Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le grand business et la culture des armes aux États unis

Chaque année, plus de 30 000 citoyens américains perdent la vie à la suite de fusillades. Chaque mois, dans les cours d’école, les discothèques, les salles de concert, les centres de travail et les lieux publics, des innocents sont exterminés par des assassins qui manipulent de puissantes armes semi-automatiques légalement achetées. Le National Rifle Association (NRA), une organisation de 3 millions de membres, soutient et promeut le libre accès aux armes militaires. La grande majorité des législateurs, présidents et juges américains, est en faveur de la possession de ces mêmes armes qui causent les massacres.

Tiré de Rebelion | Traduit de l’anglais. Pour Rebelión par Paco Muñoz de Bustillo.

Pourquoi le système politique américain se plaint-il de la fréquence des attaques de masse tout en soutenant le processus politique qui rend le meurtre possible ? Le volume, la portée et la durée du massacre exigent que nous examinions les caractéristiques systémiques à grande échelle et à long terme de l’économie politique américaine.

Politique belliciste : Les massacres à l’étranger comme symbole de « l’héroïsme américain »

Le gouvernement américain a participé à de nombreuses et sanglantes guerres dans lesquelles il a massacré des millions de civils - y compris des familles entières dans leurs maisons - qui ne représentaient aucune menace pour le peuple américain. Les guerres représentent le triomphe de la destruction et de la mort comme moyen de promouvoir les programmes politiques des États-Unis. Les criminels de guerre sont honorés. Les conflits politiques et les problèmes sociaux internes sont résolus en détruisant des adversaires inventés et des nations entières.

Dans une économie politique dans laquelle les massacres perpétrés à l’étranger sont menés par des dirigeants démocratiquement élus, qui va remettre en cause le comportement d’un « voisin sociopathe » qui suit simplement la façon dont son président agit ? Ce fait ne devrait surprendre personne : les massacres de masse qui, à l’étranger, sont promus par nos dirigeants sont reproduits dans les petits massacres au pays déchaîné par un taré d’ici.

Les médias : Les armes parlent, les meurtres sont résolus et les médias s’enrichissent.

Chaque jour, en tout temps, dans tous les médias, les armes et les meurtres dominent les esprits, les pensées et les fantasmes (ou cauchemars) des spectateurs, en particulier les millions qui absorbent le « message ». Les films, les émissions de télévision et les jeux vidéo sont remplis de conflits réglés par des armes à feu, tuant des victimes, qu’elles soient policières ou civiles. Les problèmes sont résolus par la violence.

Le message des médias est que les massacres débouchent sur des victoires. Les guerres et les meurtres sont reproduits dans une multitude de scénarios : maisons, bâtiments publics, écoles, centres de travail, rues et places. Les guerres et les massacres sont un élément essentiel de ce système politique et les médias veillent à ce qu’ils pénètrent dans l’esprit des masses et se normalisent.

L’économie

Les armes utilisées dans les massacres sont une affaire très lucrative. Les fabricants, les grossistes, les détaillants et les clubs d’armes ainsi que les institutions policières et militaires prospèrent dans ce marché libre de l’assassinat. Les dirigeants politiques utilisent l’économie qui s’articule autour des armes pour financer leurs campagnes électorales. Les politiciens voient les guerres, l’industrie de l’armement et les associations proarmes d’un bon œil, perpétuant ainsi les conditions propices aux massacres. Les grandes entreprises sont protégées contre les meurtres internes. Pourquoi les cadres et les élites politiques s’inquiéteraient-ils des massacres qui ont lieu dans les écoles publiques si leurs propres enfants sont en sécurité dans de chères écoles privées ? Après tout, les votes et les bénéfices sont en jeu. Seuls les « perdants » envoient leurs enfants dans des écoles publiques dangereuses. Les "gagnants" ont des alternatives plus sûres …

Solutions

Pour faire face à l’épidémie de massacres, il est essentiel de faire des changements dans l’économie politique.

1. Remplacer les politiques des guerres impériales pour la promotion de la diplomatie, des négociations et le règlement pacifique des conflits.

2. Remplacer la culture des armes présentes dans les médias par les valeurs culturelles de solidarité dans des communautés sûres et engagées avec le public.

