Édition du 23 avril 2024

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Québec

Opposition massive à la réforme Drainville, qui donne des pouvoirs sans précédent au ministre de l'Éducation

L’opposition massive au projet de loi déposé par le ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville, offre un contexte inusité dans l’histoire récente de l’éducation. Le Projet de loi nº 23 vise essentiellement à renforcer le pouvoir du ministre vis-à-vis des centres de services scolaires (CSS), via l’implantation de diverses mesures.

Cet article proposer de dresser un portrait – le plus objectif possible – de la position de divers acteurs du milieu scolaire et universitaire à l’égard des changements proposés par cette réforme.

Pour ce faire, nous proposons une analyse qualitative et quantitative des mémoires déposés par plusieurs acteurs au printemps 2023 dans le cadre des consultations particulières de la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec (ANQ), chargée de faire l’étude de ce projet de loi.

Contexte de la recherche

Au total, 41 acteurs ont déposé des mémoires lors de ces consultations. Par « acteurs », nous entendons des organismes, groupes ou individus. Il s’agit en majorité d’acteurs scolaires ou universitaires, c’est-à-dire des acteurs touchés par l’activité éducative.

Parmi ces derniers, 40 prennent position à l’égard des cinq changements proposés par le projet de loi nº 23 que nous considérons comme les plus importants, soit :

 le pouvoir du ministre d’orienter la formation continue du personnel enseignant ;

 le pouvoir du ministre de nommer des directeurs généraux des CSS ;

 l’abolition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) ;

 le démantèlement du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) ;

 la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE).

Résultats de notre analyse

1. Formation continue du personnel enseignant

Une première analyse nous permet d’observer que les appuis en ce qui concerne le pouvoir accru du ministre à l’égard de la formation continue du personnel enseignant sont rares :

Près de la moitié des acteurs rejettent en bloc ce changement proposé par le Projet de loi nº 23, alors que l’autre moitié ne l’aborde pas. Un seul acteur appuie le changement, mais avec des réserves, soit l’Association des directions générales du Québec (ADGSQ), laquelle représente les directeurs généraux des CSS et des commissions scolaires du Québec. L’ADGSQ se montre en faveur d’un encadrement privilégiant des stratégies reconnues comme efficaces par la recherche.

Les acteurs opposés à ce changement (syndicats, universitaires, organismes publics – dont le protecteur du citoyen) défendent pour leur part l’importance de respecter l’autonomie professionnelle du personnel enseignant.

2. Directeurs généraux des centres de services scolaires (CSS)

La position des acteurs à l’égard du pouvoir du ministre de nommer les directeurs généraux des CSS est plus contrastée :

Parmi les acteurs abordant ce thème, 12 se montrent opposés et 4 l’appuient avec des réserves. Les groupes qui souscrivent à ce changement sont des associations représentant des cadres scolaires, alors que ceux qui s’y opposent représentent souvent des acteurs qui siègent actuellement sur un conseil d’administration de CSS, soit l’instance détenant ce pouvoir.

3. Abolition du CAPFE

Depuis sa création en 1992, le CAPFE a comme mission d’examiner et d’agréer les programmes de formation à l’enseignement, de recommander au ministre les programmes de formation à l’enseignement aux fins de l’obtention d’une autorisation d’enseigner et de donner son avis au ministre sur la définition des compétences attendues du personnel enseignant des ordres d’enseignement primaire et secondaire.

Le projet de loi n° 23 propose de rapatrier ces pouvoirs autour du ministre, lequel pourrait au passage consulter l’INEE pour prendre ses décisions.

L’analyse statistique nous permet de constater que l’abolition du CAPFE reçoit peu d’appuis :

En fait, un seul mémoire soutient cette abolition, soit celui de Maltais, professeur en financement et politiques d’éducation (UQAR), et Bendwell, enseignant de philosophie au Cégep de Saint-Laurent, et ce, sans réserve. Les acteurs s’y opposant souhaitent le maintien du CAPFE au nom des principes mêmes d’une bonne gouvernance.

4. Abolition du CSE

Le CSE est né au même moment que le ministère de l’Éducation, en 1964, dans le contexte de la Révolution tranquille. Il a pour fonction de conseiller les ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur sur toute question relative à l’éducation ou à l’enseignement supérieur en répondant à leurs demandes d’avis, mais aussi en effectuant de sa propre initiative des travaux portant sur tout thème qu’il juge pertinent.

Le projet de loi nº 23 propose de démanteler le CSE en confiant sa mission relative aux ordres préscolaire, primaire et secondaire à l’INEE, lequel est toutefois dépourvu du pouvoir d’initiative et des instances délibératives que possède le CSE.

Les appuis à l’égard de l’abolition du CSE sont clairsemés, eux aussi :

En fait, il s’agit de l’élément le plus contesté du projet de loi. Pour les défenseurs de l’organisme, l’intégrité du CSE est vitale, en raison de son rôle hautement démocratique et apolitique, de même que de ses travaux rigoureux, originaux, accessibles et éclairants.

5. Création d’un INEE

Le projet de création d’un INEE calqué sur le modèle de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESS) est discuté au Québec depuis près d’une décennie. Les principales missions de ce nouvel organisme seraient d’identifier les meilleures pratiques en enseignement et de favoriser leur mise en application dans les milieux.

L’analyse permet d’observer que la création d’un INEE est le changement le plus discuté dans les mémoires :

Un seul des 40 mémoires analysés ne traite pas de ce thème, soit celui de l’Union des municipalités du Québec, qui aborde surtout des changements législatifs apportés par le gouvernement à l’intérieur d’une législation précédente. Ce changement est aussi le seul – de tous ceux retenus ici – à rassembler plus d’appuis (n=30) que de rejets (n=9).

Il demeure que seuls deux acteurs adhèrent inconditionnellement au projet d’INEE contenu dans le Projet de loi nº 23. Les réserves les plus courantes concernent l’importance d’affirmer davantage l’indépendance de l’INEE à l’égard du ministre ou de revoir la composition de son conseil d’administration pour inclure des représentants d’autres groupes.

Enfin, neuf acteurs font pièce à ce changement en raison notamment du brassage de structures qui détourne des véritables enjeux du milieu scolaire. Ces opposants sont plutôt d’avis que le ministre gagnerait à réinvestir dans les structures en place.

Certains voient également dans cette entreprise une « centralisation accrue de l’autorité », voire une réponse « aux besoins (de contrôle) du ministre, pas [aux besoins] des élèves ainsi que des enseignantes et enseignants ».

Que faut-il retenir ?

L’analyse des mémoires déposés à la Commission de la culture et de l’éducation de l’ANQ permet de constater le très peu d’appétit des acteurs du milieu scolaire et universitaire à l’égard des changements proposés par le Projet de loi nº 23.

En fait, seul le projet de création de l’INEE suscite plus d’appuis que de refus, mais avec d’importantes réserves et résistances.

Il importera donc d’observer au cours des prochaines semaines et des prochains mois si le ministre saura tenir compte de ces avis discordants et s’il modifiera de façon substantielle son projet de loi.

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Olivier Lemieux

Professeur en administration et politiques de l’éducation, Université du Québec à Rimouski (UQAR)

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