Édition du 14 mai 2024

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États-Unis

Le massacre de Charleston : que devons-nous faire maintenant ?

Les racines de la violence raciste du Sud

Mercredi le 17 juin 2015, trois hommes noirs et six femmes de même couleur ont été tués-es par une jeune blanc dans l’historique église Emanuel AME à Charleston en Caroline du Sud. (…).

Heather Gray, counterpunch.org, 22 juin 2015,
Traduction, Alexandra Cyr

Mercredi le 17 juin 2015, trois hommes noirs et six femmes de même couleur ont été tués-es par une jeune blanc dans l’historique église Emanuel AME à Charleston en Caroline du Sud. (…).

La perte de ces remarquables leaders communautaires m’a rappelé la chanson « Sweet Honey in the Rock » dite « Biko ». C’était en 1977 après l’assassinat brutal par le régime de l’apartheid Sud Africain de Steve Biko. Il était un des principaux fondateurs du « Black Consciousness Mouvement » en Afrique du Sud. Il était devenu fameux pour avoir dit : « Black is beautiful ». Bien évidemment ! La chanson Sweet Honey dit : « Vous pouvez briser un corps humain, mais je vois dix mille fois Biko ».
Voir dix mille fois « Biko » ? Oui, je dirais que nous sommes témoins de milliers de personnes exprimant leur rage face à la douloureuse tuerie à Charleston. Il est clair que nos leaders sont morts mais des milliers et même des millions de personnes vont les honorer et continuer leur travail pour la justice, de toutes les manières possibles.

Ce massacre qui brise les cœurs ne s’est pas produit dans un vacuum. Il a été catégorisé « crime haineux ». Je crois franchement qu’il devrait être qualifié de terrorisme intérieur. Et malheureusement, il n’est pas unique. Il fait parti de la persistante et douloureuse culture de la suprématie blanche aux États-Unis. Elle a de longues racines. Elle continue à pointer son affreuse figure.

Nous pouvons chercher notre ennemi. Nous allons nous rendre compte qu’il s’agit de nous-mêmes, nous qui sommes nés-es et avons grandi aux États-Unis. Quand le Président George W. Bush a déclaré, après le 11 septembre, qu’il allait pourchasser les terroristes, je me suis dit : « Bonne affaire ! Cela veut dire qu’il va s’en prendre au KKKlan et à plusieurs groupes chrétiens de droite dans ce pays ». Bien sur, je rêvais en couleur !

Voici un extrait d’un article d’Alex Henderson sur Alternet, du 18 juin dernier : « Quand des mâles blancs de l’extrême droite posent des actes violents, les néo conservateurs et les Républicains les décrivent typiquement comme des loups solitaires extrémistes plutôt que comme des gens qui font parti de réseaux terroristes ou de mouvements terroristes bien organisés. Mais plusieurs des attaques terroristes perpétrées aux États-Unis l’ont été par des gens qui ont une longue histoire de « réseautage » avec d’autres comme eux. En fait, la plupart des actes terroristes qui se sont produits ici au cours des dernières années ne sont pas le fait de musulmans, mais bien de gens appartenant à un mélange de chrétiens radicaux, de suprématistes blancs et de milices d’extrême droite ».

Donc, le problème est chez-nous, les blancs qui ont des ancêtres européens. C’est nous qui avons créé cette culture et qui l’entretenons aujourd’hui. Pour la plupart nous refusons d’admettre ou de prendre conscience de notre passé raciste immoral. Nous refusons de le comprendre et d’enseigner cette histoire d’exploitation pour pouvoir poursuivre notre chemin en passant à côté. Nous nous maintenons la tête dans le sable la plupart du temps. Cela embrouille nos esprits et fausse notre vision des choses. Nous laissons aller d’autres blancs avec leur trop plein alors que nous devrions les arrêter. Nous sommes plusieurs à enseigner à nos jeunes qu’ils sont en quelque sorte spéciaux, particuliers en comparaison avec les autres dans le monde. C’est un faux orgueil tordu qui tient dans une bulle de mensonges.

J’irais jusqu’à dire que beaucoup de blancs, surtout dans le sud pensent qu’ils sont une espèce différente des humains modernes. Cela s’appelle de l’essentialisme racial qui prétend qu’il existe des différences biologiques dans les capacités intellectuelles ou d’autres aspects comme le caractère industrieux entre les gens de couleurs et les soit disant blancs.

En 2006, le professeur William Richmond écrivait dans un article sur la génétique : « Cet article répond à une question élémentaire (de l’essentialisme racial) en soulignant la rapidité de l’expansion du champ de la génétique moléculaire des populations. Il n’existe tout simplement pas de bases génétiques aux différences de caractères, d’intelligence ou de quelque autre traits fondamentaux chez les individus ou dans les sociétés qui expliqueraient leur succès ou leur position relative. L’essentialisme racial est une idée morte née ».

