Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Le budget de l’an 1 : un choc réanimant le débat stratégique en dormance

Le suivisme Solidaire face au PQ à dépasser par le « care » anti-extractiviste

Plus personne, même parmi les fédéralistes les plus acharnés, ne conteste la viabilité économique, et par ricochet budgétaire, d’un Québec indépendant.

La différence de performance économique par rapport à l’Ontario n’est plus ce qu’elle était… même si la raison en est plutôt la sous-performance ontarienne. Y aurait-il une perte nette de revenus suite à la disparition de la péréquation ? Le gain à peu près équivalant d’effacement des dédoublements du nouveau budget de l’an 1 du PQ est sans doute quelque peu tiré par les cheveux : la différence n’aurait rien de dramatique. La démonstration d’une dette nationale relativement avantageuse par rapport aux autres pays du G-7 ou de l’OCDE est convaincante. La proportion de la dette fédérale moins importante que celles de la population ou du PIB est compatible avec l’apport relatif du Québec aux revenus ou aux dépenses fédérales. Même si certaines critiques du pro forma budget de l’an 1, c’est-à-dire toutes choses étant égales par ailleurs, peuvent être pertinentes, on reste dans les marges.

Le problème est le parti-pris pro forma lui-même. La grande objection politique des fédéralistes, dont ils seraient eux-mêmes la cause, est de risquer le « trou noir » de Jean Charest ou les « turbulences » de Pauline Marois à l’Octobre 1970 pour seulement changer « le flag s’ul hood », dixit Jean Chrétien. Le seul changement de drapeau n’est portant pas banal. Il transformerait le fond de l’air. La nouvelle fierté et assurance de soi donneraient des ailes au développement économique grâce à une monnaie nationale gérée par une banque d’État, à des politiques fiscale et commerciale sans blocage constitutionnel et à un budget public doublé. La langue commune s’en trouverait valorisée et davantage utilisée culturellement, la voix du Québec enfin internationalement reconnue et entendue. Ce bouleversement, tout dépendant de la conjoncture de la rupture indépendantiste, pourrait aussi bien aller à gauche, renforçant la solidarité tant nationale qu’internationale, qu’à droite, stimulant l’identitarisme et le repli sur soi tout comme la peur de l’Autre.

La « ligne du risque » indépendantiste pour briser le double extractivisme canadien

La « ligne du risque » n’en est pas moins la voie à suivre tellement l’État canadien et sa classe dominante affairiste étouffent la nation québécoise par le rejet de son existence constitutionnelle, par le méprisant « Quebec bashing » de son peuple. Ce qui toutefois justifie avant tout la rupture indépendantiste réside dans l’axe financier-pétrolier-gazier Toronto-Calgary qui fait du Canada le cancre antiécologique des pays du vieil impérialisme. Ce que masque de moins en moins le lénifiant discours pro-climat de son gouvernement devenant à la longue irritant. Ce discours en devient carrément exaspérant quand il cache un double extractivisme. Soit celui traditionnel des hydrocarbures à l’Ouest et à l’Est auquel s’ajoute en son centre ontarien-québécois celui nouveau de la dite filière batterie avec une dominante manufacturière en Ontario et minière à ciel ouvert plus un complément d’usines polluantes et énergivores au Québec. Inutile de souligner que la CAQ, soi-disant autonomiste, embarque à tonneau ouvert dans l’affaire en additionnant ses gigantesques subventions (et ses bradés tarifs hydroélectriques) à ceux des gouvernements Trudeau et Ford.

L’indépendance, en brisant le lien organique avec l’extractivisme dominant au Canada mais absent du Québec en termes de production, a le potentiel de déboucher sur une alternative anti-extractiviste. Mais elle doit prendre garde de tomber dans le piège du nouvel extractivisme derrière l’autonomiste mais finalement fédéraliste CAQ. Le budget de l’an 1 souligne à juste titre la rupture avec le Canada pétrolier-gazier, en particulier le soutien opaque à l’industrie pétrolière-gazière et à l’oléoduc Trans Mountain. Mais ce budget ignore totalement le piège du nouvel extractivisme tout-électrique qu’il soutient donc par omission puisque que celui-ci devient de facto l’extractivisme dominant au Québec. À la marge, ce budget propose un saut de puce vers une société de prendre soin, soit une hausse des dépenses en éducation et surtout une bonification des prestations aux personnes aînées. On peut cependant penser qu’ici la motivation est tout autre soit un coup de main à Québec Inc. pour le doter d’une main d’œuvre plus productive et un grand coup de chapeau à cette clientèle électorale historiquement fédéraliste mais qui fait de plus en plus place à l’électorat (anciennement) péquiste. Et aurait-on vraiment besoin d’une armée, du moins à la canadienne, et d’un budget militaire équivalant ?

Une louable initiative du PQ que l’indépendantisme Solidaire arrive à peine à dépasser

Malgré son orientation fondamentalement néolibérale à peine sociale-libéralisée favorable à Québec Inc., l’initiative péquiste du budget de l’an 1 doit être louée. Elle a le potentiel de provoquer une tempête dans la mare stagnante de la stratégie de la gauche québécoise. C’est ce qui a obligé Québec solidaire, par la bande de son député provenant d’Option nationale, à saluer l’exercice. Mais ce n’est pas une « priorité » pour une des candidates au poste de porte-parole, la plus appuyée par les autres députés du parti, contrairement aux deux autres qui considèrent que cet enjeu n’a pas été assez présent lors de la dernière campagne électorale. Pour une autre candidate, c’est même « l’une des priorités de sa plateforme ». Toutes ont souligné « l’indépendantisme ‘’rassembleur’’ et ‘’inclusif’’ de leur parti » contrairement au nationalisme « divisif » de la CAQ et du PQ qui a « un discours de fermeture des frontières ». Inutile de dire que le PQ a rué dans les brancards tellement la vérité choque. Les deux candidates les plus indépendantistes, chacune à leur manière, ont souligné qu’une indépendance de gauche permet de « [rapatrier] tous nos pouvoirs » afin de lutter plus efficacement pour l’environnement et de ce fait gagner les écologistes à l’indépendance.

