Édition du 7 mai 2024

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Le débat autour de l'appui des centrales syndicales américaines à la candidature du président Obama

Democracynow.com, 15 mars 2011,
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr,

DN, Juan Gonzalez,

Le Président Obama candidat à sa réélection vient de recevoir un appui de taille, celui de la plus grande centrale syndicale du pays, l’AFL-CIO. Son président, M. Richard Trumka déclare : « cette adhésion exprime notre foi en lui et notre volonté de travailler avec lui durant la campagne et au cours de son deuxième mandat, à la restauration de l’honnêteté, de la sécurité et de la prospérité partagée ». L’AFL-CIO se joint ainsi à d’autres organisations syndicales qui ont déjà annoncé leur appui au président, dont le Service Employees International Union, l’American Federation of State, le County and Municipal Employees, l’AFT et le Communications Workers of America.

Ces appuis ne sont pas surprenants mais ils ont soulevé des débats à l’intérieur des organisations sur le rôle des syndicats au cours des campagnes électorales. Les centrales ont choisi de soutenir M. Obama au tout début de la campagne malgré les nombreuses divergences qui subsistent entre elles, dont sa gestion de la crise de l’emploi, ses politiques en éducation, son abandon du Employee Free Choice Acti, son choix du PDG de General Electric, Jeff Immelt comme président du President’s Jobs Council.

Nous allons discuter de ces positions avec M. Arthur Cheliotes président du local 1180 du Communications Workers of America, un syndicat qui appuie la candidature du président. Aussi, avec Mike Elk membre du comité de rédaction de In These Times. Il vient de publier un article intitulé « Not All Labor Leaders Happy with AFL-CIO’s Endorsement ».

Bienvenue à tous les deux. Arthur Cheliotes que signifie cet appui hâtif à la candidature du président Obama et pourquoi trouviez-vous cela nécessaire ?

A.C. Il faut voir les choix auxquels nous sommes confrontés. Nous vivons dans ce qui est censé être une démocratie mais, dans la réalité il nous faut choisir entre deux propositions. Dans ce contexte il est clair que M. Obama est le meilleur choix. Nous devons aussi vivre dans la réalité. Nous ne sommes pas dans les théories. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’attendre sur les bas côtés. Nous devons nous engager. Les choix qui s’offrent à nous c’est clairement envers M. Obama que nous le faisons. En regard à ce qu’il a fait, des engagements qu’il a pris : il a vraiment changé (pour le mieux) le National Labor Relations Board, il a injecté 7, 8 milliards de dollars dans le Recovery Act. Cela compte quand on examine ce que les adversaires républicains nous offrent – je crois bien qu’ils veulent installer une théocratie- . C’est fou ! Cela nous rendait le choix clair.

Amy Goodman, M. Elk, vous êtes un journaliste des questions du travail. Pourquoi êtes-vous aussi critique face à ces décisions ?

M.E. Laissez-moi d’abord vous souligner que dans mon article je cite la présidente de l’AFL-CIO de la Caroline du sud qui était très critique face à cet appui accordé très, très tôt à M. Obama, environ 6 mois avant le Congrès à la candidature du parti démocratique, (Democratic National Convention). Mais cela était si important pour la direction de la centrale qu’elle a appelé Mme Donna Dewitt, la présidente en Caroline du sud, pour lui rappeler que c’était elle qui finançait la section et qu’elle devait revoir sa façon de faire. C’était une menace implicite parce que c’est un enjeu embarrassant pour le mouvement ouvrier organisé.

