Édition du 16 avril 2024

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Environnement

Le capitalisme est la cause du dérèglement climatique

tiré du site lemediapresse.fr

Naomi Klein est journaliste, réalisatrice et l’auteure de plusieurs essais remarqués : No Logo : La tyrannie des marques (Actes Sud, 2001), La Stratégie du choc : Montée d’un capitalisme du désastre (Actes Sud, 2008) et Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique (Actes Sud, 2015). Nous vous proposons la traduction inédite d’un de ses derniers articles publié le 3 août dernier sur le site américain TheIntercept.com : « Capitalism killed our climate momentum, not “human nature” ».

Ce dimanche, un seul article occupera l’intégralité du magazine du New York Times, et portera sur un sujet unique : l’absence de réaction face à la crise climatique mondiale dans les années 80, à une époque où les faits scientifiques faisaient consensus et où les hommes politiques semblaient vouloir s’investir. L’auteur de l’article, Nathaniel Rich, propose un véritable travail d’historien foisonnant de révélations sur le refus de prendre certaines décisions, ce qui m’a fait jurer à voix haute à de nombreuses reprises. Si le moindre doute subsistait quant aux conséquences dramatiques d’ampleur géologique de ces renoncements, de nombreuses photographies aériennes de George Steinmetz ponctuent le texte de Rich, et notre regard ne peut se détacher de ces témoignages du délitement accéléré des systèmes planétaires, de la transformation de la glace du Groenland en torrents d’eaux vives, à la gigantesque expansion des algues dans le troisième plus grand lac chinois.

position médiatique que la crise climatique mérite depuis longtemps, mais dont elle n’a pratiquement jamais bénéficié. Nous ne sommes que trop familiers des justifications servant à exclure des gros titres un sujet aussi trivial que celui du pillage de notre unique habitat : « Le changement climatique ne sera un problème qu’à très long terme » ; « Il est malvenu de parler politique alors que des gens périssent, victimes d’ouragans ou d’incendies » ; « Les journalistes s’adaptent à l’actualité, ils ne la créent pas » ; sans oublier, bien entendu : « Rien de tel pour perdre de l’audience ».

La responsabilité des médias

Aucune de ces excuses ne saurait dissimuler le manquement au devoir. Les médias dominants ont toujours eu le pouvoir de décider, à eux seuls, que la déstabilisation planétaire était un sujet d’actualité de la plus haute importance, et sans aucun doute le plus lourd de conséquences de notre époque. Ils ont toujours eu la possibilité de mettre le talent de leurs journalistes et photographes au service du lien entre faits scientifiques abstraits et événements climatiques extrêmes en cours. L’adoption de manière constante d’une telle attitude atténuerait l’effet de détermination de l’agenda politique par les journalistes, car un public mieux informé de la menace et des solutions concrètes tend à pousser ses élus à prendre des mesures courageuses.

Voilà qui explique l’exaltation ressentie en découvrant que le Times mobilise l’intégralité de sa machine éditoriale au service de l’oeuvre de Rich, à grands coups de film promotionnel, de lancement télévisé en direct depuis le Times Center et de publication de matériel pédagogique dédié.

Cela explique également la colère qui nous étreint à la lecture de ce travail dont les prémisses sont incroyablement erronées. Selon Rich, entre 1979 et 1989, les fondements scientifiques du changement climatique étaient compris et acceptés, le sujet n’avait pas encore provoqué de clivage partisan, les compagnies d’exploitation des énergies fossiles n’avaient pas encore entamé de véritable campagne de désinformation, et une puissante dynamique politique semblait entraîner le monde vers la conclusion d’un accord international de réduction des émissions, à la fois ambitieux et contraignant. Lorsqu’il parle de cette période-clé, à la fin des anné es 80, Rich écrit : « Toutes les conditions du succès étaient réunies ».

