Édition du 14 mai 2024

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Les dénonciations de trois députées de l’opposition lors de la manifestation féministe de la FAE devant l’Assemblée nationale le 3 décembre 2020

« Que les prêtres ouvrent des écoles dans les bourgs et villages. Si un fidèle veut leur envoyer ses enfants pour les faire instruire, ils ne doivent pas refuser de les recevoir et de les instruire. Et qu’ils ne réclament pour cela aucun salaire. Qu’ils n’acceptent rien, si ce n’est ce qui leur sera offert spontanément et par amitié. » Citation puisée dans les instructions de l’évêque d’Orléans.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a organisé devant l’Assemblée nationale, le 3 décembre 2020, « une action de mobilisation féministe ». Cette manifestation, qui a réuni plus de 120 militantes, avait pour but de dénoncer le « mépris » qu’affiche le gouvernement du Québec « à l’égard des conditions de travail des femmes, qui représentent 75% du personnel enseignant » des niveaux élémentaire et secondaire. Pour l’occasion, trois députées de l’opposition se sont adressées aux manifestantes.

Voici ce que nous rapporte à ce sujet le communiqué émis par la FAE :

« «  Le réseau de l’éducation peut compter sur des femmes passionnées qui ont un seul objectif commun : la réussite de leurs élèves. Le gouvernement caquiste doit voir en elles des alliées et non des adversaires. Aujourd’hui, ces femmes sont venues faire entendre leur voix et celles de milliers d’autres enseignantes. Le ministre n’a qu’une seule chose à faire : déposer des offres sérieuses qui reflètent leur passion et leur dévouement. Un point, c’est tout », a sans hésiter déclaré Mme Marwah Rizqy, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation. »

« La porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’éducation, Christine Labrie, s’est manifestée en ajoutant : « Les enseignantes ont raison de mettre en lumière que les métiers traditionnellement féminins se font moins entendre quand il est question d’améliorer leurs conditions de travail. Ça suffit d’abuser de leur dévouement envers les élèves et de leur imposer une charge de travail aussi lourde, sous prétexte que c’est une vocation. On ne ferait pas face à une telle pénurie dans le réseau si on traitait les enseignantes et enseignants avec tout le respect qu’elles et ils méritent. » »


« « Il est grand temps que la profession d’enseignante, très majoritairement féminine, soit pleinement reconnue, valorisée et rémunérée à sa juste valeur. Ce n’est pas parce que les enseignantes ont la "vocation", qu’elles sont passionnées par ce qu’elles font, qu’elles ne doivent pas bénéficier de conditions de travail représentant l’importance de ce qu’elles accomplissent. La cause des enseignantes, c’est la cause de toutes les femmes, c’est la cause de la reconnaissance et de l’égalité » s’est à son tour exclamée Mme Véronique Hivon, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière d’éducation. »


Ainsi donc, la députée libérale demande au gouvernement Legault de présenter aux enseignantes des « offres sérieuses » ; la députée de Québec solidaire propose que cesse la « charge de travail aussi lourde » des enseignantes et la députée péquiste pour sa part précise et suggère « que la profession d’enseignante, très majoritairement féminine, soit pleinement reconnue, valorisée et rémunérée à sa juste valeur. »

De ces trois interventions, il n’y en a qu’une qui aborde la question de la rémunération. Il s’agit de l’intervention de la députée péquiste. C’est un début, certes timide, mais espérons que cette orientation s’avérera durable dans le temps et surtout réellement engageante pour la députée péquiste Hivon. Souhaitons également que sa formation politique (et les deux autres formations de l’opposition) interpelle(nt) le premier ministre Legault à l’Assemblée nationale sur cet enjeu.

Nous espérons qu’il s’agisse réellement d’un engagement authentique non pas en raison des convictions politiques personnelles de Véronique Hivon, que nous ne mettons pas en cause ici, mais en raison du caractère hypocrite de la formation politique à laquelle elle adhère. Une formation qui parle du côté gauche, quand elle siège dans l’opposition et s’exprime du côté droit, quand elle dirige au parlement. Nous le savons, la caractéristique des partis politiques est d’attirer un personnel politique professionnel qui se spécialise dans l’art d’afficher des sincérités successives. Des sincérités qui sont trop souvent fuyantes et fluctuantes. Bon, arrêtons-nous ici…