Au-delà de l’électoralisme, la porte est peut-être semi-ouverte vers une société de prendre soin des gens et de la terre-mère misant sur la sobriété énergétique. Il faudrait cependant pour cela que le parti rompe avec le nouvel extractivisme tout-électrique. Quand le ministre Fitzgibbon clame qu’il faut réduire le parc automobile de 50% d’ici 2050, Québec solidaire, au lieu de l’appuyer et même d’exiger une baisse de 100% sauf pour l’autopartage communautaire, comme les Libéraux et le PQ, répond qu’il faut un plan et plus de transport en commun, ce que dit aussi le ministre en mentionnant le REM et le tramway de Québec. En réaction à l’annonce de la construction de l’usine Northvolt, le vaisseau amiral de la filière batterie, la critique Solidaire, plus faible encore que celle des Libéraux et du PQ, se limite à questionner la rentabilité des faramineuses subventions (et plus tard, sans tambour ni trompette, le parrainage d’une pétition pour un BAPE par la députée responsable de l’environnement). Et quant à remettre en question les généreuses subventions à l’achat de véhicules électriques, c’est motus et bouche cousue. Et aucun de ces enjeux cruciaux définissant une politique énergétique alternative n’a fait l’objet de prises de position sur le site web du parti ou sur son Facebook. Gênant et révélateur silence.

Le budget de l’an 1, une possible brèche vers une société de sobriété énergétique

Politiquement parlant, sobriété signifie concrètement que l’actuelle production d’électricité hydraulique et éolienne du Québec, avec un complément solaire à même les bâtiments, est amplement suffisante. Tout en rendant caduque le ruineux Plan vert tout-électrique de la CAQ, seule cette politique permet d’en arriver à respecter le droit à l’autodétermination des Premières Nations et des Inuits et de minimiser les activités d’exploration et d’exploitation minière. Paradoxalement, les ruineuses subventions au tout-électrique et le coût du continuel étalement urbain qui en découle sabordent le soutien au transport en commun et, à moins d’un renversement du rapport de forces, le renforcement des services publics en déliquescence en faveur du privé.

Une percée indépendantiste en direction de la sobriété serait une invite au Canada à se libérer des hydrocarbures mais aussi de toute orgie minière. Même aux ÉU. Plus généralement, toute entreprise de libération nationale réussie encourage les autres peuples opprimés même aux prises avec de bien pires situations, tel l’Ukraine et la Palestine, et vice-versa. Quand un peuple est menacé de génocide, tel l’actuel massacre de la population de la bande de Gaza, par le sioniste Israël appuyé par les pays du vieil impérialisme dont les gouvernements du Canada et du Québec, on s’attendrait à ce que les partis réputés indépendantistes mobilisent leurs troupes lors des manifestations. C’est plutôt ni vu ni connu tant à la manifestation montréalaise du 22 octobre que du 28 (voir mon album de photos). Ce n’est pas là un indépendantisme qui a une odeur de libération nationale et d’émancipation sociale.

Très concrètement, la politique anti-extractiviste de la sobriété exige :

  • L’interdiction des véhicules privés des ménages d’ici dix ans en faveur d’un système de transport en commun gratuit, fréquent, confortable, électrique et partout jusqu’au moindre village, avec un complément d’autopartage communautaire.
  • L’interdiction immédiate de la construction de maisons unifamiliales et en rangées en faveur de logements collectifs écoénergétiques (consommation d’énergie quasi zéro) dont au moins 50% seraient sociaux (loyer en fonction du revenu du ménage) dans un contexte urbain de services de proximité, d’agriculture urbaine et de parcs nature.
  • La disparition des deux mamelles de l’endettement des ménages, logements et véhicules, réduira la consommation de masse ce à quoi s’ajoutera l’obligation d’ateliers de réparations sur la base de garanties déterminées socialement pour mettre fin à l’obsolescence programmée.
  • Les GES générés par la production et le transport des marchandises seront encore réduits par les circuits courts de la souveraineté alimentaire facilitée par la réduction de l’alimentation carnée, par le recours aux chemins de fer socialisés pour le transport à longue distance tant des marchandises que des gens, et par l’électrification du transport à courte distance.
  • La mise à niveau écoénergétique à consommation quasi zéro de tous les bâtiments viables en dix ans sur la base du principe « négawatt » en commençant par ceux climatisés aux énergies fossiles. Ce qui suppose de ne pas tomber dans le piège énergivore de la connectivité 5G. Ce gisement de négawatts est plus suffisant pour l’électrification du transport.
  • La transformation de l’agro-industrie et la foresterie commerciale en bio-agriculture et en bio-foresterie pour regénérer les sols les rendant capables de capture et séquestration naturelles de GES.

Voilà de quoi meubler dans l’enthousiasme les débats d’une Assemblée constituante au-delà de l’endormitoire des chartes de beaux principes et de l’abstraction constitutionnelle.

Marc Bonhomme, 29 octobre 2023 www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c

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