Vous savez, au-delà du discours à propos de l’indépendance politique qui a cours depuis un an dans les rangs des syndicats, le mouvement ouvrier organisé est englué dans le syndrome de Stockholm en ce qui touche le président Obama. C’est une chose de voter contre M. Romney (candidat à la candidature républicaine). C’est en est une autre de dire, comme le fait M. Trumka, que le président a lutté avec acharnement pour les droits des travailleurs et travailleuses et de leurs organisations. Jetons un coup d’œil sur le seul mois qui vient de s’écouler : l’administration Obama a adopté trois mesures qui sont contre leurs intérêts. Prenons-en une, le FAA Bill. Larry Cohen, le président de la Communications Workers of America, a déclaré qu’il rendait la syndicalisation des travailleurs et travailleuses de l’aviation plus difficiles qu’elle ne l’a jamais été. Ces conditions sont maintenant pires qu’au cours de l’ère Bush. Et ce n’est qu’un morceau du tableau. [1]

(…)

A.G. Arthur Cheliotes vous êtes président du local 1180 du Communications Workers of America ici à New-York. Quelle est votre réponse ?

A.C. J’étais présent lorsque Larry a fait ce discours. Nous sommes intervenus en faisant pression sur le Congrès pour voir si nous pourrions empêcher le Sénat d’introduire ces changements. Comme cela faisait parti de la loi pour attribuer les fonds à la FAA, retirer ces dispositions l’aurait mise à mal. Nous avons parlé à nos Sénateurs pour leur expliquer à quel point cela était important. Ce sont les représentants de l’administration au National Mediation Board qui avaient introduit (dans un premier temps) les changements (disant que les anciennes dispositions selon le Railway Labor Act n’étaient pas justes). Il faut avoir une majorité de tous les employéEs, pas seulement de ceux et celles qui votent. L’industrie a travaillé avec les Républicains pour que cela soit attaché à la loi sur le budget de la FAA. Nous étions pris en otages ! Le président devait prendre une décision : est-ce que cela est suffisamment important pour fermer la FAA ? Il a décidé de signer. Dure décision, mais ce n’est pas faute d’avoir travaillé pour l’inverse. Il faut blâmer le Sénat !

J.G. Je voudrais demander à Mike Elk (…) ce qu’il pense de ce que M. Cheliotes vient de dire, à savoir qu’il n’y avait pas de choix, que quel que soit le candidat républicain, ce sera bien pire pour le monde du travail que ce ne l’est sous le président Obama ?

M.E. (Je suis) d’accord, c’est vrai. Mais voici une autre possibilité. Pourquoi lui donner notre appui six mois à l’avance ? Voyez ce qui est arrivé au CWA après qu’il se soit déclaré. M. Obama approuve une loi qui revient sur leurs droits syndicaux. C’est arrivé quelques jours après la publication de leur appui.

Je pense que l’enjeu ici, c’est l’honnêteté envers les membres. Et je pense que tout le discours tenu par M. Trumka et d’autres dirigeantEs du mouvement ouvrier met à mal leur crédibilité. C’est-à-dire : pourquoi ces dirigeantEs mettraient-ils et elles en jeu leur crédibilité en présentant M. Obama comme un saint à leurs membres alors que de son côté, M. Obama n’en fait jamais autant à leur égard ?

…Jetons un regard sur M. Obama. Examinons un aspect de ce qui est arrivé durant la grève du CWA. La compagnie Verizon tentait de retirer une partie du plan d’assurance maladie des employéEs en disant que s’était possible grâce au nouveau plan fédéral (Obamacare). À l’époque j’ai appelé la Maison Blanche en leur demandant s’ils allaient intervenir pour dire que l’assurance maladie fédérale n’avait pas pour but d’aider les compagnies à s’y référer pour retirer massivement les bénéfices de leurs propres plans. Ils n’ont rien dit du tout.

Le président n’a jamais prononcé un seul discours important portant sur l’amélioration des droits de négociations dans notre pays. Mais, il en a prononcé d’autres, comme devant la Chambre de commerce hispanique en 2009, où il s’est insurgé contre les droits des syndicats des enseignantEs. Je veux souligner en plus, que lors de la dernière adresse sur l’état de l’Union il a mentionné les syndicats mais pour les féliciter d’avoir accepté des compressions massives comme l’ont fait ceux et celles du secteur de l’auto et de l’enseignement.