3. Remplacer l’obsession des civils pour la possession d’armes militaires par une vision de leur propre vie construite autour d’un environnement sain partagé par des voisins socialement engagés.

4. Interdire ou réglementer les clubs de tir et les milices. Abolir la vente d’armes militaires qui sont utilisées dans ces boucheries. Les armes utilisées dans le tir sportif et la chasse sont différentes des armes de guerre utilisées pour massacrer des douzaines d’enfants blottis dans leurs salles de classe.

Approches fausses et vraies des massacres

Le président Trump a proposé d’armer les enseignants pour « résoudre » les meurtres à l’école. C’est une option extravagante qui ne ferait qu’aggraver la prolifération des armes, stimuler de nouvelles boucheries, saper le rôle des enseignants en tant qu’éducateurs et créer de nouveaux « modèles » pour les futurs meurtriers potentiels. La proposition de Trump souligne également le profond mépris de son administration pour le rôle de l’éducation publique et des éducateurs publics dans la construction d’une société saine. Sa propension à blâmer les victimes (« si les enseignants étaient armés ... ») est un exemple du darwinisme social grotesque inhérent à son idéologie et à son intérêt à détruire complètement le secteur public. Les enfants de l’élite et les politiciens n’ont pas à suivre des cours de mathématiques ou de français dispensés par des professeurs armés. Selon la logique de Trump et de l’élite commerciale et politique, les fusillades dans les salles de classe des écoles publiques soulignent simplement la nécessité de dissoudre les départements d’éducation à tous les niveaux, ainsi que les autres services publics de cette nation.

Les enseignant-e-s devraient être capables de se concentrer sur l’éducation de leurs élèves, sur la façon d’être des citoyens productifs et compétents qui valorisent la communauté et la coopération par rapport aux armes et à la guerre. Ils devraient permettre la diplomation des étudiant-e-s capables d’évaluer de manière critique le rôle des médias dans la promotion de la violence. Ils devraient encourager les compétences civiques chez leurs élèves et les mobiliser contre les dirigeants politiques qui ont accepté des pots-de-vin (« dons ») de la part de sectes mortifères tels que la National Rifle Association.

Pour arrêter la violence, les organisateurs communautaires peuvent boycotter les entreprises qui fournissent un soutien politique et matériel à ceux qui promeuvent la guerre, les milices et les extrémistes armés.

Il serait nécessaire d’adopter une législation nationale pour limiter l’utilisation des armes à feu dans des lieux bien définis, comme les clubs de tir ou des événements de chasse.

Les propriétaires d’armes à feu devraient obtenir des permis d’utilisation selon des critères psychologiques rigoureux et devraient renouveler ces permis fréquemment. L’armée devrait informer les autorités civiles locales de tout comportement violent et criminel de la part des soldats quittant l’armée. Ils ne peuvent pas lancer une « bombe à retardement » au milieu de la population qu’ils ont juré de protéger également. La maladie mentale est un problème de santé publique et on devrait augmenter l’allocation budgétaire pour financer les hôpitaux et les installations permettant d’identifier et de traiter les personnes qui en ont besoin. Ces patients ne devraient pas entrer et sortir des prisons ou être jetés dans la rue.

Les concessionnaires d’armes à feu et les expositions d’armes devraient être réglementés et tenus de suivre des protocoles stricts sous la menace de sanctions.

Les chasseurs devraient utiliser des armes adaptées au type de chasse qu’ils pratiquent. Les armes semi-automatiques ne conviennent pas à la chasse au cerf, au lapin ou au dindon. Mais ils sont utilisés pour chasser et tuer des êtres humains, y compris des enfants non armés dans leurs classes.

Conclusion

Il est possible d’initier des changements culturels, politiques et économiques, mais cela exige que les luttes populaires soient maintenues durablement. En attendant, des réformes à court terme devraient être mises en place pour réguler et réduire la fréquence et la mortalité des massacres locaux.

