Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Nous élever au-dessus de ce qui reste de la démocratie libérale

D. Trump est une menace à la stabilité mondiale, seule une nouvelle internationale de gauche peut le défaire

Slavoj Zizeki, In These Times, 3 mars 2017
Traduction, Alexandra Cyr

Dans son discours d’investiture le 20 janvier dernier, Donald Trump nous a livré son idéologie à l’état pur. Un message simple reposant sur une série d’inconsistances évidentes. Au plus élémentaire de son expression on trouvait quelque chose que B. Sanders aurait pu dire : je parle pour vous les oubliés-es, les négligés-es le peuple qui travaille dur et est exploité. Je suis votre voix. Vous êtes maintenant au pouvoir. Mais, derrière le contraste évident entre ces proclamations et ses premières nominations (Rex Tillerson la voix des exploités-es, des gens qui travaillent dur ?), une série d’indications ont donné de la vigueur à son message.

Donald Trump parle des élites de Washington pas des capitalistes ni des grands banquiers. Il parle de sortir du rôle de gendarme du monde entier mais promet la destruction du terrorisme musulman. Par ailleurs, il dit qu’il empêchera la Corée du nord de procéder à des tests balistiques et qu’il obligera la Chine à restreindre son occupation des iles dans la mer de Chine du sud. Nous allons donc nous retrouver avec un interventionnisme militaire mondial au nom précisément des intérêts américains, sans droits humains et avec une pseudo démocratie. Durant les années 1960, le moto du jeune mouvement écologique était : « Penser globalement, agir localement » ! D. Trump promet l’exact contraire : « Penser localement, agir globalement » !

Au 20ième siècle, personne n’avait besoin de proclamer « l’Amérique d’abord » ! Cela allait de soi. Le fait que D. Trump le proclame est un signe qu’en ce 21ième siècle l’interventionnisme mondial américain va se poursuivre, mais plus brutalement. Ironiquement, la gauche qui a longtemps critiqué les prétentions américaines à être le gendarme mondial, pourrait commencer à rechercher le bon vieux temps quand, tout-à-fait hypocritement, les États-Unis imposaient ses standards démocratiques partout.

Mais, ce qu’il y a de plus déprimant dans cette période postélectorale américaine ce ne sont pas les politiques du Président Trump. C’est la réaction du Parti démocrate à sa défaite historique : l’oscillation entre deux extrêmes, l’horreur et la désignation du gros méchant loup appelé Trump. Il observe, normalise la situation et croit que rien d’extraordinaire n’est arrivé. D’un côté, Chris Matthews de MSNBC dit qu’il a sentit quelque chose d’hitlérien dans le discours inaugural. D’un autre côté, John Bresahan de Politico rapporte que Mme Pelosiii « ne fait que relever les événements d’il y a une décennie » Pour elle, la leçon est claire (…) Ce qui a fonctionné dans le passé va encore fonctionner. D. Trump et les Républicains vont aller trop loin et les Démocrates vont devoir être prêts-es au sauter sur l’occasion quand cela se produira.

Autrement dit, l’élection de Donald Trump n’est qu’un autre revers dans l’échange normal de la Présidence entre les deux Partis : Reagan, Bush, Clinton, Bush, Obama et maintenant Trump. Une telle analyse méconnait totalement la véritable signification de cette élection soit, la faiblesse du Parti démocrate qui a rendu cette victoire possible et la restructuration radicale de toute la politique qu’elle annonce.
Mais qu’arrivera-t-il si son protectionnisme modéré, ses grands travaux publics et la création d’emplois combinés à des mesures de sécurité basées sur le rejet de l’immigration et une nouvelle paix, quoique dénaturée, s’installait avec la Russie donnaient des résultats à court terme ? C’est ce dont la gauche libérale horrifiée à vraiment peur : que D. Trump ne soit pas la catastrophe annoncée.

Il ne faut pas succomber à ce genre de panique. Même si le Président paraissait réussir, les résultats de ses politiques seront au mieux ambigus pour les gens ordinaires qui sentiront vite leurs douloureux effets. La seule manière de battre d. Trump et de sauver ce qui en vaut la peine dans la démocratie libérale, de nous en éloigner et de développer une nouvelle gauche. Il est facile d’imaginer certains éléments de son programme. Le Président Trump promet l’annulation de grands traités de libre échange que Mme Clinton soutient. L’alternative de la nouvelle gauche à ces deux positions, devrait être de nouveaux et différents traités de libre échange internationaux qui établiraient le contrôle public des banques, des normes écologiques, les droits des travailleurs-euses, des soins de santé universels, la protection des minorités sexuelles et ethniques, etc. La grande leçon du capitalisme mondialisé est que les nations isolées les unes des autres ne peuvent accomplir cette tâche. Seule une nouvelle internationale politique a une chance de le réfréner.
Un vieux militant de gauche, anti communiste, m’a dit un jour que la seule chose positive qu’avait apporté Staline était d’avoir fait peur aux pouvoirs occidentaux. On peut dire la même chose de D. Trump. Ce qu’il y a de bon avec lui c’est qu’il fait vraiment peur aux libéraux.

Après la 2ième guerre mondiale, les pouvoirs occidentaux ont réagit à la menace des Soviétiques en se concentrant sur leur propre situation immédiate et ils ont développé l’État providence. Est-ce que la gauche libérale est capable d’en faire autant en ce moment ?
1.S. Zizek est philosophe et psychanalyste d’origine slovène. Il est chercheur à l’Institute for Humanities, Birkberck College à Londres. Il est aussi professeur invité dans plus de 10 universités dans le monde. Il est l’auteur de plusieurs livres dont Trouble in Paradise.
2.Présidente de la minorité démocrate à la Chambre des représentants. N.d.t.

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