Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Le budget menteur de la CAQ préparant des lendemains qui déchantent

Au fond du désespoir luitle phare du projet de société tissé de sobriété La lutte du secteur public s’est invitée pour le budget de la CAQ en sorcière maléfique au cœur d’un déficit monté en épingle qui n’a pourtant rien ni de terrible, dixit avec raison le Premier ministre. Celui-ci ne veut pas passer à l’histoire comme le cancre des comptables mais surtout il veut justifier une nouvelle baisse d’impôt avant les prochaines élections comme promis.

Ce déficit n’a non plus rien d’« historique » comme l’a montré un commentateur de droite mais futé de La Presse. Il faudrait en déduire la provision de 1,5 milliard pour les imprévus et ensuite le versement au Fonds des générations de 2,2 milliards. Ce déficit réel de 1.5 % du PIB est bien banal par rapport à ceux de la zone euro et des ÉU. Si ceux canadien et provinciaux sont moindres aujourd’hui, ils ne l’ont pas toujours été depuis le début de ce siècle.

Notre commentateur de La Presse pense que la CAQ a fait une erreur en sousestimant le règlement salarial du secteur public. Je dirais plutôt que telle était sa réelle intention de régler à bon marché pour ne pas dire de briser les reins syndicaux afin de dérouler le tapis rouge aux privatisations sur la base d’une crise incurable de démissions sans recrutement. Le rapport de forces tellement favorable économiquement et politiquement aux mouvement syndical, qui n’a pas su en profiter, a quand même empêché la CAQ de dévaster le secteur public. La CAQ se dit que le match revanche sera préparé par la nouvelle Agence de la santé lentement mise en place et par la continuelle désaffectation de l’école publique par les parents suite à son délitement sans fin mis en évidence par la lutte syndicale du secteur éducation.

Oh ! Philippe Couillard, sors de ce pingre budget au déficit gonflé à bloc

En attendant, la CAQ n’a pas l’intention de perdre son temps. Comme maints mouvements sociaux l’ont souligné, à commencer par l’IRIS et la FTQ, et n’en déplaise à notre commentateur de La Presse qui confond le saupoudrage de bonbons avec « [s]outien additionnel aux personnes démunies, aux logements sociaux, aux services de garde, aux aînés souffrant d’invalidité, aux soins à domicile, aux DPJ », il n’y a rien de significatif pour atténuer les graves crises des services publics, du logement populaire et du transport collectif. Comme le dit l’IRIS, « [é]tant donné l’état actuel des services publics, autant dire que le gouvernement ne fait qu’assurer le minimum requis pour maintenir les services qui sont déjà en très mauvais état. »

Tout suggère que le coup de massue viendra l’an prochain quand la CAQ préparera la prochaine baisse d’impôt. Les agences de cotation y verront qui attendront un plan rigoureux de retour à l’équilibre tel que prescrit par la loi… qui gonfle artificiellement le déficit. De prédire avec justesse l’analyste politique de RadioCanada qui y voit le retour de la rigueur des Libéraux de Philippe Couillard :

Pour résorber le déficit, Eric Girard a entre autres annoncé une hausse de la taxe sur le tabac et une réduction des crédits d’impôt dans le secteur des technologies de l’information. Ces mesures ne représentent toutefois que quelques centaines de millions de dollars, alors qu’on estime la portion structurelle du déficit à 4 milliards. Le plus dur reste donc à faire. Le gouvernement requerra pour 1 milliard de dollars d’"efforts d’optimisation" aux grandes sociétés d’État, mais les modalités de ces efforts restent encore à définir. Hydro-Québec fait partie des entités ciblées, même si l’entreprise est déjà engagée dans un vaste plan de croissance.

On s’en remet pour le reste à un classique de la politique, soit un « examen des dépenses gouvernementales ». L’exercice s’attardera à la fois aux dépenses fiscales pour les particuliers et les entreprises, mais aussi à l’ensemble des dépenses des ministères et des organismes. Aucune cible précise n’a toutefois été annoncée. Pour un gouvernement normalement féru d’indicateurs et de tableaux de bord, cela a de quoi étonner.