On doit divulguer et rectifier le protocole par lequel la police a bouclé le périmètre des meurtres, ce qui empêche l’entrée rapide des premières équipes médicales qui viennent pour stabiliser les blessés tout en se protégeant (un processus qui peut durer une heure et causer des décès inutiles en raison de la perte de sang). Alors que les équipes SWATSWAT, unité d’élite constituée de diverses forces de sécurité, spécialisée dans les opérations à haut risque et dotée d’équipements très sophistiqués. se préparent et assurent un « périmètre de sécurité » avec une série de manœuvres chorégraphiques pour assurer « la protection des forces » (un euphémisme qui signifie « protéger la police »), des minutes précieuses sont gaspillées durant lesquelles les victimes pourraient être sauvées si les blessé-e-s recevaient les premiers soins et pouvaient être immédiatement transférés dans les hôpitaux pour avoir accès à une chirurgie d’urgence et à des transfusions sanguines. Ainsi, de nombreuses victimes seraient sauvées. Le taux de mortalité terrible suite à ces tirs un scandale (100% dans le cas des enfants et des enseignants de l’école primaire Sandy Hook [1]) surtout si l’on tient compte du peu de temps qu’on y consacre. Il semble clair que les juges et la police locale et d’État cachent des informations sur les effets de la non-accessibilité rapide du matériel médical d’urgence. Il est impératif qu’une enquête indépendante soit menée sur le retard délibéré de la police en permettant une assistance immédiate capable de sauver des vies.

Pratiquement toutes les fusillades dans les écoles qui ont abouti à des massacres sont commises par des individus que la police ou la communauté connaissent pour leur comportement imprévisible et leurs abus familiaux. Le fait que la police locale ou la famille sache que ces personnes démunies et meurtrières avaient accès à des armes militaires et n’ont pas agi, malgré les plaintes reçues, nécessite une enquête indépendante aux niveaux fédéral et de l’État. Il est nécessaire de renforcer les lois ou les statuts relatifs à l’hospitalisation ou à la détention préventive de ces individus instables et violents. Il est nécessaire de nommer une commission nationale pour enquêter sur la situation des traitements de santé mentale aux États-Unis et sur les ressources qui y sont allouées. Au lieu de demander aux enseignants de s’armer, vous devez maintenir des établissements de santé mentale qualifiés. Il ne suffit pas d’enfermer les malades mentaux dans les prisons locales pour des délits mineurs, puis de les remettre dans la rue sans leur apporter aucune aide.

Il est nécessaire de soutenir l’éducation publique et ses enseignant-e-s. Nous devons mettre fin à des décennies de politiques qui affaiblissent les services publics tels que l’éducation et renforcer la « liberté de choix de l’école », un euphémisme pour l’éducation privée, faisant de l’éducation un privilège pour les riches plutôt qu’un droit des citoyens. Au lieu d’un-e seul-e enseignant-e (de préférence armé, selon le président Trump et la NRA) pour enseigner à quarante étudiant-e-s, chaque classe devrait avoir trois enseignant-e-s compétents qui travaillent en équipe pour assurer le progrès des étudiant-e-s dans les différentes matières nécessaires pour qu’ils et elles puissent devenir dans le futur des citoyen-ne-s libres et productifs-ves. Il est scandaleux que le ministère de l’Éducation et le secrétaire à l’éducation se soient tus et soient restés absents après les fréquents massacres d’étudiant-e-s. Mais ce n’est pas étrange non plus, si l’on considère les priorités de leurs hautes positions, venant de l’élite et, dans le cas de l’actuelle secrétaire Betsy DeVos, de la classe des milliardaires. Ils n’ont jamais mis les pieds dans une école publique. Leurs enfants reçoivent une « éducation à domicile » avec des tuteurs privés ou fréquentent des académies privées élitistes. Leurs programmes contre l’éducation publique reflètent leur hostilité idéologique envers le concept même de bien-être social. Les paroles de Trump accusant les enseignant-e-s de ne pas être armés en classe montrent clairement leur mépris pour l’éducation publique et pour les familles de la classe ouvrière et de la classe moyenne qui confient leurs enfants à l’éducation publique dans tout le pays.