Mais nous avons tout gâché, « nous », les humains, dont la myopie sévère nous empêche de sauvegarder notre avenir. Et au cas où nous n’aurions pas bien compris sur qui, ou sur quoi, rejeter la responsabilité de notre « perte de la Terre », la réponse de Rich se présente sous la forme d’un cri indigné en pleine page : « Tous les faits nous étaient connus, aucun obstacle ne nous barrait la voie. Aucun, à part nous-mêmes. »

Ouais… vous, moi. Selon Rich, pas les compagnies pétrolières, qui participèrent à chacune des réunions politiques dont l’article fait mention. (Essayez d’imaginer un gouvernement étatsunien qui chargerait l’industrie du tabac de rédiger les politiques visant à interdire de fumer. Lorsque ce type de réunions échouerait à prendre la moindre mesure concrète, devrait-on pour autant en conclure à la tendance suicidaire des populations ? Ou devraiton, au contraire, pencher pour la corruption d’un système politique à l’agonie ?). Depuis mercredi, date de la mise en ligne de la première version de l’article, de nombreux scientifiques et historiens ont souligné cette mauvaise interprétation. D’autres ont attiré l’attention sur les insupportables invocations de la « nature humaine », ainsi que du « Nous » de majesté, utilisé pour décrire un groupe de personnes très influentes, dont l’homogénéité est à hurler.

On ne trouve, dans le compte rendu de Rich, pas la moindre allusion aux dirigeants des pays de l’hémisphère sud qui exigèrent des mesures contraignantes, pendant et après cette période-clé, et dont l’humanité ne les empêchait bizarrement pas de se soucier des générations futures. De la même manière, il est aussi rare de percevoir l’écho d’une voix féminine dans le texte de Rich, que d’observer des pies à bec ivoire en pleine nature, et si nous, mesdames, finissons bien par apparaître, c’est avant tout dans le rôle de femmes éperdues de souffrance, épouses de héros tragiques.

Tous ces défauts ayant déjà été soulevés ailleurs, nul besoin de les ressasser ici. Je me concentrerai sur la thèse qui figure au coeur du texte, et selon laquelle à la fin des années 80, « toutes les conditions étaient réunies » pour assurer le succès de mesures radicales de protection du climat. Il convient de constater, bien au contraire, que si nous cherchions le moment où l’espèce humaine aurait pu regarder en face la terrible réalité d’un capitalisme moderne de consommation, dont les normes de confort amoindrissent de manière inéluctable l’habitabilité de la planète, nous serions bien en peine d’en trouver un plus mal choisi. Pour quelle raison ? Parce que la croisade néolibérale atteignit précisément son point culminant à la fin des années 80, au moment précis où ce projet économique et social exerça une telle domination idéologique qu’elle lui permit d’assumer la mise en oeuvre d’une stratégie de délégitimation de toute action collective, au nom de l’avènement du règne des « marchés libres » dans tous les domaines de notre vie. Pourtant, on chercherait en vain dans le texte de Rich, la moindre mention de bouleversements analogues dans les pensées économique et sociale.

Des politiques tout aussi coupable

Comme Rich, je me suis plongée, il y a quelques années, dans les mêmes archives du changement climatique, et j’ai aboutis à la même conclusion, à savoir que 1988 fut une année charnière, celle où commença à s‘amplifier un mouvement planétaire en faveur d’un accord contraignant, d’inspiration scientifique, au niveau mondial. En cette même année, James Hansen, qui dirigeait alors le Goddard Institute for Space Studies (Institut Goddard des études spatiales), un laboratoire de la NASA, déclara devant le Congrès qu’il était « convaincu à 99 % » de la « réalité d’un changement climatique en cours », lié à l’activité humaine. Le même mois, un peu plus tard, une rencontre historique de centaines de scientifiques et de décideurs politiques eut lieu à Toronto, intitulée « Conférence mondiale sur le changement atmosphérique », dont les discussions portèrent sur les premiers objectifs de réductions d’émissions. Dès la fin de cette même année, en novembre 1988, le Comité intergouvernemental des Nations unies sur le changement climatique, le tout premier organisme scientifique de conseils aux gouvernements en matière de menace climatique, tenait sa session inaugurale.

