Édition du 23 avril 2024

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Canada

Le Canada, la pandémie et l’économie

Les horreurs de la pandémie entrainée par la COVID-19 forcent les États à réviser le rôle qu’ils sont appelés à jouer dans l’économie en plus de retrouver le rôle que certains d’entre eux jouèrent naguère en tant que filet social. C’est du moins l’impression que donne le Canada face à la crise exceptionnelle que nous traversons.

Je salue en ce sens l’initiative de l’État fédéral d’assurer un revenu de 2000$ par mois pendant quatre mois aux travailleurs (autonomes ou non) ne bénéficiant pas de l’assurance emploi, pourvu qu’ils aient gagné au moins 5000$ dans la dernière année. Cette initiative permet toutefois d’apercevoir aussi la pertinence d’un revenu minimum garanti, pourvu qu’il soit adapté à une vision progressiste et non comme servant de prétexte au démantèlement du filet social.

En l’occurrence, un revenu minimum garanti peut servir à remplacer un régime de prêts et bourses (du moins dans le contexte d’une éventuelle gratuité scolaire), l’assurance-emploi, l’assistance sociale, les régimes de pensions de vieillesse, la pension des anciens combattants et d’autres revenus de ce genre, mais il ne peut se substituer aux congés parentaux, aux garderies subventionnées, à l’assurance maladie universelle et à l’assurance médicaments.

On peut aussi souligner l’importance d’assurer 75% du salaire des travailleurs jusqu’à la hauteur de 58,700$ dans les entreprises canadiennes. Il s’agit d’une aide précieuse que l’État fédéral consent. Il faudrait cependant en retour que celles-ci renoncent à la délocalisation et qu’on obtienne d’elles des engagements fermes de réinvestissement dans l’économie réelle.

Une attention toute particulière devrait être accordée aux entreprises qui adopteraient le modèle coopératif. Je défends le modèle coopératif en tant qu’il illustre à merveille le concept d’une démocratie de propriétaires. En l’occurrence, il s’agit de démocratiser le capital, les moyens de production et les pouvoirs de décision. Si toute l’économie était fondée sur le modèle coopératif, on n’aurait pas les écarts que l’on connait entre les riches et les pauvres. Je renvoie à ce propos à la thèse de doctorat de Michel Séguin, intitulée Le coopératisme : réalisation de l’esprit de la philosophie libérale en économie ?, déposée au département de philosophie à l’Université de Montréal en 2004.

Il est de bon augure d’assurer des prêts aux PME canadiennes. La crise du coronavirus offre toutefois aussi l’occasion de prendre conscience de la nécessité de renforcer les politiques d’achat chez nous, et aussi de favoriser le développement des petites et moyennes entreprises assurant les services essentiels. On songe ici par exemple à la souveraineté alimentaire et en particulier à une agriculture développée en serre, mais aussi aux industries susceptibles de développer le matériel médical.

Il faudrait hausser rapidement le salaire minimum pour qu’il atteigne 15$ de l’heure. Ensuite, il faudra bien un jour réfléchir un jour à imposer un salaire maximum. À ce propos, on lira avec profit la thèse de doctorat d’un autre étudiant du département de philosophie de l’U de M, Christian Jobin, Les justes bornes de la richesse. Fondements normatifs et mise en oeuvre de la richesse maximale, thèse déposée en 2018.

Je serais sans doute favorable au rachat par la banque centrale des obligations du gouvernement fédéral à coup de 5 milliards de dollars par semaine et à l’achat de papiers commerciaux si, en retour, on réinstaurait la taxe sur le capital des banques à charte et si ces dernières réduisaient les intérêts sur les cartes de crédit.

Les initiatives locales des groupes communautaires sont bien entendu à saluer et il est heureux de voir le gouvernement québécois leur venir en aide. On est chanceux d’avoir des gens qui s’occupent, par exemple, des banques alimentaires. C’est ce nouveau mode d’organisation qui permet d’élargir et d’envisager concrètement le modèle coopératif à l’ensemble de la structure économique.

De là à annoncer comme George Monbiot le fait dans « The Horror films got it wrong. This virus has turned us into caring neighbours »,The Guardian 31 mars 2020) l’apparition d’un mode d’organisation (les Communs) qui supplanterait la nation et l’État, il y a une marge qu’il ne faudrait pas franchir. La longue énumération des bons coups d’organisations communautaires un peu partout à travers le monde ne permet pas de conclure comme dans le livre Free, Fair and Alive, de David Bollier et Silke Helfrich, à un modèle des Communs remplaçant le mode d’organisation politique de l’État par « une forme sociale qui permet aux gens de jouir de la liberté sans réprimer les autres, d’instaurer l’équité sans un contrôle bureaucratique et d’affirmer la souveraineté sans nationalisme ». ( “a social form that enables people to enjoy freedom without repressing others, enact fairness without bureaucratic control … and assert sovereignty without nationalism” )

Au contraire, on voit partout ressurgir le référent national dans la crise actuelle. Les groupes communautaires n’oeuvrent pas dans un vacuum. Ils mettent l’épaule à la roue dans un effort de solidarité nationale. Je sais bien par ailleurs que cela s’accompagne trop souvent de comportements répugnants. Les populations s’en remettent à leurs leaders politiques avec un certain aveuglement, un peu comme s’il s’agissait de guides spirituels. Les peuples se font compétition dans une course effrénée pour du matériel médical. Il n’en tient qu’à nous d’infléchir l’État-nation dans le sens d’un État interventionniste, socialement impliqué, qui ne renonce plus à son rôle essentiel d’assurer un filet social solide. Il n’en tient qu’à nous aussi d’orienter les États-nations dans le sens d’une véritable solidarité entre les peuples, au lieu de les faire basculer avec les Martineau et les Rioux de ce monde dans un choc des civilisations qui prend à partie la Chine quand ce n’est pas l’islam.

Faut-il aider aussi les grandes entreprises touristiques, les compagnies d’aviation et les industries pétrolières ? Ce sont des secteurs qui sont appelés à changer radicalement. Les industries touristiques ont sans doute un avenir, mais elles doivent de plus en plus desservir une clientèle locale. Les compagnies aériennes doivent cependant envisager la décroissance. Quant aux industries pétrolières canadiennes, elles devront disparaître totalement. À trois dollars le baril de pétrole, leur demande d’aide devient indécente, car elles ne commencent à être rentables que lorsque le baril de pétrole dépasse les 80$ (étant donné les coûts d’extraction des sables bitumineux) et la compétition entre la Russie et l’Arabie saoudite n’est pas sur le point de s’estomper. Le projet de pipeline Transmountain de Kinder Morgan doit être abandonné (et il en va de même des gazoducs Coastal Gaslink de TC Energy, ainsi que GNL Québec). Le projet de Keystone XL que Jason Kenny veut faire avancer est d’une indécence consommée.

Michel Seymour

Profs contre la hausse

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