Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Le discours sur l’état de l’Union

Ou comment dire peu en disant beaucoup quand l'époque et le peuple demande autre chose

Mardi soir le 25 janvier dernier, le Président Obama a livré son deuxième discours sur l’État de l’Union deux ans jour pour jour après son assermentation. Au cours de ces deux ans il a géré la pire crise économique de l’histoire américaine depuis celle de 1929, et tenté d’introduire certaines réformes auxquelles il avait promis de procéder lors de sa campagne électorale, dont celle de l’assurance maladie.

Il pouvait compter sur un Congrès démocrate, avec une pleine majorité dans les deux chambres. En novembre dernier, les Républicains lui ont ravi la majorité dans la chambre basse et diminué celle du Sénat. Les prochaines élections auront lieu dans deux ans et M. Obama briguera à nouveau les suffrages.

DISCOURS ÉLECTORAL,

La plupart des observateurs s’entendaient pour dire qu’il s’agissait surtout d’un discours électoral ; il faut rassurer les Démocrates quand à leur possibilité de se faire réélire (A. Berman, The Nation.com). Howard Dean, président du parti démocrate a d’ailleurs déclaré avant le discours : Je jubile à propos de ce que le président va nous dire. (Leslie Savan, The Nation 26-01-11). Mais en même temps il lui faut circonvenir autant que possible la majorité républicaine à la Chambre des représentants.

Dans ce discours, comme l’écrit Mathew Rothschild du Progressive Magazine : certains passages sont des copiés-collés des discours des candidats républicains qui se sont fait élire en novembre dernier. Gwenn Ifill (Charlie Rose 25-01-11) va jusqu’à dire que c’est le discours qu’on pourra le plus rapprocher de ceux de Ronald Reagan. Pour Alexander Cockburn (Counter Punch 28-01-11) c’était la quintessence du baratin, un discours de motivateur alors que les Etats-Unis sont en pleine crise économique et sociale. Mais où, par contre, la droite a reçu un soutient significatif pour abaisser les taxes et adopter d’autres mesures qu’elle chérit comme des coupes dans Medicarei et autres programmes du genre. Pour Noam Chomsky, (Democracy Now 28-01-11) il ne faut pas s’attendre à grand-chose de ce genre de discours, ce que le Président y a dit est à peu près ce qui peut s’y dire.

Analysant cette démarche électorale, Mark Heilemann du New-York Magazine (Charlie Rose 25-01-11) soumet que le président a ainsi mis de l’avant des compromis qu’il ne proposerait pas normalement mais qu’il propose aux Républicains pour les obliger à se compromettre réellement dans l’élaboration de solutions à la crise. De fait, les représentants républicains, qui ne parlent que de coupes dans tous les budgets sauf ceux du complexe militaro-industriel, ne font aucune proposition concrète à ce sujet.

L’ÉCONOMIE ET LES EMPLOIS,

Les Américains-es qui, semble-t-il ne se situent pas d’abord selon les couleurs politiques, dit Kamala Harris, attorney générale de Californie, (Charlie Rose, 25-01-11) sont d’abord et avant tout préoccupés-es par l’état de l’économie réelle et des emplois. Bien avant les questions de dette et de déficit, pense Al Hunt de Bloomberg News. (Charlie Rose 25-01-11). Le président a effectivement concentré les deux-tiers de son discours sur ces aspects en les situant dans une continuité historique. Il a commencé par annoncer un gel des dépenses internes du gouvernement fédéral pour les cinq prochaines années. À cette annonce, personne dans l’auditoire du Congrès n’a applaudit : ce n’était pas assez pour les Républicains et les Démocrates ne veulent pas de ce genre de mesure selon John Sununu ex-sénateur du New-Hampshire. (Charlie Rose, 25-01-11).

Mais Naomi Klein, (Democracy Now, 28-01-11) déclare que l’annonce de ce gel est la concrétisation du transfert du paiement de la dette encourue pour sauver Wall Street et les élites du pays à la population déjà appauvrie par la crise. Comme elle le souligne, cela signifie des coupes dans les budgets déjà déficitaires des États et des municipalités, donc des coupes dans les services à la population, y compris l’éducation primaire et secondaire dont ces niveaux de gouvernement sont responsables. En Californie, les étudiants font face à des augmentations de frais de scolarité de 30%, des refuges pour femmes violentées sont fermés, etc. etc. Pourtant, selon un sondage récent du Pew Inst., la population accordait la priorité des priorités à l’augmentation du financement en éducation. (Noam Chomsky, Democracy Now 28-01-11).

