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États-Unis

Le culte de la personnalité envers D. Trump sera passablement affaibli par la défaite, mais ses politiques toxiques vont durer

Patrick Cockburn, 10 novembre 2020
counterpunch.org
Traduction, Alexandra Cyr

Le Président Trump peut bien avoir perdu l’élection, mais il n’est pas pour autant une aberration de l’histoire américaine ni une farce du Créateur comme tant de personnes voudraient le croire. Au moins 70 millions d’Américains.es ont voté pour lui malgré tous les mensonges, le racisme persistant et l’incompétence mortelle dont il a fait preuve pendant quatre ans.

Ce n’est pas parce qu’il les a trompés.es quant à leurs convictions que ses partisans.es l’ont choisi. C’est pour vouloir croire à ses mensonges, partager son antagonisme envers les gens de couleur, et minimiser son incompétence en la qualifiant d’exagération médiatique ou encore faire porter les pires conséquences aux autres.

La majorité de ses partisans.es, presque la moitié du pays, le soutiennent ostensiblement. Mais une certaine portion est soit trop embarrassée ou trop politiquement engagée pour admettre son soutien à ses visions toxiques des sondages ; d’où l’exagération de sa performance dans l’élection actuelle comparativement à ce qui était annoncé.

D. Trump n’est pas l’artisan de la polarisation dans la politique américaine, il lui a tout bonnement donné de l’air, de l’énergie. Elle remonte aux divisions nord-sud, citoyens.nes libres et États esclavagistes, Confédérés.es et Unionistes. Mais la politique actuelle s’adresse à une bien plus grande population répartie sur un plus grand territoire géographique et à des cultures bien plus variées. Il a réussi à s’accrocher à un côté de la polarisation, à faire progresser son venin et à devenir son leader messianique qui ne peut rien faire d’incorrect. Ce culte de la personnalité ne disparaitra pas parce qu’il ne sera plus Président et l’adoration que lui portent ses plus fervents.es partisans.es ne s’évaporera pas non plus. Mais plusieurs qui l’ont suivi dans la victoire s’en éloigneront dans la défaite. Fox News donne des signes d’être en train de le faire. En plus, ses Tweets vont perdre de leur portée quand ils cesseront d’être ceux du plus puissant dirigeant de la planète.

Je me suis souvent interrogé à propos de ce qui faisait de D. Trump ce phénomène politique, le plus extraordinaire de notre époque. J’ai tenté d’identifier, dans le monde, un.e seul.e politicien.ne qui soit semblable espérant qu’une analogie puisse m’éclairer. Toutes sortes de populistes nationalistes autocrates ont surgi, mais personne comme D. Trump. On a présenté Boris Johnson comme une version vieil Eton (collège anglais huppé) de D. Trump. Il y a là quelques parallèles mais la comparaison bute sur la politique si différente dans les deux pays. Un commentateur américain, connaisseur, m’a dit un jour : « Aux États-Unis finalement, la culture politique se résume à la question de la race, alors qu’en Grande Bretagne c’est celle des classes sociales ». C’est simpliste mais utile.

Je ne connais qu’un leader politique dans l’histoire récente du Royaume Uni qui ressemble un peu à D. Trump. Et, sans surprise il vient d’une partie du pays, l’Irlande du nord, où les identités raciales et religieuses perçues dépassent celles des classes sociales dans la fixation des loyautés politiques. Ce leader est Ian Paisley, le leader protestant de l’Ulster qui ressemble à D. Trump même physiquement. Ce sont deux hommes costauds avec une forte présence qui domine une salle, une réunion ou un studio de télé.