C’est précisément au même genre d’exercice que le gouvernement de Philippe Couillard avait convié les Québécois peu après être arrivé au pouvoir en 2014.

Ce retour de l’austérité — pardon de « l’optimisation » — est annoncé noir sur blanc quand est affirmé dans le discours du budget, selon le chroniqueur du Devoir, que « [p]our l’ensemble des dépenses gouvernementales, la hausse moyenne au cours des cinq prochaines années sera de 2,9 %. » ce qui est en-deçà de la hausse nécessaire pour maintenir le niveau actuel de services publics. Y contribuera la baisse des « transferts fédéraux [qui] chuteront de 6 %, soit près de 2 milliards, notamment en raison des changements qu’Ottawa a apportés l’an dernier à la péréquation » en plus d’un refus du fédéral de garantir une pleine compensation pour ses nouveaux programmes de soins dentaires et de médicaments sans compter de ne pas vouloir hausser sa contribution pour la santé. Finalement, l’attrape-mouche médiatique du déficit « record » de 11 milliard $ ne sert que d’« écran de fumée » pour annoncer des lendemains qui déchantent afin que la CAQ, avant même les prochaines élections, puisse renouer avec son populisme distributif, mais non redistributif, mêlant baisse des impôts et chèque-cadeau.

Un déficit mué en surplus à l’ombre du spectre ontarien illusionnant la foule

N’eut été de des baisses passées d’impôt, ce « super-déficit » super boosté se serait mué en super surplus réel dès 2026-2027. Selon une étude de la CSQ, les baisses de taux d’imposition du gouvernement du Québec, depuis 2018, soustraient chaque année plus de 6 milliards $ au revenu fiscal québécois. Or d’analyser l’expert économique de Radio-Canada, le « …déficit structurel [sera] de 4 milliards de dollars à compter de 2026. Une fois de plus, avant le versement au Fonds des générations, le déficit, à partir de 2026-2027, se situe entre 1 et 2 milliards. Et si on exclut la provision pour éventualités, on est à l’équilibre budgétaire. » Que dire de l’évitement fiscal et encore plus de l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux. Même la CAQ les prend au sérieux en investissant 76 millions $ pour récupérer 405 M$ sur cinq ans. Ça me semble peu mais mieux que rien pour faire cracher le 1%.

La rengaine caquiste justifiant une telle baisse d’impôt est que le contribuable québécois est plus imposé que celui ontarien. Cette même étude de la CSQ a clairement démontré qu’au net c’est faux une fois pris en compte « les transferts et les aides financières offertes par les gouvernements (soutien et allocations aux enfants, prime au travail, crédit de solidarité et allocations pour travailleurs, etc.) » et plusieurs tarifs moins élevés (transport en commun, électricité, frais de scolarité universitaire, frais de garde). En plus, ces baisses avantagent d’abord les contribuables les plus fortunés par effet inverse de la progressivité.

Par rapport aux provinces canadiennes, en est ainsi amoindrie la « charge fiscale nette » de la fiscalité québécoise en faveur de la contribuable moins fortunée et ayant des enfants à charge. En 2022, la distribution des revenus après impôt et transferts faisait du Québec la moins inégalitaire parmi les provinces canadiennes à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard. Par contre, toujours selon le « Bilan de la fiscalité 2024 » de la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke, au niveau de la structure fiscale par rapport à l’ensemble des provinces canadiennes, le gouvernement du Québec ménage les entreprises et le patrimoine et taxent relativement davantage les particuliers tant pour le revenu, mais avec une échelle plus progressiste comme on l’a constaté, la masse salariale, les cotisations sociales et la consommation, ces trois dernières étant des taxes indirectes régressives. Malgré un poids fiscal québécois global plus lourd que la moyenne canadienne, ce poids est légèrement moindre pour les bénéfices des entreprises et sensiblement moindre pour le patrimoine (la richesse).

