Silvia Federici
Non seulement gratuit, ce travail est dévalué car invisible ; il est perçu comme un service naturel et traditionnel des femmes à la collectivité. Dans les années 80 et 90, c’est développé une nouvelle forme d’exploitation des femmes par l’État et la classe capitaliste : pour relancer l’économie mondiale, il fallait qu’elles s’investissement également massivement dans le travail salarié. Un nouveau régime patriarcal qui attend des femmes qu’elles conservent leur rôle dans le travail reproductif tout en s’engageant simultanément dans tous les cycles de production s’est ainsi mis en place. Si la gauche a souvent exclu la lutte féministe (accusée de diviser la classe ouvrière) de son projet politique, le capitalisme, lui, a très vite compris le pouvoir et le potentiel subversif de ce mouvement qui défie et refuse la division sexuelle du travail. Alors qu’il se fonde précisément sur la division des travailleur-se-s, il a tenté d’instrumentaliser le féminisme en faisant de l’exploitation des femmes dans toutes les sphères de la vie, le fer de lance de la mondialisation néolibérale. Dans le processus d’accumulation capitaliste, la dette joue un rôle central. Outil renforçant l’exploitation des femmes, elle a des impacts spécifiques sur leurs conditions de vie et leurs droits. La migration massive des femmes partout dans le monde est l’un d’eux.
Principalement du monde colonisé vers l’Occident, les femmes migrent pour subvenir aux besoins de leur famille, pour assurer leur survie et emploient à cette fin toutes les stratégies possibles. La marchandisation sans cesse croissante du corps des femmes (travail sexuel, mères porteuses,...) constitue une autre conséquence du système dette.
Silvia a ensuite proposé un examen des mécanismes qui propulsent actuellement dans le monde entier une nouvelle chasse aux sorcières aussi forte en intensité qu’en brutalité. En Afrique, en Inde, au Népal, ces trois dernières décennies, plus de 200 000 femmes ont été tuées car suspectées d’être des sorcières : cette forme de violence est liée au processus capitaliste d’accaparement des terres et à l’appauvrissement des populations. Sont le plus souvent ciblées, les vieilles femmes vivant seules et surtout ayant un accès à la terre et à son processus de production. Accusées d’être responsables de tous les malheurs de la société, ces femmes sont chassées de leur terre ainsi libérée pour les nouvelles générations (qui généralement les revendent pour s’acheter par exemple un taxi ou un autre moyen de subsistance), pour les grandes entreprises extractivistes ou encore pour le commerce de drogues comme en Amérique latine.
Pour répondre à la crise économique, à la violence contre les femmes et impulser un changement radical de société, il faut selon Silvia une nouvelle politique : cet enjeu est fondamental pour tous les types de mouvements sociaux. Il s’agit d’abattre le capitalisme et de transformer les formes de production. Il faut appliquer un réel changement qui mette nos vies en commun. Nous devons construire de nouvelles formes de vie autogérées et de nouvelles formes de solidarité. C’est primordial. Face à la pénurie, les femmes ont toujours été de l’avant, elles ont toujours été actives pour trouver des alternatives, en refusant l’isolement. Elles ont par exemple créé des cantines populaires, des jardins et des parcs communautaires... Ces initiatives ont un rôle très important : les femmes prennent une nouvelle place au sein des communautés et inventent des nouveaux modes de production collectifs.