Réjouissons-nous donc de ces prises de position et rappelons-nous surtout qu’elles sont possiblement provisoirement sincères et qu’il n’est pas du tout assuré que ces trois députées de l’opposition parviendront à ébranler les assises des positions bétons sur lesquelles campent, en ce moment, les offres du gouvernement caquiste aux salariÉes syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Rappelons-nous aussi le traitement que les députéEs péquistes et libéraux ont réservé, durant leurs années au pouvoir, de 1983 à 2018, aux salariées syndiquéEs, toutes catégories confondues, des secteurs public et parapublic. Bref, pour les salariéEs syndiquéEs jusqu’à maintenant, lors des négociations avec le gouvernement, peu de choses ont changé du côté des offres gouvernementales, sinon que la couleur de la formation politique de celle ou de celui qui les présente. Pour ce qui est du contenu, c’est la plupart du temps du pareil au même, car depuis les années quatre-vingt-dix, l’indexation des salaires n’a jamais réellement dépassé 2% par année, l’augmentation négociée ou décrétée s’est toujours située entre 0 et 2,5% par année, même si l’Indice des prix à la consommation était supérieur à ce pourcentage. Facile, très facile donc, pour une députéE de l’opposition, concurrence partisane oblige, de dénoncer son vis-à-vis qui est au pouvoir. Plus difficile d’être cohérente et conséquente quand elle prend ou aura à prendre les décisions, une fois installée au pouvoir.

Sur le caractère quasi pérenne du sens de la vocation des enseignantEs

Celles et ceux qui ont vécu le traumatisme des décrets de 1983 se rappelleront que c’est le ministre péquiste de l’éducation de l’époque, Camille Laurin, qui en appelait au sens de la vocation des enseignantEs pour passer à travers la crise des finances publiques du début des années quatre-vingt. Ce sacré sens de la vocation était également évoqué par Duplessis quand il était au pouvoir. Et dire qu’on l’invoque toujours aujourd’hui. À travers nos lectures, nous avons même lu qu’au Moyen Âge, l’évêque d’Orléans, a publié les instructions suivantes :

« Que les prêtres ouvrent des écoles dans les bourgs et villages. Si un fidèle veut leur envoyer ses enfants pour les faire instruire, ils ne doivent pas refuser de les recevoir et de les instruire. Et qu’ils ne réclament pour cela aucun salaire. Qu’ils n’acceptent rien, si ce n’est ce qui leur sera offert spontanément et par amitié[1]. »

À quand la fin de cette longue marche dans le désert de la non-reconnaissance de la valeur réelle de la prestation de travail des enseignantes et des enseignants ? Certaines personnes pensaient que la présente ronde de négociation serait enfin celle qui allait régler un certain nombre de problèmes spécifiques au monde de l’enseignement (hausse de salaire pour les enseignantEs en début de carrière, hausse également pour certainEs [les enseignantEs d’expérience]). Vous souvenez-vous quand l’actuel ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, nous annonçait qu’il avait hâte que les enseignantEs prennent connaissance des offres que son gouvernement allait leur présenter, de mémoire, il disait qu’il s’agissait là d’offres « emballantes » que les enseignantEs allaient accepter avec un « enthousiasme débordant » (ou quelque chose du genre, je cite de mémoire ici).

À voir la morosité qui règne en ce moment parmi les enseignantEs, le ministre Roberge et les autres membres du cabinet Legault qui ont élaboré les présentes offres de 5 % d’augmentation salariale, pour trois ans, doivent réellement songer à refaire leurs devoirs. Sinon, il se pourrait peut-être que ce ne soit pas uniquement une autre manifestation féministe qui se tiendra devant l’Assemblée nationale. Qui sait si, dans les bureaux syndicaux, certaines personnes ne parlent pas d’intensification de moyens de pression pouvant aller possiblement jusqu’à la grève ?

Yvan Perrier

4 décembre 2020

13h40

yvan_perrier@hotmail.com

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/negociations-2020-la-fae-en-action-de-mobilisation-feministe-devant-l-assemblee-nationale-817054596.html . Consulté le 3 décembre 2020

[1] P. Riché. École et enseignements dans la haut Moyen Âge, Aubier, 1979, cité dans Georges Langlois et Gilles Villemure. 1992. Histoire de la civilisation occidentale, Montréal ; Beauchemin, p. 117

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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