Il y a un espace si l’on voit au bout de l’impasse la rupture indépendantiste

Il y a donc un espace pour hausser les deux types d’imposition au Québec. L’éléphant dans la pièce est les ÉU dont les poids fiscaux pour ces deux types d’impôt sont plus bas, surtout pour les bénéfices des entreprises. En est posé le dilemme de l’appartenance canadienne à l’ACEUM (ex-ALÉNA) imposant la fluidité des mouvements de capitaux dans cette zone. La crise de la productivité canadienne, en étonnante baisse depuis 5 ans ce qui angoisse la gent affairiste, provoque et entretient une fuite très marquée de capitaux directs depuis 2014 (voir graphique ci-bas). C’est particulièrement dans la zone ACEUM où il y a eu une inversion des courbes. En résulte que l’enjeu clef est moins une réforme fiscale, pourtant indispensable, dans le cadre d’un libre-échange qui vide le Canada de sa substantifique moelle capitaliste qu’un dégagement de la matrice extractiviste gazière-pétrolière canadienne désertée par les capitaux d’ici et d’ailleurs. Le défi est de le faire sans tomber dans le piège du nouvel extractivisme tout-électrique perpétuant à la moderne la tradition scieur de bois et charrieur d’eau.

Cette rupture indépendantiste libérerait en même temps le peuple québécois du carcan du libre-échange lui permettant de reprendre le contrôle de son épargne nationale en socialisant banques, quasi-banques et banques de l’ombre sous contrôle du 1%. Comme l’histoire du Québec des années 60-70 l’a démontré, la montée indépendantiste rime avec fierté nationale contre l’humiliation nationale, tant fédéraliste qu’autonomiste, ce qui donne au peuple québécois la confiance en soi et l’élan pour accomplir de grandes réformes véhiculées par sa langue nationale. Tel serait le grand chantier de la sobriété énergétique révolutionnant transport, habitat, agriculture, urbanisme, industrie, envers du Projet de la Baie James d’il y a un demi-siècle, rendu possible par la délivrance du carcan financierpétrolier fédéraliste et par le contrôle national et social des flux de capitaux générés par l’économie québécoise lesquels en ce moment prennent le large.

Dans le fouillis de contradictions, la sobriété énergétique fournit le fil d’Ariane

Au lieu de cette perspective, exigeante mais emballante, revivifiant l’espoir vacillant du peuple québécois dans un projet de société, la pingrerie populiste de la CAQ l’enlise dans des contradictions incompréhensibles où une chatte ne saurait retrouver ses petits. Nos infrastructures de toutes sortes tombant en ruines, la CAQ donne la priorité, pour le Programme québécois des infrastructures (PQI), à la rénovation (et prolongement-élargissement) du réseau routier aux dépens du transport en commun. Beau croc-en-jambe aux gouvernements régionaux et aux écologistes. Mais en même temps qu’elle donne la priorité au réseau routier, la CAQ annonce la disparition par étapes des subventions aux véhicules électriques tout en se faisant le chantre de la filière batterie grassement subventionnée comme socle du développement économique du Québec.

Comprenne qui pourra jusqu’à ce qu’on réalise que la baisse continuelle de prix des véhicules électriques et la réglementation gouvernementale des ÉU comme du Canada, sans oublier le bon marché de l’hydro-électricité québécoise comparé à l’essence, feront le travail de la mue électrique de la flotte routière au rythme de la CAQ sans qu’elle se ruine pour un soutien certes populaire mais dont l’efficacité est contestable. Dans une perspective de sobriété, les véhicules à batteries, que ne sont pas ou peu les équipements de transport en commun électrifiés, n’ont une place que marginale comme parc communautaire d’appoint mais nullement comme véhicules privés individuels ou familiaux.

Marc Bonhomme, 17 mars 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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