Mais le changement climatique n’était pas la préoccupation exclusive des politiciens et autres rats de laboratoires. Il s’agissait en fait du sujet de discussion en vogue, à tel point que lorsque les éditeurs du magazine Times désignèrent leur « homme de l’année », leur choix se porta sur : « Planète de l’année : la Terre, en voie de disparition ». L’image de couverture représentait un globe ficelé à la hâte pour ne pas tomber en pièces, avec en arrière-plan un coucher de soleil lourd de menaces. Selon le journaliste Thomas Sancton, « aucune personnalité, aucun événement, aucun mouvement, ne frappa plus les imaginations, ou n’occupa plus de unes, que cet amas de roches, de terre et d’eau, qui constitue notre habitat commun ».

(Remarquons au passage que Sancton, contrairement à Rich, ne fit pas porter la responsabilité des agressions commises à l’encontre de la planète à la « nature humaine ». Il creusa, approfondit jusqu’à l’usage dévoyé du concept judéo-chrétien « d’emprise » sur la nature, et au remplacement par celui-ci de l’idée préchrétienne « d’une terre maternelle, dont la fertilité donne la vie. La Nature – les sols, les forêts, la mer – avait les pouvoirs d’une divinité, à laquelle se soumettaient les mortels »).

Lors de ma propre étude des articles de cette période ayant le climat pour sujet, je compris que tout alors laissait vraiment à penser qu’un changement profond était à portée – jusqu’au moment tragique où tout dériva, hors d’atteinte, lorsque les États-Unis se retirèrent des négociations internationales, tandis que le reste du monde concluait des accords noncontraignants, sur la base de douteux « mécanismes de marché », du type « marché du carbone » ou autres « compensations carbone ». C’est bien pourquoi la question de Rich, « Qu’a-t-il donc bien pu se passer ? », mérite d’être posée. D’où est venu le coup d’arrêt porté au sens des priorités, à la détermination, qui émanaient des cercles de pouvoir dès la fin des années 80 ?

La « nature humaine », voilà l’ennemi !

Rich finit par conclure que tout fut gâché par l’intervention de quelque chose du nom de « nature humaine », sans pour autant se soucier de fournir la moindre preuve, ni sociale, ni politique. Il affirme que « les êtres humains, qu’ils soient membres d’organisations mondiales, de démocraties, d’entreprises, de partis politiques, ou simplement en tant qu’individus, ont conscience de l’astreinte qu’ils infligeront aux générations futures, mais ils se révèlent incapables de sacrifier leurs habitudes de consommation présentes pour autant. » On dirait que nous sommes incapables de nous détacher de « notre obsession du présent, notre souci du moyen terme, notre tendance à chasser le long terme de nos esprits, comme on recrache un poison ».

Mon analyse de la même période me fit aboutir à une conclusion diamétralement opposée : avec le recul, ce qui ressemblait au premier abord à l’opportunité idéale de mise en oeuvre de politiques de préservation du climat, se révélait un anachronisme d’ampleur historique. En effet, l’analyse rétrospective de ce moment le fait apparaître clairement comme la conjonction du rassemblement de gouvernements enfin bien décidés à brider l’industrie pétrolière, et de la transformation en tsunami de la vague néolibérale, dont les objectifs de déconstruction économique et sociale entrèrent en collision frontale avec les impératifs de la science du climat d’une part, et de l’imposition de règles permanentes aux grandes entreprises d’autre part.

L’absence de la moindre allusion, même infime, à l’apparition de cette autre caractéristique du monde de l’époque, trace au coeur de l’article de Rich un angle mort dont l’énormité donne le vertige. Après tout, le métier de journaliste offre cet avantage essentiel de pouvoir 4/8 revenir sur le passé récent, en étant capable de discerner des tendances et des structures demeurées invisibles aux yeux de celles et ceux qui furent emportés par ces bouleversements. Par exemple, en 1988, la communauté scientifique ne pouvait avoir conscience d’être en équilibre sur le bord d’un précipice, prête à basculer dans le creuset d’une révolution libérale dont les convulsions allaient remodeler toutes les principales économies de la planète.