Oui, il a créé plus d’emplois mais ce sont des bénéfices temporaires. Si le mouvement ouvrier organisé n’améliore pas sa force de négociation, nous n’arriverons jamais à faire augmenter les salaires et améliorer l’état de l’économie. Et, à mon avis, le président Obama n’a pas fait grand-chose en ce sens mais au contraire il a souvent agi contre les intérêts des droits à la négociation collective. Voilà un président qui a dit que si jamais les droits des travailleurs et travailleuses étaient mis à mal il rejoindrait les lignes de piquetage. Mais, quand les employéEs de Honeywell au sud de l’Indiana ont été misEs en lock out l’an dernier, le président s’y est envolé avec le président de la compagnie et jamais, malgré mes nombreux appels, il n’a fait aucune déclaration à propos de la situation.

J.C. Arthur Cheliotes, je voudrais vous demander (votre opinion) à propos d’un autre aspect de toute cette question dont on parle peu, l’impact (du jugement de la Cour suprême en faveur de Citizens United à propos du financement des campagnes électorales). Il permet aux syndicats de s’impliquer dans les campagnes présidentielles, pas seulement aux millionnaires et milliardaires de contribuer à leur aise, mais aussi à d’autres groupes et aux syndicats de consacrer beaucoup plus d’argent aux campagnes électorales. J’imagine que l’administration Obama et donc les organisations syndicales ont trouvé qu’il était nécessaire d’annoncer leur appui au plus tôt pour influencer sérieusement le mouvement ouvrier.

A.C. Vous pouvez dire que c’était une des raisons. Mais il faut aussi comprendre que dans le marché de compétition médiatisée actuel, je pense que ce que M. Obama cherche pour sa candidature en ce moment c’est quelque chose à opposer à ce qui est constamment devant la population : les primaires républicaines. Ce qui est vraiment en jeu ici, c’est d’accéder à un petit morceau de l’espace médiatique dominé par les primaires républicaines. L’appui de l’AFL-CIO va faire les manchettes durant une semaine environ. Il va soulever le genre de discussions qui nous avons ici, aujourd’hui, mais il va maintenir la candidature de M. Obama dans les nouvelles. Bien sûr, il a beaucoup de pouvoir de par sa fonction mais je pense que cela fait parti d’une stratégie médiatique globale de vouloir garder l’attention de la population sur votre candidat.

A.G. Mais cet appui précoce veut aussi dire que vous faites des demandes au président, qu’il doit répondre à certains de vos objectifs pour que l’AFL et le SEIU l’appuient. Ils l’ont fait…

A.C. Je suppose que vous pouvez dire cela. Mais voyez ce qui a été réalisé : bien sûr, l’Employee Free Choice Act n’a pas reçu l’aval du Congrès. Nous avons réagi. Nous nous sommes opposés à certainEs sénateurs-trices qui entraient dans leurs primaires. Ils et elles ont fini, malheureusement, par perdre aux mains des RépublicainEs et les votes contre nos intérêts ont été encore plus durs dans encore plus de situations. Alors, comment faire face politiquement à une telle réalité dans notre pays ?

A.G. Voici maintenant un commentaire à propos du président Obama que le président de l’AFL-CIO, M. Trumka, a fait en août dernier :

R.T. « Je pense qu’il a fait une erreur stratégique quand il a amalgamé la crise de l’emploi à celle du déficit il y a quelques mois. Quand, dans la même phrase, vous parlez de création d’emploi et de réduction du déficit, les gens deviennent mêléEs. Il a contribué à cela. Et je pense que c’était une erreur de stratégie. Et il a commencé à traiter de la réduction du déficit comme les RépublicainEs. Écoutez, nous n’avons pas de crise du déficit à court-terme. Nous avons une crise de l’emploi à court-terme. Et si vous résolvez celle-ci, l’autre s’efface ».

