Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Solidarité internationale

Les femmes et l’APPO

Le parcours de Claudia, une femme engagée

Le 23 décembre dernier, j’ai eu la chance de participer à la Nuit des radis, une fête traditionnelle de la ville de Oaxaca. Cette année, l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO) a organisé une fête parallèle. Durant l’animation, j’ai été surprise de constater qu’elle était faite en alternance par un homme et une femme et que la majorité des discours étaient féminisés. À la fin de la fête, des militantEs curieux de notre présence nous ont approchés, nous ont parlé de l’existence d’un Front de femmes de l’APPO et nous ont mis en contact avec Claudia Tapia.

Claudia est une autochtone qui vient d’un petit village de l’État de Oaxaca. Elle est mère de trois enfants et gagne sa vie comme travailleuse domestique. Elle n’a pas terminé ses études car elle devait travailler pour vivre et il ne lui restait plus de temps pour étudier. Lorsqu’elle était au collège, elle a eu plusieurs discussions sur la justice sociale avec une enseignante qui lui a présenté le Comité de défense de droits des peuples (CODEP).

La CODEP est un regroupement composé surtout de paysans et autochtones de l’État de Oaxaca. Depuis vingt-cinq ans, ils luttent pour l’amélioration des systèmes d’éducation et de santé et pour la construction de routes vers les communautés éloignées. Au mois de mai 2006, lorsque 50 000 enseignantEs ont fait la grève pour revendiquer de meilleures conditions d’enseignement et salariales, la CODEP a été l’une des premières organisations à dénoncer le gouverneur corrompu. Suite à la répression contre les enseignantEs, la CODEP a été un des groupes qui ont appelé à la création de l’APPO qui est aujourd’hui composée de plus de 300 organisations sociales, de femmes, autochtones et syndicales.

Les principales revendications de l’APPO sont :
 La démission ou la destitution du gouverneur (corrompu) Ulises Ruiz ;
 La libération des prisonniers politiques (sur les 200 prisonniers qui ont souvent été torturés et violés, il y en a environ 70 de libérés) ;
 La réapparition des disparus vivants (il y en a une centaine et une vingtaine de morts) ;
 La fin de la répression et le retrait des forces militaires policières. La police fédérale (dite « préventive ») s’est jointe aux polices locales pour écraser les manifestants. À ce jour, la place centrale est bloquée par des barrages policiers.
 La justice pour les familles des victimes.

Depuis le mois de juin, l’APPO a été au cœur de nombreuses mobilisations. Il y a eu de nombreuses manifestations, des blocages, de la désobéissance civile pour demander la démission du gouverneur corrompu. Plusieurs villes sont passées sous contrôle populaire.

Lors de la prise d’un édifice de la finance, les femmes ont réalisé qu’elles étaient majoritaires dans les actions mais qu’aucune d’entre elles n’avait de rôle de porte-parole ou d’organisatrice. Elles ne voulaient pas seulement jouer des rôles secondaires, elles ont décidé de faire une action pensée et réalisée PAR des femmes et elles ont visé grand. Rien de moins qu’une occupation d’une station de télévision !

Tout a commencé le premier août 2006, Claudia a été une des deux mille femmes munies de casseroles qui ont marché jusqu’à la Corporación Oaxaqueña de Radio y Televisión afin de demander aux travailleurs du Canal 9 de transmettre une pétition exigeant le départ du gourverneur Ulises Ruiz. Face au refus des travailleurs, cinq cents militantes ont décidé de prendre les ondes. Durant vingt et un jours, des femmes de l’APPO ont occupé les ondes et la population a eu les vraies informations sur le mouvement et ses revendications. Cette action a eu un impact important dans un contexte où la grande majorité des médias défendent les intérêts de leurs propriétaires et dénoncent les manifestantEs.

Fortes de leurs succès, soixante-dix femmes s’impliquant dans différentes organisations de l’APPO ont créé la COMO, la Coordinación Oaxaqueña de las Mujeres de Oaxaca. Elles s’unissent pour continuer de réfléchir sur la place des femmes dans la société mexicaine, dans les organisations sociales et dans la lutte pour la justice sociale. Elles veulent réformer l’État pour améliorer la condition des femmes, faire reconnaître leurs droits et augmenter la participation politique des femmes. Un de leurs projets consiste en l’organisation d’un forum international des femmes à Oaxaca.

La lutte de l’APPO a permis aux femmes de s’organiser de façon autonome. En plus de la multiplication des actions de femmes, elles ont aussi participé à la prise de pouvoir populaire. Dans plusieurs municipalités populaires, des comités de quartier et thématiques se sont mis en place, dont des « fronts des femmes ». Dans un pays où le machisme règne en maître, la constitution de ces comités devrait influencer positivement plusieurs organisations populaires en soutenant une réappropriation du pouvoir par les femmes.

Sur le même thème : Solidarité internationale

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...