des investissements des particuliers et des entreprises ; 4. poursuite des investissements dans les infrastructures du Nord.

À un deuxième niveau, la politique économique visera à moyen terme 1. à favoriser la recherche et l’innovation ; 2. à mettre en route une politique industrielle québécoise ; 3. à développer le commerce extérieur du Québec et 4. enfin à élaborer une stratégie d’électrification des transports.

Pendant que le gouvernement péquiste augmente le prix de l’électricité pour la majorité de la population, il s’apprête à vendre à rabais les surplus d’énergie hydroélectrique à de grandes entreprises particulièrement consommatrices d’énergie. En plus d’être particulièrement injuste, et de favoriser une inégalité encore plus importante dans la distribution des richesses, la diminution du coût d’un facteur de la production, cette vente au rabais de l’énergie hydroélectrique, ne constitue en rien une assurance que, dans l’actuel contexte international, des acheteurs se présenteront en grand nombre sur ce marché. On se souviendra des fermetures d’entreprises dans le secteur de l’aluminium suite au ralentissement de l’économie mondiale. On trace là des perspectives bien hypothétiques et bien hasardeuses pour la relance de l’emploi...

Si ce n’est la mesure concernant la modernisation des écoles et des infrastructures de sport et de loisirs (et rien ne nous dit que ces investissements ne se feront pas en PPP), l’ensemble de mesures proposées vise à stimuler l’investissement des entreprises privées par des subventions et des crédits d’impôt. C’est avec de telles politiques de défiscalisation des revenus des entreprises que les gouvernements s’endettent et qu’ils cherchent par la suite à faire payer la population cet endettement en coupant dans les services publics.

Pour ce qui est du développement du Nord, Jean Charest y retrouverait sans doute ses petits. Le gouvernement prend en charge la construction d’infrastructures (port, chemin de fer, routes) qui seront payées par la population, mais elles serviront essentiellement à l’exploitation des ressources naturelles du Grand Nord par les grandes entreprises multinationales que le gouvernement espère attirer en leur livrant des conditions d’exploitation peu coûteuses et clé en main. Quand les Libéraux mettaient de l’avant une telle politique, on parlait de bradage des richesses naturelles au profit des multinationales. On questionnait le caractère marginal et temporaire de ce type de création d’emplois. Maintenant, on nous ressort la perspective d’un nouvel Eldorado.

Crédits d’impôt et subventions, des mesures qui ont déjà fait la preuve de leur inefficacité

Cette politique s’inscrit dans la logique mise de l’avant par les gouvernements néolibéraux à Ottawa. Ces derniers ont diminué les impôts des entreprises comme une panacée pour la création d’emplois. Depuis le début les années 2000, au niveau fédéral, les gouvernements libéral et conservateur ont réduit les impôts des entreprises de 28% à 15%. Ces réductions d’impôt n’ont pas débouché sur la création de nouveaux emplois, mais sur une accumulation sans précédent d’argent dans les trésoreries des entreprises. [2]

Malgré ces réductions d’impôts, « entre 2002 et 2011, il s’est perdu 160 000 emplois dans le secteur manufacturier québécois. Certaines régions ont été particulièrement touchées, c’est le cas de Montréal (56 700), de la Montérégie (30 200), de Chaudière-Appalaches (10 600) et de l’Estrie (10 300). Seules les régions du Bas-Saint-Laurent et des Laurentides ont connu une hausse de l’emploi manufacturier au cours de la dernière décennie (+ 1500 et 1800 respectivement). [3] Le gouvernement péquiste prétend qu’administrer une médecine qui s’est déjà avérée inefficace va lui permettre de relancer l’économie québécoise. Le recul du secteur manufacturier québécois est lié à la restructuration de la division internationale du travail et de la nouvelle place occupée par les pays émergents dans la production industrielle de nombreux secteurs. Agir sur la marge bénéficiaire des entreprises n’est pas central à la restructuration de notre secteur manufacturier.

Les différentes organisations patronales sont ravies, mais ne promettent rien et demandent davantage...

Parmi ses initiatives stratégiques, le gouvernement Marois met de l’avant une politique de développement du commerce extérieur. On comprend qu’il s’agit de socialiser les coûts liés aux démarches d’exportation pour favoriser les profits des entreprises. L’organisation patronale, Les Manufacturiers et exportateurs du Québec écrit : « … le gouvernement du Québec semble ainsi admettre que les entreprises du Québec ont besoin d’un coup de pouce imminent, dans un contexte économique qui reste trop incertain pour investir de manière significative. » N’est-ce pas une mise en garde ? Et, on veut nous faire croire que des crédits d’impôt ou des subventions diverses vont changer ce contexte.