Mais nous, nous savons. Lorsque nous nous penchons sur la fin des années 80, il apparaît très clairement que les années 1988-89 étaient très loin de rassembler « des conditions de réussite on ne peut plus propices » à la résolution ferme de placer, loin devant les profits, la santé de la planète en tête des priorités de l’humanité. Il s’agissait même très probablement du pire moment.

Situons le contexte. En 1988, les États-Unis signèrent avec le Canada un accord de libre-échange qui allait servir de prototype aux innombrables traités du même genre conclus par la suite. La chute du Mur de Berlin était toute proche, un événement dont les idéologues étasuniens d’extrême-droite allaient réussir à s’emparer pour en faire à la fois la preuve de la « fin de l’histoire », et le blanc-seing les autorisant à exporter aux quatre coins de la planète privatisations, dérégulation, austérité, les trois ingrédients de base de la recette Reagan-Thatcher.

Ce fut cette convergence de tendances historiques – l’émergence au niveau mondial de deux architectures, l’une en prévision de la lutte contre le changement climatique, et l’autre, beaucoup plus solide, destinée à libérer le capital de toute contrainte -, qui enraya le mouvement dont Rich procède à la juste identification. En effet, fait-il remarquer à de nombreuses reprises, la relève du défi de la lutte contre le changement climatique aurait réclamé d’une part, l’imposition de règles strictes aux pollueurs et d’autre part, un plan d’investissements dans les services publics, afin de transformer nos modes d’alimentation en énergie, nos habitudes de vies dans les grandes villes et nos moyens de transport. Tout ceci était possible dans les années 80-90 (et continue à l’être), mais uniquement au prix d’une bataille frontale contre le projet néolibéral, qui lançait, à ce moment précis, une offensive contre l’idée même de service public (« La société est une chimère », nous répétait Thatcher). Parallèlement, les accords de libre-échange conclus à l’époque faisaient tout leur possible pour rendre illégales, au regard du droit du commerce international, de nombreuses initiatives bienvenues pour le climat – comme les subventions ou la priorité accordées à l’économie verte localisée, ou le refus opposé aux nombreux projets polluants, comme les oléoducs ou la fracturation hydraulique.

J’ai écrit un livre de 500 pages sur cette collision entre planète et capitalisme, dont je ne vais pas ressasser les détails ici-même. Cependant, cet extrait traite le sujet en profondeur, c’est pourquoi je me permets d’en citer un court extrait : « Nous n’avons pas fait le nécessaire pour réduire les émissions, parce que la nature même de ce type d’actions entre en conflit avec le capitalisme dérégulé, à savoir l’idéologie dont le règne couvre toute la période au cours de laquelle nous nous sommes démenés pour trouver le moyen de sortir de cette crise. Nous n’avançons pas, parce que les mesures qui constitueraient notre meilleure chance d’éviter la catastrophe – et dont la très grande majorité bénéficierait – représentent une menace extrême pour une élite minoritaire qui tient en laisse les médias dominants, et bride nos économies comme notre fonctionnement politique. Ce problème n’aurait probablement rien eu d’insurmontable, s’il était survenu à tout autre moment de notre histoire. Mais pour notre grand malheur à tous, c’est au moment précis où la communauté scientifique présentait la menace pesant sur le climat sous forme de diagnostic irréfutable, que cette élite put jouir sans entraves de pouvoirs politiques, culturels, intellectuels, qui n’avaient plus été aussi étendus depuis les années 20. En fait la diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre avait fait l’objet de discussions sérieuses entre gouvernements et scientifiques dès 1988 – l’année même où se leva l’aube de ce que nous allions connaître sous le nom de « mondialisation ». »

Un socialisme démocrate vert comme solution ?