Je vous invite à lire l’excellent article détaillé du Professeur Richmond à propos des dernières études génétiques en regard de la dispersion des humains sur terre à partir de l’Afrique. Il s’agit de : Genetic Residues of Ancient Migrations : An End to Biological Essentiealism And The Reification Of Race.

Nos couleurs différentes sont souvent utilisées pour nous différencier entre nous. Mais nous sommes tous des « homo sapiens » de couleurs différentes. Elles sont liées à notre position par rapport à l’équateur. Il n’y a pas de différence de race. C’est un mythe. Nous sommes tous de la même espèce dans une variété de couleur (Robert Wald Sussman).

Et même s’il y avait des différences, pourquoi donc cette oppression ? Qu’est-ce qui explique ce comportement inhumain d’exploitation qui dure toujours chez les Américains ? Toutes ces fausses conceptions ont justifié l’esclavage puis les lois ségrégationnistes, dites Jim Crow, et maintenant nous vivons avec ce legs.. La vérité, comme il a été dit, c’est que toutes ces justifications sont des mensonges et une construction culturelle par les propagandistes occidentaux et l’élite américaine comme un instrument pour contrôler les masses pour leurs propres intérêts et de leur cupidité.

Tout ce que nous venons de décrire a été utilisé par l’élite des États du sud particulièrement depuis la période de l’esclavage. Elle a utilisé la vieille stratégie de la division de la classe ouvrière, dressant la blanche contre les communautés noires pour arriver à ses fins. La cupidité ne se désiste pas ! Depuis l’esclavage elle a instillé ce modèle mortifère que nous devons enterrer profondément dans l’histoire humaine. J’oserais dire qu’il est plus que probable que le jeune Dylann Roof qui a tué les neufs personnes de l’église AME, pasteurs et fidèles, a grandit dans cette culture distordue qu’est l’idée de la suprématie blanche. Il en aura facilement trouvé la logique sur internet.

Il est aussi important de savoir que la classe ouvrière dans le sud est la plus marginalisée de la région. Les classes supérieure et moyenne ne l’aiment pas. Elles ont aussi appris à se tenir loin des noirs créant ainsi un autre conflit. Les membres blancs de la classe ouvrière du sud sont généralement pauvres, ne s’impliquent pas, ni politiquement ni civiquement sauf dans leurs Églises qui sont particulièrement fondamentalistes dans cette partie du pays. N’oubliez pas que philosophe Leo Strauss, le parrain de plusieurs à droite, a déclaré que les classes populaires doivent être contrôlées et que la religion, n’importe quelle religion, est le meilleur outil pour ce faire. Beaucoup d’organisateurs-trices à droite ont suivi les directives insidieuses de M. Strauss. Il est bien connu qu’il existe une longue histoire de la religion comme outil de contrôle dans le sud.

En plus dans le passé, il n’y a jamais eu dans le sud de système économique diversifié avec des droits pour les travailleurs-euses selon le modèle qui marqué les autres régions du pays. Le sud n’a jamais eu la chance d’appliquer ce modèle si on le compare avec les autres parties des États-Unis. L’élite n’y a jamais permis l’installation d’entreprises où le personnel y était syndiqué. (…) En plus les entreprises américaines ont délocalisé leurs activités hors du pays, là où la main d’œuvre est peu couteuse, et à laquelle elles ne donnent aucun bénéfice tant qu’elles le peuvent. Dans ce contexte le sud rural est encore plus désolé, les opportunités se faisant de plus en plus rares. Bien sur, cela fait parti du plan d’affaire néo libéral : trouver la main d’œuvre la moins chère possible pour concrétiser la cupidité.
Dans le sud l’économie est essentiellement agricole et se mécanise de plus en plus. D’où le manque de diversité économique et le manque d’opportunités. La richesse se concentrant chez l’élite, on observe une montée des conflits, des meurtres non résolus et des problèmes de drogue.
Finalement, le sud avec son passé esclavagiste et sa culture oppressive présente des chances particulières aux suprématistes blancs. La Caroline du sud occupe une place unique dans ce contexte à cause de son rapport singulier avec l’esclavage et bien sur avec la résistance des Africains-es. Voici une liste de faits historiques tels que présentés au Musée afro-américain international :

 Plus de 40% des esclaves africains-es sont entrés-es au pays par Charleston,
 Le ratio des esclaves par rapport à la population blanche était de 9 pour 1 dans le comté de Lowcountry, avant la guerre civile,
 Avant la guerre civile, les esclaves comptaient pour 50% de la population de Charleston,
 Aujourd’hui, près de 80% des afro-américains-es peuvent probablement retracer un de leurs ancêtres qui soit passé par Charleston,
 La Caroline du sud est le seul État qui ait été fondé exclusivement comme colonie esclavagiste,

