Édition du 7 mai 2024

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Asie/Proche-Orient

Les trompettes japonaises auront-elles raison de la citadelle du nucléaire ?

Plus d’un an et demi après l’accident de Fukushima les rallyes populaires aux aspects familiaux et bon enfant des Japonais prennent des allures de trompettes de Jéricho. Ils viennent à Tokyo, le vendredi soir, un peu plus nombreux chaque fois depuis avril 2012, à l’appel d’une coalition d’associations. Ils font le siège pacifique de la citadelle du nucléaire, en l’occurence les bureaux de l’actuel premier ministre Yoshihiko Noda.

Des femmes et des enfants, des jeunes et des moins jeunes viennent dire et redire qu’ils ne veulent plus du nucléaire : « au revoir aux centrales » chantent-ils avec entrain. Quelques personnalités médiatiques relaient leur message et pourraient lui donner assez de force alors qu’il a été jusqu’ici ignoré par le premier ministre et par une part des médias nationaux.

Haruki Murakami fut l’un des premiers à affirmer ce type de position, de manière médiatique, lors de la remise de son prix à Barcelone en juin 2011. Parmi les intellectuels, le prix Nobel Kenzaburô Ôé occupe une place particulière. Il supervise une grande pétition lancée après un rassemblement de plus de 60 000 personnes en septembre 2011. Tous les sondages ont confirmé que le peuple japonais souhaitait qu’on s’achemine vers la fin du nucléaire et que ne soient pas remises en route les centrales toutes arrêtées début juin. Mais jusqu’ici , le gouvernement s’en est tenu au seul objectif d’un retour à la « normale ». Il a ainsi décidé la remise en route, début juillet, de deux centrales, ignorant les 7 millions de signatures s’y opposant et remises par Kenzaburô Ôé au premier ministre le 15 juin.

Cette fermeté n’a pas refroidi l’ardeur populaire au contraire. Le 16 juillet, un jour férié au Japon, un nouveau rassemblement a été organisé, et pour avoir un peu plus de visibilité, un groupe avait fait un appel à des dons pour louer un hélicoptère afin de filmer l’importance de la foule, puisque la télévision publique, NHK, ne faisait pas voler son équipement. Face aux images mises sur Internet, les médias sans parole commencent à lever le voile. La police a compté cette fois 75 000 personnes, les organisateurs et certains journaux plus de 170 000 personnes. Kenzaburô Ôé avait été rejoint entre autres par Ryuchi Sakamoto, la star du Yellow Magic Orchestra.

Depuis, quelques soutiens de poids se montrent. Vendredi 20 juillet, l’ancien premier ministre Yukio Hatoyama (2009 – 2010) a rejoint le rassemblement populaire et s’est fait son messager auprès du cabinet du gouvernement. Naoto Kan, qui était le premier ministre au moment du désastre (2010-2011), vient d’annoncer qu’il cherche une large alliance politique en faveur d’une sortie du nucléaire à l’horizon 2025 et, d’ici là, le développement d’énergies « vertes ». Un poids lourd historique du monde politique japonais, Ichiro Ozawa, vient de quitter le parti au pouvoir avec un groupe d’une cinquantaine de députés ou sénateurs et prône également la sortie du nucléaire.

Certes, nul ne peut prédire ce qu’il adviendra, mais les Japonais, à Tokyo au moins, semblent décidés à poursuivre le siège de la citadelle nucléaire ; ils feront autour d’elle une ronde nocturne à la chandelle lors du prochain rassemblement exceptionnel le 29 juillet prochain.

Marc Humbert, professeur, Université Rennes, CNRS, Visiting Scholar, Ritsumeikan University, Kyoto
HUMBERT Marc

* Le Monde.fr | 30.07.2012 à 09h03.

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