Ces événements se déroulent dans l’espace public, un espace accessible à tous les citoyen-ne-s qui devrait être sûr. L’école publique a été l’un des fondements de la création d’une citoyenneté libre et productive. Ce n’est pas une coïncidence si les massacres de jeunes ont lieu exclusivement dans les écoles publiques. Les précieux enfants de l’élite sont en sécurité dans leurs foyers et on fortifie les écoles privées supersélectives, fréquentées par des professeur-e-s hautement qualifiés qui peuvent se consacrer à enseigner sans se soucier que quelqu’un cache une arme ou par l’apparition soudaine d’un homme armé. Vos enfants ont un avenir garanti.

Mais la situation des enfants de la classe moyenne et de la classe ouvrière est beaucoup plus incertaine. L’accès à une éducation de qualité a cessé d’être un droit et un devoir pour les citoyen-ne-s. Dans le meilleur des cas, les jeunes peuvent avoir « accès aux prêts è l’éducation » avec des taux d’intérêt usuraires qui les lient pour des décennies de servitude à des dettes, tandis que les étudiants de la classe supérieure sont libres de poursuivre une carrière et développer leur talent. Les perspectives d’avenir des jeunes va continuer à se détériorer alors que le transfert massif de la richesse nationale vers les élites, ces massacres, les suicides et les décès par surdose ne cesseront pas d’augmenter. Tout cela se passe dans un contexte sociopolitique : les décisions délibérées prises d’en haut génèrent de l’horreur et du chaos à la base.

Il y a un substrat de classe aux cauchemars qui affligent les parents, les enseignant-e-s et les élèves de la classe moyenne et de la classe ouvrière dans tout le pays. La sécurité, l’éducation de qualité et la qualité des soins de santé sont de plus en plus le domaine exclusif de l’élite. Ces politiques qui ont commencé sous le règne du président Ronald Reagan, ont orchestré la dissolution des institutions de santé mentale publique et la masse élevée des individus instables et vulnérables, alors que les communautés ne sont pas préparées à cette violence. Ceux qui subissent les conséquences de telles politiques ne signifient rien pour l’élite, bien qu’ils assistent à leurs funérailles pour prendre une photo. Les élites politiques menées par les présidents Bill Clinton, George Bush Jr., Barack Obama et Donald Trump n’ont pas cessé de promouvoir le démantèlement du secteur public et la privatisation des richesses et des institutions de la nation.

L’énorme réduction d’impôt suite à la loi fiscale de Donald Trump représente un gain inattendu de plus d’un billion de dollars pour la classe des investisseurs (l’élite financière) au détriment des institutions publiques et du filet de sécurité qui dessert les classes moyenne et travailleuse. L’incidence la plus élevée des meurtres de masse, ainsi que l’endroit où ils se produisent et l’identité des victimes, ne sont pas le fruit du hasard : ils sont définis par la classe et reflètent la perte du pouvoir citoyen. Les lauréats de cette lutte de classe ont versé des larmes de crocodile sur la photo en ridiculisant en privé les familles des victimes pour avoir confiance dans les institutions publiques.

Les décisions prises par en haut qui ont produit cette épidémie de massacres dans les écoles publiques, ainsi que d’autres épidémies parallèles de suicides et d’overdoses parmi les classes moyennes et ouvrières, ont grandement bénéficié à l’élite. Les milliardaires et les donateurs des deux partis politiques n’ont aucune raison de reculer et de mettre en œuvre des réformes ou des programmes visant à redonner des droits aux citoyen-e-s dans l’espace public. Seuls les amis, les familles et les voisins des victimes de la classe moyenne et de la classe ouvrière qui, en privé, sont considérés comme « des « perdants et qui décident d’envoyer leurs enfants dans des institutions publiques », peuvent se joindre à eux pour changer tout cela et retrouver une justice sociale et économique afin de rendre hommage aux morts innocents et d’offrir un avenir décent et juste à leurs enfants. Il ne s’agit pas d’armer les enseignant-e-s ou de fournir aux petits élèves des « couvertures pare-balles », alors que l’élite nous reproche de souffrir depuis leurs demeures sécuritaires. Comprendre le substrat de classe de cette crise nous aidera à jeter les bases de vraies solutions.


[1Tir massif à Sandy Hook School, Connecticut, en décembre 2012, qui a entraîné la mort de 26 personnes (dont 20 enfants de 6 et 7 ans). Ce fut le plus meurtrier des massacres qui ont eu lieu dans les écoles primaires ou secondaires dans l’histoire du pays.

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