Édition du 17 septembre 2024

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Planète

« Le plastique est le nouveau trésor des pétroliers »

Un traité international de lutte contre la pollution plastique sera négocié du 29 mai au 2 juin. Delphine Lévi Alvarès dénonce la responsabilité méconnue de l’industrie pétrochimique.

photo et article tirés de NPA 29

Reporterre — Face à la transition écologique, l’industrie des combustibles fossiles pourrait être menacée… mais vous montrez au contraire qu’elle se « recycle » dans le plastique.

Delphine Lévi Alvarès — Ce n’est pas le déclin de l’industrie des combustibles fossiles qui est programmé. C’est celui de l’utilisation de carburants sous forme d’énergie. Petit à petit, les écologistes sont en train de gagner sur les questions de transport notamment. Résultat : les ressources en hydrocarbures sont disponibles. Seulement, au lieu d’arrêter de les puiser et de changer de business model, les industriels se rabattent sur un nouveau trésor : le plastique.

Même chose pour le charbon, sujet sur lequel on pourrait aisément croire que la victoire est proche : c’est faux ! Certes, on arrête de cramer du charbon pour faire de l’énergie, mais à la place, on le transforme en plastique.

La production annuelle de plastique pourrait atteindre 1,2 milliard de tonnes d’ici 2060. Or, celui-ci est issu à 99 % d’énergies fossiles…

Exactement. Aujourd’hui, le plastique est bien plus qu’une bouée de sauvetage pour cette industrie, c’est un yacht de luxe. Croyez-moi, ces grandes entreprises [Chevron, ExxonMobil, BP, TotalÉnergies...] se portent très bien. Depuis les années 2000, elles ont opéré ce revirement d’investissement dans la pétrochimie. À partir de ressources fossiles, comme le charbon, le gaz ou le pétrole, elles produisent du plastique, des produits chimiques, des pesticides, des engrais, et de manière plus marginale des molécules pharmaceutiques que l’on retrouve notamment dans le paracétamol.
Delphine Lévi Alvarès : « L’industrie fossile a créé une dépendance de toute pièce. »

Ces sociétés ont compris que leur secteur d’avenir se trouvait là. Alors, elles investissent massivement à la fois dans la construction de nouvelles installations de production pétrochimique, mais aussi dans la transformation de raffineries, qui étaient à la base conçues pour produire du fioul, du diesel, etc. Et c’est bien plus rentable : pendant un moment, la pétrochimie constituait 10 % des activités de la compagnie américaine ExxonMobil. Pourtant, elle en tirait 25 % de son chiffre d’affaires. La valeur ajoutée est supérieure, car elle échappe aux grandes fluctuations du prix du baril.

Sur la question de la crise climatique, on pense avant tout au pétrole, mais le lien avec le plastique semble échapper au débat public.

On est en train de perdre sur tous les fronts, parce que l’on n’a pas compris que c’était une lutte commune. Les militants écologistes sont très concentrés sur l’énergie et les transports. La pétrochimie est un véritable angle mort. Et ce, alors même qu’il s’agit du secteur le plus consommateur d’énergie, devant l’aviation, le transport routier ou la production de voitures. Pourtant, on n’en parle pas. Tout autour de nous contient de la pétrochimie. C’est d’une complexité extrêmement dure à apprivoiser. Cela implique d’avoir une conversation sur la transformation de toute notre économie. Une économie qui, pour l’heure, est totalement basée sur les ressources fossiles.

Heureusement, les mentalités changent. Il y a quelques années encore, on abordait cette crise par le seul prisme des déchets marins et des tortues avec une paille dans le nez. Aujourd’hui, les négociations promettent de s’attaquer à tout le cycle de vie du plastique, à commencer par la production.

Seulement, la demande en plastique est de plus en plus forte. N’est-ce pas ?