Pourquoi l’absence de mention par Rich de cette collision, remplacée chez lui par l’affirmation selon laquelle c’est bien la « nature humaine » qui scella notre sort, nous importe-t-elle ? Son importance tient au fait que, si « nous-mêmes » sommes la force qui enraya la mobilisation en faveur de l’action, alors la une fataliste du magazine du New York Times, « La perte de la Terre », est effectivement approprié. Si nous sommes incapables de faire des sacrifices à court terme, même dans l’espoir d’améliorer notre santé et notre sécurité dans le futur, et si cette inaptitude est une composante fondamentale de notre ADN collectif, alors nous ne saurions espérer être capables de changer le cours des événements assez tôt, pour éviter un réchauffement vraiment catastrophique. En revanche, si nous autres humains étions vraiment à deux doigts de nous tirer d’affaire dans les années 80, jusqu’au moment où un raz-de-marée élitiste de libre-échangisme fanatique nous submergea – en dépit de millions d’opposants aux quatre coins de la planète -, alors nous pouvons agir de manière on ne peut plus concrète. Nous pouvons faire face à cet ordre économique, afin d’essayer d’y substituer une alternative soucieuse de la sécurité humaine et planétaire, qui ne maintiendrait pas en son centre, coûte que coûte, la recherche de la croissance et du profit.

Quant à la bonne nouvelle – car il y en a une – elle tient au fait qu’aujourd’hui, contrairement à 1989, un jeune mouvement, en pleine expansion, de socialistes démocrates « verts », fait campagne aux États-Unis autour d’un tel projet. Cette alternative n’est pas uniquement électorale – elle donne à voir notre seul et unique horizon vital. Soyons clairs cependant : cet objectif, qu’il est indispensable d’atteindre, ne s’appuie sur aucun essai préalable, en tout cas pas à l’échelle requise. Lorsque le Times publia sur Twitter une accroche pour l’article de Rich, évoquant « l’inaptitude de l’humanité à juguler la catastrophe climatique », l’excellente aile écolo-judiciaire des Socialistes Démocrates d’Amérique, s’empressa de proposer cette correction : « “LE CAPITALISME”. S’ils voulaient vraiment chercher les causes du déraillement, leur enquête porterait sur un « capitalisme incapable de s’attaquer au problème posé par la catastrophe du changement climatique ». Malgré le capitalisme, “l’humanité” est tout à fait capable de s’organiser en modèles florissants de sociétés, délimités par les contraintes de l’écologie. »

Leur argument se tient, en dépit de ses failles. Rien n’oblige les humains à vivre sous le règne du capitalisme ; nous, les humains, sommes capables de nous organiser sous les formes de toutes sortes d’ordres sociaux différents, parmi lesquels des sociétés dont l’horizon temporel serait beaucoup plus éloigné, ou plus aptes à respecter les systèmes soucieux de préserver les conditions de survie de la nature. En fait, c’est ainsi que les humains vécurent, sauf pendant une infime partie de notre histoire, et de nos jours encore bien des cultures indigènes perpétuent des cosmologies géocentriques. Le capitalisme n’est qu’une anomalie minuscule dans l’histoire collective de notre espèce. Mais il ne suffit pas de pointer la seule responsabilité du capitalisme. Sans contestation possible, on peut affirmer que le capitalisme, en raison de sa soif inextinguible de croissance et de profits, se dresse comme un obstacle sur l’unique chemin menant à la transition rapide vers la sortie des énergies fossiles. Sans contestation possible, on peut également affirmer que la propagation sur toute la planète, dans les années 80-90, d’une forme débridée du capitalisme connue sous le nom de néolibéralisme, explique à elle seule le pic désastreux des émissions au cours des dernières décennies, au niveau mondial, et constitue aussi l’unique pierre d’achoppement, sur laquelle les gouvernements continuent de buter, depuis qu’ils se réunissent (et parlent, encore et encore), au moment de prendre des mesures de sauvegarde du climat, d’inspiration scientifique. Il s’agit aujourd’hui encore de l’obstacle principal, même dans des pays, comme la France et le Canada, qui se vantent d’être en première ligne dans la bataille climatique.