Elle a donc vite atteint le plus haut ratio d’esclaves par rapport aux blancs libres de toutes les colonies et plus tard des États des États-Unis,

Pour maintenir le contrôle de la population esclave, les lois et les méthodes de punition étaient plus dures en Caroline du sud que n’importe où ailleurs au pays.
Il est important de savoir que le travail des esclaves en Caroline du sud, était d’abord et avant tout dans la culture du riz. Les propriétaires d’esclaves ont choisi des esclaves familiers-ères de cette culture en Afrique de l’ouest. On y a cultivé le riz depuis 3,000 ans.

Au point de départ, les planteurs de Caroline du sud ignoraient complètement la culture du riz. Leurs premiers essais ont été des échecs. Ils ont vite reconnu l’avantage d’importer des esclaves des régions de l’Afrique de l’ouest où la culture du riz était commune. Ils se sont donc plus préoccupés de l’origine géographique des esclaves que les autres planteurs dans les colonies plus au nord dans le pays.
Logiquement, c’est en Caroline du sud que la plus importante révolte d’esclaves de l’histoire a eut lieu en 1739. Elle a nom, la révolte Stono. C’était presque un siècle avant que Denmark Vessey ait planifié le soulèvement du 17 juin 1822 qui a un lien avec l’église Emanuel AME de Charleston. La fusillade (de D.Roof) à eut lieu le 17 juin 2015 dans cette église. Coïncidence ? Probablement pas.

Comme le disait Tolstoï, que faire maintenant ?

Je pense qu’il nous faut un nouveau paradigme pour nous guérir de cette maladie qui ne sert qu’à nous détruire et détruire les autres. Les blancs, en association avec les communautés noires, ont la responsabilité de procéder à ces changements. Au cours de la dernière année ont a pu observer des groupes de blancs et de noirs réagissant ensemble face aux interventions mortelles de policiers envers des noirs ; c’était impressionnant. Il y a des groupes dans le pays qui commencent à s’occuper sérieusement à l’enjeu de la suprématie blanche. Il faut souligner l’excellent travail que font les Quakers à ce sujet par exemple à Atlanta. Le mouvement « Black Lives Matter » fait également sa part. Je suis sure que ces efforts vont se poursuivre ; nous devons nous assurer que ce sera le cas.

Mais la plupart d’entre nous a besoin de plus importantes interventions principalement en éducation. Il faut que les débuts et l’étendue des idées, de la culture et des actes de la suprématie blanche soient connus et que les moyens de les contrer soient élaborés. Cela implique apprendre à propos de l’Afrique et de son histoire.
Deux interventions, même si elles sont symboliques, sont à exécuter. Il faut retirer le drapeau de la Confédération (des États du sud) des terrains de l’État en Caroline du Sud. Beaucoup d’habitants de l’État le réclament. Comme m’a dit un de mes amis : « Ce drapeau à cet endroit, c’est une honte ». J’approuve.

L’autre intervention symbolique doit venir du Congrès. Il doit offrir ses excuses pour l’esclavage et les lois (ségrégationnistes) dites « Jim Crow ». Comme l’écrit Theodore R. Johnson 111 : « …quelques mois seulement avant que le Président Obama ait été assermenté, le Sénat à unanimement adopté une résolution d’excuses pour l’esclavage. La résolution soulignait ‘l’injustice fondamentale, la cruauté, la brutalité et l’inhumanité de l’esclavage’ et s’excusait ‘auprès des Afro Américains-es au nom du peuple américain, pour toutes les souffrances commises à leur égard et à l’égard de leurs ancêtres au cours de la période de l’esclavage’. La Chambre des représentants avait passé une résolution semblable l’année précédente. Mais le Congrès n’a pas pu réconcilier les deux résolutions à cause de divergences de vue sur ce que cela pourrait vouloir dire si des demandes de réparations étaient introduites. La version du Sénat insistait pour dire que les excuses ne pouvaient être liées à quelque demande de réparation que ce soit dans l’avenir. La Chambre n’était pas d’accord. La Présidence n’a jamais offert d’excuses ! En d’autres mots, les États-Unis n’ont jamais offert d’excuses inconditionnelles pour l’esclavage. Dans une nation qui ne peut s’entendre sur de telles excuses, les récentes interventions sur des réparations possibles, deviennent plus que des exercices oratoires ».

Ces deux interventions ne sont qu’un début pour que nous nous sortions de la maladie de la suprématie blanche dans ce pays. Il devra y en avoir d’autres. Mais il est temps d’agir !

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