Cette organisation salue également la réduction de 300 millions à 200 millions le seuil d’investissement pour avoir droit au congé d’impôt pour les grands projets d’investissements. (MEQ) Mais cela n’est pas suffisant pour cette organisation patronale : « Nos membres attendent, en complément de la politique industrielle, une ouverture pour la réduction du poids des ponctions fiscales sur la masse salariale et un plan de réduction des taux statutaires d’imposition sur les revenus des entreprises.... » [4]

Le Conseil du patronat va dans le même sens. [5] Il se réjouit « de la panoplie de mesures proposées » mais, il exige davantage. Il ne décèle pas un « véritable plan stratégique qui vise résolument les déterminants de la prospérité, tels la réglementation (lire la déréglementation), la fiscalité globale et l’environnement d’affaires (lire la défiscalisation et la flexibilisation de la main-d’oeuvre) ». La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante précise les demandes patronales : « Quand on sait que les taxes sur la masse salariale sont 45% plus élevées que dans le reste du Canada, on comprend qu’on incite peu les entreprises à créer davantage d’emplois. » [6]

La Fédération des chambres de commerce de Québec reconnaît dans la politique économique péquiste les demandes pour lesquelles « elle a milité au cours des derniers mois : l’instauration d’un crédit d’impôt pour la rénovation verte, la majoration de 10 points de pourcentage des taux majorés du crédit d’impôt pour les PME manufacturières... ». [7]

Le développement du secteur des énergies renouvelables et celui du transport électrifié sera laissé aux mains des entreprises multinationales comme l’a été celui de l’éolien

La politique péquiste laisse le développement du tissu industriel sous la mainmise des multinationales qu’il s’agirait d’attirer au Québec au prix fort s’il le faut. Le développement des énergies vertes restera donc aux mains du privé. L’expérience négative du secteur éolien qui s’est développé de façon anarchique et au mépris du contrôle citoyen risque donc de se répéter. Si le développement des autres énergies renouvelables se fait sans plan d’ensemble, sans une planification écologique véritable et au gré des plans d’investissements des multinationales, on peut compter que la population du Québec se voit retirer tout contrôle démocratique sur le développement énergétique au Québec. Quand on sait, que les entreprises pétrolières comme TransCanada investissent dans les économies vertes, on peut douter qu’elles agissent par réflexe écologique. Au contraire, leur contrôle sur le développement des énergies renouvelables, prend en compte, que ce secteur ne doit pas se développer trop rapidement mettant en danger le capital qu’elles ont investi dans le secteur des énergies fossiles... Et, elles continuent aujourd’hui à investir dans l’exploitation d’un pétrole de plus en plus dangereux en ce qui a trait au dégagement de gaz à effet de serre.

La perspective de l’exploitation des énergies fossiles est une composante de la politique péquiste

« Malgré la diminution de la consommation, dans un avenir prévisible, le pétrole demeurera une composante importe du bilan énergétique du Québec. À cet égard, le gouvernement doit donc viser la diversification et la sécurisation des sources d’approvisionnement au meilleur prix possible du pétrole consommé par les Québécois. » [8]. Et le gouvernement voit des perspectives prometteuses pour l’exploitation du pétrole en Gaspésie, à l’île d’Anticosti et dans le golfe St-Laurent. L’exploitation du pétrole permettrait de réduire la dépendance du Québec aux importations pétrolières. Les préoccupations gouvernementales ne dépassent pas la mise en place d’une exploration sécuritaire des énergies fossiles. Toute volonté de penser un plan de sortie du pétrole face aux problèmes du réchauffement climatique est en dehors de l’horizon de ce gouvernement qui se dit écologiste. Pourtant...

