Édition du 30 avril 2024

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Luttes sociales

France

Malgré la baisse de la mobilisation, le mécontentement demeure

S’ils ne regardaient que les chiffres de la mobilisation, les manifestants auraient peut-être de quoi déprimer : jeudi 28 octobre, 2 millions de personnes ont défilé en France, selon la CGT, 560 000, selon la police, soit le chiffre le plus faible depuis septembre. A Paris, selon la CGT, 170 000 personnes ont arpenté le bitume, soit une nette baisse par rapport au 19 octobre, où le syndicat parlait de 330 000 personnes. Le syndicat a néanmoins appelé à "poursuivre la mobilisation".

"Il y a quand même beaucoup de monde, c’est bien, il faut continuer. L’affaissement supposé de la mobilisation, c’est un discours, en partie relayé par les médias", lâche Jean-Noël, psychologue, venu en famille dans le cortège parisien, après avoir défilé les fois précédentes à Rennes.

Non syndiqué, ce cinquantenaire, qui a fait plusieurs jours de grève, affiche une combativité sans faille. Quelle revendication porte-t-il maintenant que la réforme a été votée ? "Obtenir la renégociation, ou la suspension des décrets d’application. Et si la mobilisation baisse cette fois, il y a une prochaine journée le 6 novembre..." Dans le défilé parisien, on sentait chez certains manifestants un allant et une détermination encore vifs, comme une envie de ne pas se laisser atteindre par des circonstances moins favorables : "Il ne faut pas me parler de ’sortie de crise’", prévient l’un deux.

Les envies de la base

Dans ce contexte, quelle suite proposer ? Continuer comme si de rien n’était semble difficile, mais tenter de faire baisser la pression également. Et les dirigeants syndicaux savent sûrement qu’ils risquent un retour de bâton des plus motivés. "On n’a pas senti une volonté réelle d’en découdre, du côté des dirigeants. Ils se sont laissé déborder par leur base et c’est tant mieux, mais il y a eu des erreurs : répéter des manifs toutes les semaines, c’est forcé de s’essouffler, on aurait pu faire monter la pression, en rapprochant les défilés dans le temps", argumente Philippe, employé d’un hôpital à Longjumeau, chez SUD, syndicat certes réputé parmi les plus radicaux de la coordination. "Les dirigeants syndicaux ont aussi laissé faire des grèves reconductibles dans certains secteurs, mais sans vraiment les soutenir", regrette cette militante de la FSU, bibliothécaire à l’université Censier, à Paris.

A la CGT aussi, il y a des gens qui, comme Catherine, trouvent que le leader, Bernard Thibault, "est trop réformiste et pas assez combatif". "Les dirigeants des syndicats cherchent une issue positive, pour ne pas avoir tout loupé, mais ce ne sont pas des petites négociations sur l’emploi qui vont changer quelque chose", ironise cette employée de la banque LCL, militante depuis trente ans.

Le casse-tête stratégique des dirigeants syndicaux

La "négociation", proposée en début de semaine par le leader de la CFDT, François Chérèque, a suscité des réactions mitigées. La proposition d’une discussion avec le Medef sur l’emploi des jeunes et des seniors a pour certains ravivé le souvenir d’un syndicat très réformiste, qui a accepté de négocier avec le gouvernement en 2003. Mais pas au point de risquer de briser le front syndical cette fois-ci pour autant. Eric Aubin, responsable retraites pour la CGT, prend le soin de déplorer que Laurence Parisot ait proposé une simple "délibération", mais souligne que l’emploi – comme la pénibilité – font partie des thèmes sur lesquels certains secteurs portent aujourd’hui des "revendications".

Des thèmes également cités par le responsable CFDT Jean-Louis Malys. "Le contexte change et les formes d’action aussi doivent changer", explique-t-il, tout en insistant sur le fait que "tout se décidera en réunion intersyndicale", le 4 novembre. A part ces négociations potentielles, quelles nouvelles modalités de lutte le mouvement pourrait-il adopter, concrètement ? "Certains prévoient encore des AG, on peut déposer des cahiers de revendications, faire des débrayages..., plaide Eric Aubin. C’est tout sauf un baroud d’honneur."

L’espoir de la mutation

D’ici à la prochaine réunion de l’intersyndicale le 4 novembre et la prochaine manifestation nationale le 6, comment peut évoluer le mouvement sans s’affaiblir ? "On va essayer de reprendre le flambeau, avec des mobilisations de jeunes, avec une continuité et des revendications spécifiques", explique une étudiante à l’UNEF, proche du NPA, malgré les mauvais chiffres des manifestations étudiantes de mardi.

Comme beaucoup, elle espère construire sur le mécontentement qui a dépassé la réforme des retraites et demeure très fort. "Un climat va se maintenir et ça pourrait repartir, notamment sur un thème comme la sécurité sociale. Il y aura de l’agitation et des feux." De nouvelles formes de mobilisation ont émergé, se félicite la bibliothécaire de Censier : blocages de ronds-points, péages gratuits... A Saint-Brieuc, Lylian, responsable cheminot CGT, explique que la grève a muté en coupure quotidienne de travail de cinquante minutes, à la prise de service. Reconduite jusqu’à mercredi minimum.

"Il y aura des mobilisations qu’on pourrait qualifier de ’guérillas’, des actions plus ponctuelles, estime Lilian Mathieu, sociologue et auteur de Comment lutter ? (Textuel). Et une autre question peut se poser, celle des suites politiques, parce que le gouvernement a imposé sa réforme sans réellement convaincre." "On aimerait bien qu’il y ait une présidentielle dans quelques mois", sourit une manifestante. Un militant PS, ingénieur dans le privé, qui brandit un drapeau en marge du cortège, rappelle aussi qu’il y a "le vote". D’autres ont pourtant peu apprécié l’offre lancée par les socialistes de revoir la réforme s’ils étaient élus en 2012...

"Personne ne peut dire ce qui se passera la semaine prochaine, croit Jean-Baptiste Callebout, responsable de la CGT à Annecy. Et quoi qu’il arrive, la classe ouvrière aura relevé la tête."

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