Édition du 30 avril 2024

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Mouvements sociaux

France

Le mouvement étudiant place le gouvernement sur la défensive

« Le gouvernement français est sérieusement préoccupé. Par deux fois ces vingt dernières années, en 1986 et en 1994, les mobilisations étudiantes l’ont forcé à retirer des projets de loi. En 1994, le gouvernement a dû retirer une mesure très similaire à celle voulant instaurer les Contrats de première embauche (CPE). »

Depuis quatre ans, le gouvernement de droite en France a imposé une série de politiques néolibérales. La résistance à ces politiques a été parfois très militante, comme celle qui s’est développée face à la réforme du système des pensions en 2003. Mais, jusqu’ici, le gouvernement a été capable d’imposer ses "réformes" parce que les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier n’étaient pas préparées à s’opposer à de telles réformes. Cette fois-ci, cependant, le Président Jacques Chirac et son Premier ministre et protégé, Dominique de Villepin, ont été trop gourmands.

La proposition du gouvernement d’un "Contrat de première embauche" (CPE) permettrait que des jeunes de moins de 26 ans soient licenciés dans les deux premières années de leur emploi, sans que l’employeur soit obligé de donner un motif quelconque. C’est un chaînon important dans la réalisation de l’objectif du gouvernement de s’attaquer à la législation du travail, de faire de la sécurité d’emploi une chose du passé et de donner aux employeurs le droit de licencier comme bon leur semble.

Cette mesure vise particulièrement les jeunes travailleurs et travailleuses qui accèdent au marché du travail pour la première fois. Lentement d’abord, puis peu à peu, l’opposition est devenue de plus en plus profonde. Le cœur de cette dernière s’est révélé être le mouvement étudiant le plus important de la dernière décennie.

La première grande mobilisation a eu lieu le 7 février dernier. Elle a été appelée par la plupart des principales organisations étudiantes des universités et des lycées. Ce fut un succès modeste, mais plus de 400 000 manifestantes et manifestants sont descendus dans les rues des principales villes de France.

Le mois suivant, malgré les semaines de relâche qui se déroulent en février dans plusieurs écoles et universités, le mouvement a gagné en profondeur et en détermination. Les étudiantes et étudiants ont commencé à comprendre quel était l’enjeu et le mouvement s’est élargi et est passé des manifestations à des occupations.

À ce jour, plus de la moitié des 84 universités de France sont occupées totalement ou partiellement par les étudiantes et les étudiants. La troisième plus importante université, Nanterre, a été fermée pour des "raisons de sécurité".

Cherbourg, le 14 mars 2006
Comme dans plusieurs villes de France, des centaines de lycéens et d’étudiants ont occupé les voies de chemin de fer, pour protester contre le CPE du gouvernement Villepin. La révolte prend de l’ampleur partout en France... (photo : Franck, Rouge)

La seconde journée d’action, le 8 mars, a été encore plus importante que la première, et près d’un million de personnes sont descendues dans les rues de 160 villes. Les manifestations étaient l’œuvre de syndicalistes, de jeunes étudiantes et étudiants et de jeunes travailleurs et travailleuses. Ces manifestations furent très radicales. Elles ont montré que les jeunes avaient compris que le gouvernement travaillait pour le MEDEF, la principale association patronale, dont les bureaux ont été souvent les cibles des manifestations étudiantes, comme ceux du parti de la droite au pouvoir, l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP).

Les partis de gauche ont soutenu le mouvement et ont appelé au retrait du projet de loi, puis de la loi sur les CPE. Et cette position ne fut pas celle du seul Parti communiste ou de l’extrême gauche, mais également la position du Parti socialiste. Contrairement à son habitude, le Parti socialiste a affiché en dehors des périodes électorales. Ses affiches appelaient au retrait de la loi sur les CPE et soutenaient les manifestations. Ceci est un indice de la force du mouvement.

Le gouvernement a refusé de reculer et il n’a pas hésité à utiliser la police anti-émeute contre les étudiantes et les étudiants. Dans la nuit du 10 au 11 mars, la police anti-émeute a envahi la plus vieille université de France, la Sorbonne, et a expulsé les étudiantes et les étudiants qui l’occupaient en en blessant plusieurs. Ces actes ont rappelé mai 68 dont le Sorbonne était le symbole. Cette semaine, de plus en plus d’étudiantes et d’étudiants se sont mobilisés dans la manifestation étudiante qui a marché vers la Sorbonne.

L’épreuve de force avec le gouvernement est maintenant engagée et le rythme des événements s’accélère. Les organisations étudiantes et lycéennes ont tenu une journée d’action le 16 mars et ont demandé aux organisations syndicales de faire la grève pour appuyer leurs luttes. Le samedi 18 mars, c’est un million de personnes qui sont descendues dans les rues des villes de France. Même l’organisation syndicale la plus modérée, la CFDT, a participé à cette manifestation.

La principale organisation syndicale, la CGT, a été plus loin et envisage de tenir des jours de grève et des manifestations le 30 mars prochain. Mais c’est trop loin pour le mouvement étudiant. La rencontre du comité de coordination nationale a demandé aux syndicats d’organiser un journée de grève le 23 mars prochain et une manifestation nationale à Paris.

Le gouvernement est sérieusement préoccupé. Par deux fois ces vingt dernières années, en 1986 et en 1994, les mobilisations étudiantes ont forcé le gouvernement à retirer des projets de loi. En 1994, le gouvernement a dû retirer une mesure très similaire à celle voulant instaurer les CPE.

Des divisions commencent à apparaître au sein du gouvernement. Seuls quelques politiciens de droite appellent ouvertement au retrait du CPE, comme Hervé de Charrette, un ancien ministre des affaires étrangères de Chirac. La plupart d’entre eux serrent les rangs derrière le gouvernement, mais ils expriment privément leurs préoccupations. Sept présidents d’université ont appelé au retrait du CPE.

Les prochaines semaines seront très importantes. Si les syndicats répondent à l’appel étudiant pour une grève et une manifestation le 23 mars, la dynamique du mouvement s’en trouvera renforcée. Cela dépend d’abord de la CGT dont le refus d’appeler à la grève générale en 2003 avait permis au gouvernement de s’en sortir. Aujourd’hui, le niveau de mobilisation est tel qu’il s’avère possible pour le mouvement social de mettre en échec ce gouvernement, à condition que le mouvement continue d’agir de façon unitaire et militante.

Mots-clés : France Mouvements sociaux

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