« Regardons les faits : l’exploitation des énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz naturel – compte pour 60% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Nous en émettons 90 millions de tonnes dans l’atmosphère chaque jour. Ces émissions détruisent le climat que nous connaissons, et sur lequel reposent les écosystèmes qui soutiennent la vie sur Terre. Les grandes agences internationales, des Nations unies au G20, en passant par l’OCDE et la grande majorité des scientifiques du monde, indiquent qu’il faut réduire maintenant et radicalement, l’utilisation des carburants fossiles. » [9]

« ... La « pétrodollarisation » de la devise canadienne nuit gravement aux autres secteurs d’exportation, notamment le secteur manufacturier. Dans une dynamique de fédéralisme qui favorise les sables bitumineux, le Québec et d’autres provinces comme l’Ontario s’en retrouvent inévitablement pénalisés. » [10]

Favoriser l’utilisation des énergies fossiles dans l’économie, c’est soumettre le Québec et ses ressources naturelles à l’avidité de ses capitalistes. À preuve, ils veulent nous faire croire que le transport des matières dangereuses n’est pas si dangereux que cela. Bien sûr il y a le désastre du Lac Mégantic, mais c’est la compagnie MMA qui est coupable… Et les autres trains avec des charges aussi explosives, peut-on en parler ? Sinon il va falloir transporter le pétrole par pipeline. Or ces pipelines, souvent désuets, sont encore plus à risque que les trains. En 10 ans, Enbridge a connu 804 déversements).

La transition énergétique vers les énergies renouvelables ne pourra se faire avec un cocktail d’énergies qui laisse une place importante au pétrole et aux autres énergies fossiles. Elle ne se fera pas sans élargir la responsabilité démocratique des citoyennes et des citoyens dans le développement du secteur des énergies renouvelables. À ce niveau, la politique péquiste est plus qu’inconséquente, elle est dangereuse et n’est nullement au service de la population du Québec.

L’électrification du transport – le secteur privé n’est pas le mieux placé pour faire face au poids du complexe pétrole-auto

Le développement du transport électrifié semble vouloir se faire par des entreprises multinationales que le gouvernement aura su attirer au Québec qui développeront ce secteur selon une logique concurrentielle sans plan d’ensemble véritable. Le document gouvernemental prétend que dans le transport individuel la révolution est en cours... Il ne fait aucune priorisation entre le transport collectif et le transport individuel. Pire, pour ce qui est du transport des marchandises, il fait de l’électrification des camions sa priorité, enfermant le transport des marchandises dans des infrastructures routières. Le camionnage est un facteur important dans le dépérissment de de ces infrastructures appelant des investissements sans fin. Pourtant, la construction d’un système ferroviaire moderne et électrique reste la solution la plus rationnelle à ce niveau.

En ce domaine aussi, l’État du Québec doit être le maître d’oeuvre de ce vaste chantier, et l’investissement public doit s’appuyer sur une planification écologique et démocratique où les citoyennes et les citoyens du Québec auront droit de parole. Ici, encore, le gouvernement péquiste nous présente une politique où il n’exige pas un contrôle véritable sur le développement futur du Québec, préférant laisser aux affairistes les décisions stratégiques qui auront un effet sur nos vies.

Une autre économie

Il serait bien plus juste et équitable de développer une autre économie basée sur le partage plus égalitaire de la richesse, le respect de la nature et sur le bien commun. Au lieu de penser Plan Nord, pourquoi ne pas penser Plan Vert qui fait du développement durable une de ses priorités.

Oui il est possible de bâtir une autre économie au profit de tous et toutes. Pour cela, il faut l’implication la plus large et la plus démocratique des citoyennes et citoyens du Québec. Ça, la politique économique de la Première ministre Marois n’en parle pas.

Comme l’écrit le mémoire du Réseau écosocialiste sur la politique énergétique : "Le contrôle démocratique des institutions étatiques de même qu’une planification démocratique de l’économie et de la transition écologique par les communautés locales sont les conditions essentielles à un développement qui soit réellement au service du peuple québécois. Les choix que nous faisons seront assumés par nos enfants, car les gaz à effets de serre supplémentaires seront encore dans l’atmosphère après nous. Il faut donc penser à long terme de 25 à 30 ans. L’avenir dépend de ce que nous déciderons aujourd’hui."


[1Priorité emploi, investir dans l’emploi, c’est investir dans le Québec, Gouvernement du Québec, 2013.

[2Rapport du CTC : Journée d’affranchissement de l’impôt des sociétés le 1er février - les grandes entreprises accumulent les liquidités obtenues par les réductions d’impôt sans investir ni créer d’emplois.

[4Les Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), 7 octobre 2013.

[5Politique économique – Le Conseil du patronat du Québec se réjouit de voir les questions économiques mises de l’avant, 7 octobre 2013

[6Politique économique du Québec- Des mesures intéressantes pour les PME du Québec, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)

[7Politique économique du gouvernement du Québec : la FCCQ salue les mesures destin/es aux PME, 7 octobre 2013.

[8Priorité emploi, page 84

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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