Le gel annoncé devrait réduire le déficit américain de 400 milliards de dollars et le ramener à ce qu’il était du temps d’Eisenhower. (Alexander Cockburn, Counter Punch, 28-01-11).
Ceci semble bien en contradiction avec l’objectif de développer des emplois en finançant des programmes de développement de trains à haute vitesse, de réfection et construction des infra- structures commencées depuis deux ans mais pour lesquelles le président propose de redoubler d’efforts et du développement accéléré des énergies vertes. De là devraient donc venir les emplois comme ils sont venus de la course vers l’espace dans les années soixante. Notons, au passage que les énergies vertes comprennent, pour M. Obama, l’énergie nucléaire et le charbon… ! Il annonce une législation visant les changements climatiques mais aussi le soutient à l’exploration pétrolière en haute mer… ! Le président considère les financements publics nécessaires à ces politiques comme des investissements.
Il faut ici, s’attendre à de chaudes discussions sur le sens des mots dépenses et investissements lors du débat sur le budget dans quelques semaines. Les Républicains interprètent toute sortie de fonds par le gouvernement comme une dépense, ce qu’ils veulent faire cesser à tout prix.

Les autres sources d’emplois devraient venir d’investissements dans la recherche biomédicale et dans le développement des technologies de l’information. Ceci voudrait dire l’embauche en dix ans, de 100,000 nouveaux professeurs en science, technologie, ingénierie et mathématiques. (Ari Berman The Nation, 26-01-11). Il n’a pas dit comment il comptait financer ces investissements tout en effectuant des coupes dans les dépenses et en proposant une baisse du taux de taxation des entreprises ce qui n’a pas été fait depuis vingt-cinq ans. Et on sait par ailleurs qu’en décembre dernier il a reconduit pour deux ans, les exemptions de taxes qu’avait accordées le président Bush au début de son mandat, dans un geste de compromis envers les Républicains. Il a précisé qu’il ne répéterait pas cet exercice mais d’ici là, cela prive l’État de milliards de dollars chaque année et enrichit le un% le plus riche de la population.
Le rapprochement de l’entreprise privée est une autre tendance notoire de ce discours. C’était déjà commencé dans la pratique avec de récentes nominations de conseillers et responsables à la Maison Blanche : Bill Daley, membre du conseil d’administration de la banque J.P. Morgan à titre de chef du personnel ; celle de Jeff Immelt p.d.g. de General Electric à la tête du conseil .ii Il s’est félicité de la remontée de la bourse et des profits des entreprises, annoncé de futures baisses de leur taux de taxation. Il s’est engagé à doubler les exportations d’ici 2014, à finaliser l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud et à réviser les règlements fédéraux qui concernent les entreprises. Il a quand même invoqué la suppression des voies d’évitement dont peuvent se prévaloir les entreprises dans la loi sur l’impôt et a demandé au Congrès de supprimer les milliards remis aux pétrolières en dégrèvement d’impôt. Ceci avant de faire sa profession de foi envers le système capitaliste : (Ari Berman, The Nation, 26-01-11). Ce discours est aussi conséquent quant aux politiques qu’il a mises de l’avant au cours des deux dernières années : le renforcement de la concentration du capital grâce aux investissements pour le sauvetage de Wall Street. (K. Zeese, Global Research, 26-01-11).
Et maintenant, ce sont ces milliards que le peuple paiera grâce au gel des dépenses intérieures fédérales. (N. Klein, Dem. Now, 28-01-11).

POLITIQUE EXTÉRIEURE,

Il faut souligner le petit passage qui fait référence aux soulèvements en Tunisie en cours au moment du discours. Le président se prononce pour la démocratie et des réformes qui soulageront les peuples.

PUIS RIEN…..

Rien sur un possible contrôle plus serré des armes à feu. En ouverture il a parlé des événements de Tucson (Arizona) aux cours desquels une de ses collègues a été gravement blessée par un tireur isolé. Cela n’a pas été suffisant pour introduire une perspective quant au contrôle de ces armes. On sait depuis longtemps que les républicains sont absolument contre ce genre de politique tout comme une partie des représentants démocrates.

