Édition du 30 avril 2024

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Afrique

Naufrages aux portes de l’Europe : le déni !

Naufrages à répétition, attaques de bateaux de migrants en haute mer, refoulements vers la Libye : le crime structurel en mer Méditerranée connaît une accélération historique. Mais face au massacre en cours à nos frontières, le déni persiste.

Tiré du blogue de l’autrice.

Naufrages à répétition, attaques de bateaux de migrants en haute mer, refoulements vers la Libye : le chaos, structurel et circonstanciel, en mer Méditerranée connaît une accélération historique, suite à une décennie de politiques migratoires visant à bloquer les départs et à la crise en cours en Tunisie. La semaine dernière, des dizaines d’embarcations parties de Sfax, sur la côte orientale de Tunisie, ont été repérées en Méditerranée centrale, et plus de 4000 personnes sont arrivées de Libye et surtout de Tunisie sur l’île de Lampedusa en moins de 48 heures, pendant que le flux en provenance de Turquie (pourtant moindre) ne décroît pas sur les côtes de Calabre.

Mais c’est le bilan meurtrier, passé sous silence, de cette semaine noire qui choque le plus : au moins 5 naufrages survenus entre le 22 et le 24 mars sur la route entre Sfax et Lampedusa ont été rapportés par différentes sources locales, dont un magistrat tunisien et le Forum Tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes). En moins de 48 heures, 5 personnes ont péri et des dizaines sont portées disparues en Méditerranée dans le silence des médias mainstream. Le 25 et le 26 mars, de nouveaux naufrages d’ampleur ont été signalés par les gardes côtes tunisiens qui annoncent la découverte de 29 corps de migrants originaires de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, après que trois embarcations aient coulé au large de la côte entre Sfax et Mahdia.

En moins de cinq jours, le bilan serait donc de dix naufrages (connus) et 147 morts et disparus (selon le Comité Verità e Giustizia per i Nuovi Desaparecidos). Et ceci un mois à peine après la dernière « tragédie » du naufrage dramatique de Cutro (Calabre, Italie), qui a valu de nombreuses mises en cause au gouvernement Meloni, les secours n’ayant pas été déployés en temps utile malgré le signalement de la barque en détresse par un avion de surveillance de Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes). Abandon en mer qui a causé 91 morts (retrouvés), mais les victimes seraient une centaine, selon les récits des survivants.

Des aspects très inquiétants marquent les scènes qui se déroulent en Méditerranée : les menaces répétées de la part des garde-côtes libyens financés par l’Italie et l’UE contre des navires d’ONG. Le dernier accident en date, le 25 mars 2023, alors qu’elle se dirigeait vers une embarcation en détresse avec environ 80 personnes à bord, l’équipe de SOS Méditerranée à bord de l’Ocean Viking a reçu des menaces par armes à feu de patrouilleurs libyens dans les eaux internationales. Pendant que l’avion SeaBird 2 de l’ONG Sea Watch, survolant l’embarcation en détresse, a repéré des personnes tombées à l’eau alors que les garde-côtes procédaient à leur violente interception et refoulement vers la Libye. Le refoulement systématique vers les camps libyens des personnes qui tentent la traversée vers l’Europe a concerné, depuis l’accord Italie-Libye de 2017 déléguant l’aide et l’assistance technique de l’Italie à ces milices armées, plus de 100.000 civils fuyant la Libye (selon l’OIM).

Un pays où, tortures, traite, asservissement, travail forcé, emprisonnement, extorsion et trafic de migrants vulnérables, bref les « horreurs inimaginables » selon l’ONU, sont documentées depuis des années. Et, selon le dernier rapport des enquêteurs de l’ONU en date du 27 mars, des migrants sont réduits en esclavage dans des centres de détention officiels ou des « prisons secrètes », et des viols commis en tant que crimes contre l’humanité.

Le 25 mars dernier, le même jour que les menaces dirigées contre SOS Méditeranée, le bateau de secours financé par l’artiste Banksy, la Louise Michel, qui avait sauvé 178 personnes, a été immobilisé à Lampedusa pour une durée de 20 jours, sous prétexte de violation de la loi anti-ONG récemment passée par le gouvernement Meloni. Alors que ces dernières heures chaque minute devrait compter pour sauver des personnes en détresse sur les routes maritimes, les navires de secours civil sont entravés et bloqués. Précisément parce que témoins des refoulements et des agissements illégaux en mer.

Des récits de survivants, recueillis par le numéro d’alerte pour migrants “Alarm phone”, font état de violences croissantes des garde-côtes tunisiens et libyens ; le dernier cas rapporté est celui d’un bateau parti des côtes tunisiennes, attaqué en pleine mer, le moteur enlevé et les 40 naufragés abandonnés à la dérive. Là encore le récit n’est pas unique mais se multiplie ces dernières années, témoignant de pratiques toujours plus brutales et hors-la-loi en haute mer de la part de services financés par l’Europe et du blanc-seing donné par cette dernière pour confiner dans les pays d’origine les candidats à la migration, par tous les moyens.

Cette combinaison létale de naufrages par abandon et de refoulements violents, en l’absence délibérée des navires de secours civil de plus en plus tenus éloignés de la Méditerranée centrale, révèle combien la machine du crime aux portes de l’Europe est désormais efficace et accélérée. Le silence médiatique et politique de ces dernières heures est particulièrement insupportable et témoigne du déni de la société française et européenne face au massacre en cours à nos frontières sous couvert de « défense » de ces dernières. Il est temps de redemander et d’instituer d’urgence un système de secours européen en Méditerranée centrale. Sans quoi le crime de masse continuera, impuni, au risque de prendre désormais le visage d’un crime intentionnel.

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