Ian Paisley navigue dans le petit monde de l’Ulster protestant pendant que D. Trump, avec son gigantesque électorat blanc des campagnes américaines, ont beaucoup en commun. Ils présentent à leurs partisans.es un monde divisé entre le bien et le mal, les loyaux.ales et les traitres et affichent une confiance sans faille dans la justesse de leur cause. Il faut comparer les films de leurs rassemblements où ils abaissent la méfiance (envers eux) et diabolisent leurs adversaires. I. Paisley a donné à l’Ulster protestant une idée de pouvoir augmenté parce qu’il se voyait de statut supérieur attaqué par la minorité catholique et la désindustrialisation sans fin. D. Trump en a appelé à une coalition informelle, liée par la race et le protestantisme évangélique. Ce sont des Américains.es qui se voient comme des laissés.es pour compte et menacés.es physiquement et économiquement.

Ian Paisley partage une autre caractéristique avec D. Trump : ses opposants.es l’ont méprisé et ont commis l’erreur de sous-estimer ses capacités politiques et ses instincts. D. Trump a été traité de la même manière, mais a confondu ses critiques en défaisant haut la main H. Clinton en 2016 contre toute prévision et il a presque répété l’exploit cette année contre J. Biden. Les commentateurs.trices, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, étaient si obnubilés.es par le Président qu’ils et elles se sont endormis.es dans un faux confort face à ses legs imminents. Mettons de côté sa grandiloquence. Il a toujours eu le talent d’identifier les faiblesses de ses ennemis.es et ses propres forces.

La pertinence de ses instincts politiques se confirme quand on examine le détail des sondages à la sortie des urnes dans cette élection. Il a été rapide à comprendre ce que les Américains.es qui pouvaient voter pour lui voulaient vraiment, contrairement à ce qui était présumé ou à ce que leurs réponses aux sondeurs pouvaient laisser croire.

L’épidémie du Corona virus était censée être le facteur déterminant pour le défaire. Mais les sondages déjà mentionnés révèlent à notre surprise que ce sont l’économie et la race qui ont dominé les choix des électeurs.trices. Il se peut que le Président ait subi des dommages mais il n’est absolument pas démoli par sa gestion catastrophique de la pandémie. Un autre sondage fait état de quatre électeurs.trices sur dix qui ont reconnu que le virus est le pire danger qui menace le pays mais quand vient le moment de voter, seule une toute petite proportion dit que cela a déterminé son choix entre J. Biden et D. Trump.

Cette situation est bien différente de ce à quoi s’attendaient les Démocrates. La déplorable réponse du Président à la pandémie devait être leur atout principal alors que le nombre de personnes infectées arrivait au nombre record de 121,000. Les Démocrates ont donc joué la carte de la maladie avec la peur légitime de la propagation et par calcul politique. J. Biden restait à la maison, portait le masque assidument, évitait les rassemblements et limitait le porte-à-porte au minimum ainsi que l’enregistrement des électeurs.trices sur les listes électorales.

Ils ont complètement sous-estimé à quel degré les travailleurs.euses pauvres et les propriétaires de petites entreprises craignaient le chômage plus que la maladie. Les tentatives de D. Trump de minimiser la COVID-19 étaient irresponsables. Mais les grands titres de la presse et les émissions de télévision ont exagéré le danger dans un autre sens : la pandémie tue énormément de personnes mais proportionnellement, c’est bien pire pour la population noire.

Le message de D. Trump à l’effet que les restrictions ne faisaient rien de bon pour la santé (de la population) a été dépassé par les dommages économiques subis qui en ont convaincu un bon nombre. Par exemple à Las Vegas, dont l’économie repose sur le tourisme et le jeu, ses publicités ne portaient que sur le plan inexistant des Démocrates pour un confinement total de tout le pays, ce qui aurait dévasté cette économie.

Combien de temps la coalition « trumpienne » survivra-t-elle au départ du Président de la Maison blanche ? Le Parti républicain vient juste d’étaler sa force en maintenant sa majorité au Sénat (Inexact. Résultat final début janvier. n.d.t.) et se fraye un chemin vers la Chambre des représentants. Les commentateurs.trices ne cessent de mettre en garde à propos de la force du « trumpisme ». Mais le culte de la personnalité renforcé par le pouvoir devient vulnérable quand on le perd. Il va en faire l’expérience lui-même alors qu’il fait tous les efforts du monde pour repousser cette défaite.

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