Rien sur les deux guerres en cours qui contribuent à l’augmentation du déficit budgétaire années après années. Un soldat en Afghanistan coûte un million par année payé avec de l’argent emprunté. (Kevin Zeese, Global Reasearch, 26-01-11).

Rien non plus pour expliquer pourquoi les dépenses militaires qui augmentent toujours de façon incontrôlée, sont épargnées par le gel des dépenses fédérales.

Rien sur les dépenses encourues pour venir à bout des dégâts de BP lors de l’explosion de sa plateforme dans le golfe du Mexique et de la marée noire qui s’en est suivie. Quelle politique est envisagée face à ces compagnies qui détruisent les moyens de vivre de populations considérables ? Le rapport d’enquête sur les tenants et aboutissants de cette catastrophe retient la négligence, l’incompétence et le laisser aller comme causes premières de cet accident. BP déclare des profits ce mois-ci et voit sa cote monter en bourse…

Rien sur les rapports avec la Chine si cruciaux pour les Etats-Unis en ce moment et alors que le président Hu Jintao venait tout juste de bénéficier d’une première visite d’État. Il faut être prudent avec son principal prêteur ! La Chine détient en ce moment plus de dollars que la Réserve fédérale américaine et si elle décidait de cesser d’acheter des ‘bons du trésor’ américains les Etats-Unis seraient immédiatement en faillite.

Rien sur des actions immédiates pour faire baisser le chômage. Ce qui est annoncé ne peut donner de résultats que dans un ou deux ans au mieux. Or, les travailleurs-euses veulent du travail immédiatement ! Il leur demande de s’accrocher au fil de l’entreprise privée qui devrait recommencer à embaucher prochainement. Pourtant on peut considérer que les entreprises font la grève des investissements car elles ont de l’argent. Elles n’investiront sans doute que lorsque l’administration se sera montrée assez conciliante et réconfortante avec elles.

Rien quant à de l’aide supplémentaire aux gens qui se voient saisir leur maison en ce moment. Les camps de tentes refleurissent aux abords des villes comme au moment de la crise de 1929. Il est bien connu que les Américains acceptaient relativement facilement de vendre leur maison pour déménager n’importe où dans le pays où se trouvait un emploi disponible et intéressant. Avec l’effondrement du marché immobilier et les saisies ce mouvement est largement ralentit sinon stoppé et contribue au maintient du chômage.
Rien sur une possible lutte contre les inégalités aux État-Unis. C’est un des pays au monde où les inégalités sont les pires. Un% de la population s’accapare 25% de la richesse globale que possède la nation. Selon le Tax Policy Center, un groupe indépendant, le un dixième de la population la plus riche qui avait des revenus de plus de 2,9 millions en 2009 empocherait 1,7million par année grâce aux baisses de taxes que veulent introduire les Républicain. (Katrina Vanden Heuwel. The Nation, 25-01-11).

Rien sur l’échec de la fermeture de Guantanamo. Outre que cette prison coûte une fortune elle est toujours un lieu de négation outrancière des droits humains même si la torture n’y a plus le même statut. 160 prisonniers pour lesquels il n’y a aucune accusation de porté y seront confinés pour combien d’année ?

CONCLUSION,

Comme le dit John McAuthur du Harpers Magazine (20-1-11) : < (le président) Obama a commencé au centre et il s’est constamment déplacé vers le centre droit depuis>. Ce discours en est une illustration.

Comme il est à préparer sa future campagne électorale, il ménage déjà ses contributeurs. Il veut engranger 2 milliards de dollars à cette fin. Le discours était électoral en ce sens aussi.

<Oui il a parlé de trains à haute vitesse et d’accès universel à Internet.
Oui il défendu les droits des gays et lesbiennes dans l’armée.
Oui il a dit qu’il résisterait aux propositions de recul dans la loi sur l’assurance-maladie.
Et non, il n’a pas jeté la sécurité sociale en pâture aux loups de Wall Street.
Mais il a été désespérément médiocre à mettre de l’avant les interventions gouvernementales dont des millions d’AméricainEs ont besoin en ce moment. (Matthew Rothschild, Progressive Mag. 26-01-11)

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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