J.G. Mike Elk, que pensez-vous de ce commentaire de M. Trumka ? Aussi à propos des allégations de certainEs que dans la grande bataille des travailleurs et travailleuses du Wiskonsin le président aurait joué un rôle douteux… !!!

M.E. Voilà ce dont je parle. L’an dernier, les dirigeants du mouvement ouvrier organisé étaient passablement critiques envers le président. Maintenant, M. Trumka se tourne de bord et déclare que M. Obama a fortement défendu les droits des travailleurs et travailleuses, leur santé et sécurité au travail. (…) cela vient sérieusement miner leur crédibilité devant leurs membres qui ont combattu pour se syndiquer, ils et elles ont risqué leurs emplois, leurs demeures ; vous leur devez l’honnêteté ! Je pense que leur crédibilité est attaquée quand ils et elles disent une chose avant les années électorales et une autre durant.

Ce qui s’est passé au Wiskonsin est intéressant. L’AFSCME, le plus grand syndicat d’employéEs publics-ques au pays vient de consacrer 100,000$ à la réélection de M. Obama. Alors que dans cet État, depuis que la loi sur les employéEs publics-ques du gouverneur républicain S. Walker est appliquée, le nombre de membres cotisantEs à chuté de deux tiers. Ils mettent des agentEs syndicaux- ales à pied alors qu’il faudrait en embaucher. Et au lieu de faire cela tout cet argent est placé dans la réélection de M. Obama. Je pense que ce président a fait une erreur stratégique de n’avoir prononcé aucun discours important sur la question des droits des travailleurs et travailleuses. Bien sûr qu’il ne peut pas faire passer de loi en faveur de ces droits au Sénat, mais il aurait pu faire autant dans ce cas comme il l’a fait pour les changements climatiques et l’immigration.

A.G. Nous terminons ici en vous remerciant tous les deux.


[1Note de la traductrice : M. Cohen, s’élève contre les nouvelles dispositions dans les prérogatives de la FAA (Federal Aviation Autority) dans le processus de ‘ré-autorisation’. Il s’agit de dispositions statutaires de cet organisme gouvernemental fédéral qui dicte les conditions par lesquelles les employéEs des secteurs de l’aviation et des chemins de fer peuvent se syndiquer. Alors que le vote de seulement 35% des employéEs en service était nécessaire, il faut maintenant atteindre 50% de tous les employéEs de l’entreprise des dernières 10 années. Donc, tous ceux et celles mis à pieds au cours de cette période, ne travaillant pas lors du vote font partie des listes à considérer pour calculer le pourcentage. Ce sont les employeurs qui constituent les listes. Les travailleurs et travailleuses de ces secteurs vont donc avoir encore plus de difficultés à se syndiquer. De plus, en cas de fusion de compagnies, le personnel syndiqué perd son organisation et ses droits. Une toute nouvelle campagne doit être menée qui vise tous les employéEs de la nouvelle entreprise selon les nouvelles dispositions. La situation antérieure amenait la partie non syndiquée à se prononcer sur la syndicalisation si la partie syndiquée représentait 35% de la totalité des travailleurs et travailleuses en service dans la nouvelle entreprise. Puisque le tout était lié, budget et autres dispositions, l’alternative, pour M. Obama était de refuser le budget nécessaire à la FAA amenant ainsi sa fermeture. Elle avait été dans cette situation quelques mois auparavant et avait été obligée d’interrompre d’importants travaux et de mettre à pieds des milliers de travailleurs et travailleuses à travers le pays. Elle avait reçu des fonds temporaires dans l’attente de son budget. Le discours de M. Cohen a eu lieu en février. Il blâme les sénateurs démocrates pour avoir accepté un tel compromis avancé par les Républicains afin que la FAA obtienne son budget. Le président a signé la loi deux semaines plus tard, à la mi-février 2012 et le budget de la FAA durera jusqu’en 2014.

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