Cela dit, il nous faut faire preuve d’honnêteté, et admettre que le socialisme industriel autocratique fut tout aussi désastreux pour l’environnement, comme le prouve la chute brève mais spectaculaire des émissions au début des années 90, soit au moment où s’effondrèrent les économies de l’ex-Union soviétique. Ainsi que je l’écrivais dans Tout peut changer, le populisme pétrolier du Vénézuéla perpétue cette tradition toxique de nos jours, avec des conséquences désastreuses.

Reconnaissons-le, tout en soulignant que des pays de forte tradition social-démocrate – comme le Danemark, la Suède, ou l’Uruguay – appliquent des politiques qui comptent parmi les plus visionnaires au monde en matière d’environnement. Ce qui nous amène à conclure que, si socialisme et écologie ne vont pas forcément de pair, une nouvelle forme d’éco-socialisme démocratique, suffisamment humble pour retenir les leçons des enseignements indigènes sur nos devoirs envers les générations futures, comme sur l’interconnexion de toutes les formes de vie, a toutes les apparences du pari le moins risqué, pour une humanité en quête de survie collective.

Tel est l’enjeu de la floraison de candidatures politiques issues du tissu associatif, dont les campagnes en faveur d’un projet écosocialiste démocratique, révèlent les liens entre les déprédations économiques consécutives à plusieurs décennies d’hégémonie néolibérale,et l’état dévasté de notre habitat naturel. En partie inspirés par la campagne présidentielle de Bernie Sanders, plusieurs candidats, d’origines multiples – à l’image d’Alexandra Ocasio-Cortez, à New York, de Kanelia Ing, à Hawaï, et de bien d’autres encore – font campagne sur des programmes appelant à un « New Deal Vert », apte à satisfaire les besoins matériels fondamentaux de chacun, à offrir de vraies solutions en matière d’injustices envers certaines communautés, de race ou de genre, tout en catalysant une transition rapide vers un recours exclusif aux énergies renouvelables. Plusieurs d’entre eux, comme Cynthia Nixon, candidate au poste de gouverneur de l’état de New York, ou Zephyr
Teachout, candidat au poste de procureur général du même état, ont promis, nonseulement de refuser l’argent des compagnies pétrolières, mais encore de les poursuivre en justice.

Tous ces candidats, qu’ils se revendiquent ou non du socialisme démocratique, rejettent le centrisme néolibéral des élites du Parti démocrate, et la fadeur de leurs solutions « compatibles avec l’économie de marché » à la crise écologique, tout comme la guerre totale de Trump contre la nature. Ils incarnent également une alternative concrète aux socialistes extractivistes peu soucieux de démocratie, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Par-dessus tout, cette nouvelle génération de dirigeants politiques se refuse à faire de « l’humanité » le bouc-émissaire, condamné à expier les péchés d’avarice et de corruption d’une élite restreinte. Elle cherche, au contraire, à aider l’humanité – notamment celles et ceux dont on ignore systématiquement la parole, voire l’identité – à se constituer en un pouvoir soudé, doté d’une voix unique, et capable de tenir tête à cette élite. Nous ne perdons pas la Terre – mais son réchauffement accéléré la place sur une trajectoire menant un grand nombre d’entre nous à leur perte. Une nouvelle voie politique se présente, juste à temps, pour nous emmener en lieu sûr. Le temps n’est pas aux lamentations sur les années perdues. Le moment est venu de s’engager sur cette voie, sans perdre un instant.

Traduction Hervé Le Gall (socio), le 28 août 2018, pour lemediapresse.fr

Merci à Poldos, Sev et Mahanoha pour leur relecture

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