Si l’on croule sous le plastique aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il y a une demande, mais bien parce qu’il y a une offre exponentielle. Longtemps, les regards étaient tournés essentiellement sur les emballages de produits à usage unique. Désormais, de multiples secteurs sont concernés, comme l’automobile, l’aviation ou encore le secteur de la santé.
«  Les États pétroliers ont à cœur de faire dérailler ces négociations.  » Unsplash/CC/Naja Bertolt Jensen

Les industriels de la pétrochimie sont très créatifs : ils créent des marchés, inventent sans arrêt des tas de matériaux et démarchent de nouveaux utilisateurs. Ainsi, de nombreux objets de notre quotidien sont désormais fabriqués en plastique : les canettes, qui étaient avant en aluminium, sont aujourd’hui composées en grande partie de plastique ; les fenêtres sont passées du bois au PVC ; les bouteilles de jus, du verre au plastique. Les entreprises ont créé une dépendance de toute pièce.

En Europe, la prise de conscience écologique, la modification de certaines habitudes de consommation et la réglementation de plus en plus contraignante permettent progressivement de boucher certains marchés. Seulement, en parallèle, ces entreprises ont utilisé des stratégies commerciales et marketing hyper agressives pour coloniser jusqu’aux esprits des jeunes générations des pays émergents, notamment en Asie du Sud-Est. Résultat : celles-ci veulent maintenant consommer comme nous, et il sera difficile d’enclencher la marche arrière.

Les négociations à Paris pour un traité international contre la pollution plastique apparaissent comme une lueur d’espoir. Seulement, des acteurs peu scrupuleux se sont invités à la table des discussions…

Oui. La présence des États pétroliers — au-delà des États-Unis et de la Chine — constitue un obstacle de taille. Depuis qu’est née l’idée d’un traité international juridiquement contraignant pour lutter contre la pollution plastique, ils sont omniprésents et ont à cœur de faire dérailler ces négociations.

L’une de leurs astuces consiste à démarcher les politiques sur les questions de recyclage chimique. Ils tentent de rassurer tout le monde en promettant qu’ils pourront recycler le plastique, via différents processus : les Américains parlent de le transformer en fuel, tandis que les Européens veulent plutôt en faire à nouveau du polymère, à l’aide de solvants. Ainsi, la boucle est bouclée et ils peuvent justifier leur business.

Les lobbyistes jouent aussi la carte de la blancheur. Ils proposent de substituer le plastique tiré du pétrole par du plastique biosourcé. Autrement dit, à partir de cultures vivrières — pommes de terre, maïs, betteraves, cannes à sucre, etc. — qu’il faudra produire à une échelle faramineuse pour obtenir suffisamment de rendement. Comment fait-on ? Eh bien à l’aide d’engrais et de pesticides fabriqués par la pétrochimie. Sans oublier qu’ensuite, le processus pour produire les polymères reste identique. Ce n’est pas parce que la matière première vient de la nature que c’est clean pour autant.

À côté de ça, certaines victimes de cette pollution plastique n’auront pas la possibilité de s’exprimer…

La France héberge une conférence internationale et reconnaît que la participation des travailleurs du secteur informel est essentielle dans ces négociations. Mais les procédures pour décrocher un Visa et se faire accréditer sont vraiment contraignantes. L’administration réclame un contrat de travail, des fiches de paie et des relevés bancaires… Un ami, président de l’association des ramasseurs de déchets au Kenya, n’est par exemple pas sûr de pouvoir entrer dans la salle des négociations. Pourtant, son association a été reconnue comme un acteur fondamental du débat.

À l’inverse, du côté des entreprises pétrochimiques, on a observé un boom d’accréditations spontanées. La société civile pourrait se retrouver sous-représentée. Ce serait un scandale.

Delphine Lévi Alvarès est l’une des coordinatrices de la campagne mondiale #BreakFreeFromPlastic, lancée en 2016. Rattachée au Centre pour le droit international pour l’environnement (Ciel), elle combat l’expansion de l’industrie pétrochimique, aux conséquences sociales, climatiques et sanitaires désastreuses.

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