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Paul Magnette : « L’écosocialisme est le nouvel âge du socialisme »

Dans son nouveau livre intitulé « La Vie large », le dirigeant socialiste belge élabore des pistes stratégiques pour affronter la catastrophe écologique et les oligarchies qui la précipitent. Il propose un « examen de conscience croisé » aux socialistes et aux écologistes.

16 octobre 2022 | tiré de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/politique/161022/paul-magnette-l-ecosocialisme-est-le-nouvel-age-du-socialisme

Paul Magnette n’a rien de l’intellectuel égaré en politique. Cet universitaire, reconnu dans le champ des études européennes, s’est montré assez habile et patient pour se hisser en 2019 à la tête du Parti socialiste belge, dirigé pendant presque deux décennies par son prédécesseur Elio Di Rupo. En 2016, il s’était déjà fait un nom sur la scène européenne en bloquant l’adoption d’un traité de libre-échange avec le Canada, depuis la région wallonne dont il était le ministre-président.

Cette année, il a attendu la fin du cycle électoral français pour publier La Vie large (La Découverte), un essai présenté comme un « manifeste écosocialiste ». Dans un style hybride, à la fois grand public et appuyé sur de nombreuses références académiques, Paul Magnette y règle quelques comptes avec l’écologie politique et certains de ses penseurs de référence. Mais il propose aussi à sa propre famille politique, la social-démocratie, de se détourner pour de bon du carcan néolibéral et des réflexes productivistes.

La cohérence de son message sera certainement débattue, et le succès de sa diffusion reste à observer. Il est probable, en tout cas, qu’il rencontre l’intérêt de la direction actuelle du PS français. Engagé dans une union de partis fermement ancrée à gauche, Olivier Faure y trouvera des ressources doctrinales contre ses opposants internes, manifestement attachés à une conception conservatrice de la social-démocratie. Entretien avec un socialiste « soucieux de rendre la transition climatique désirable ».

Mediapart : Cette rentrée est marquée par les discussions budgétaires, un moment phare du parlementarisme qui est en train d’être légèrement revivifié en France. Dans votre nouveau livre, vous proposez d’ajouter à ces discussions annuelles un « moment climat ». Quel est l’objectif de cette proposition ?

Paul Magnette  : Je pars du constat que les choix autour de la question climatique deviennent de plus en plus des choix redistributifs. Quand on dit qu’il faut redescendre la température dans les habitats, on ne peut pas faire comme si cela pouvait s’appliquer de manière uniforme. Il faut des politiques différenciées en fonction des groupes sociaux et des niveaux de revenus.

Aujourd’hui, 50 % de la population émet moins de six tonnes de CO2 par an en France, ce qui est l’objectif qu’on devrait atteindre en 2030. La moitié de la population est vertueuse d’un point de vue climatique, pas par choix, mais par nécessité. Les 1 % les plus riches, eux, consomment dix, vingt, trente fois ce qu’un pauvre consomme. Il faut mettre en scène politiquement cet enjeu, ne pas l’enfermer dans la science.

C’est quelque chose qui est à inventer, mais l’automne me semble le moment propice. C’est le temps du débat sur les orientations fiscales et budgétaires du pays, mais aussi de l’organisation des COP annuelles [les conférences des parties prenantes de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques – ndlr]. Puisque nous connaissons le budget carbone maximal à consommer dans le monde, et pour chaque pays, on pourrait mettre sur la table la répartition des efforts selon les secteurs et les catégories sociales. Si on ne pose pas la question de l’équité de ces efforts, des mouvements comme les « gilets jaunes » sont inévitables.

Vous affirmez le besoin de planification pour respecter des objectifs climatiques compatibles avec une planète habitable. Le terme a été longuement travaillé par Jean-Luc Mélenchon et ses soutiens, avant qu’Emmanuel Macron ne se l’approprie. Quelle est votre propre conception ?

L’écosocialisme, en tant que courant de pensée, date des années 1960 et 1970. La nécessité de la planification est évoquée très tôt par ses protagonistes. Dès ce moment, on mesure en effet que la transition écologique est un exercice tellement profond, qui aura de telles conséquences sur la structure même de la société, qu’il ne peut pas être pris en charge par le marché.

Récemment, c’est l’essayiste Naomi Klein qui a le mieux popularisé cette idée. C’est important, car alors que les premières mesures de protection de l’environnement avaient débouché sur des normes strictes (par exemple pour protéger la couche d’ozone, avec succès), il y a eu un glissement libéral vers des solutions de marché (par exemple celui du carbone, qui a été un échec).

En fait, la planification est déjà pratiquée, depuis les entreprises jusqu’à l’échelle des COP, qui ont fixé un objectif mondial de neutralité carbone, décliné différemment selon les pays. Le vrai enjeu, c’est de savoir comment on planifie, et de démocratiser cet exercice. S’il s’agit uniquement de deals entre des technocrates et des lobbies, cela veut dire qu’il n’y aura pas de débat ouvert permettant de prendre en compte les effets distributifs des mesures décidées.

À quels niveaux doit s’accomplir cette démocratisation ?

D’abord à l’intérieur de l’entreprise, un objectif que la gauche a trop laissé tomber. Quand il y a une participation de tous à la décision, par exemple dans l’économie sociale et solidaire, on observe que l’entreprise tient davantage compte des effets sur l’environnement, la santé ou l’égalité femmes/hommes.

Ensuite, la démocratisation est possible et nécessaire à plus grande échelle. Il faut articuler le dialogue social, les conventions citoyennes tirées au sort et les formes parlementaires classiques. On a déjà élargi la démocratie parlementaire à la représentation des intérêts liés à la division du travail, on peut le faire à propos des enjeux écologiques.

Toutes les civilisations ont imposé des limites à la concentration des richesses.

Vous défendez aussi une certaine radicalité redistributive. À quel point l’enjeu climatique change-t-il quelque chose à la vieille revendication d’égalisation des conditions ?

Ce qui est documenté, c’est la corrélation entre les inégalités environnementales et sociales. Plus vous êtes pauvre, plus vous êtes exposé aux nuisances environnementales et moins vous avez accès à un environnement sain.

Il y a moins d’études définitives sur le fait que les inégalités sont le moteur du dérèglement climatique. Mais il existe un certain nombre d’indices : plus les pays sont inégalitaires, plus ils consomment de CO2 ; plus les inégalités s’accélèrent, plus cette consommation croît également ; et à l’inverse, les pays où l’État social est le plus égalitaire sont aussi les plus vertueux sur le plan climatique.

Et puis il y a les travaux puissants de l’économiste Thorstein Veblen, qui explique comment les schémas de consommation dictés par la classe sociale la plus élevée ont tendance à être adoptés par la classe moyenne supérieure, puis la classe moyenne, ce qui conforte des modes de production expansionnistes. J’en ai retiré la conviction qu’il faut réduire les inégalités de patrimoines et de revenus : pour des raisons morales, mais aussi pour casser le moteur de la croissance des émissions de carbone.

Cela fait longtemps que des sociaux-démocrates (re)parlent de justice fiscale, mais vous allez plus loin en évoquant des interdictions à propos de certains comportements – par exemple l’usage de jets privés, qui a fait polémique cet été.

Quand vous renchérissez le prix de certains biens, vous ne mettez pas forcément fin à leur usage, et vous aggravez les inégalités entre ceux qui continuent à payer pour se les procurer, et les autres. Il y a donc certains cas où des normes de comportement peuvent s’avérer légitimes. En Belgique, on interdit déjà les « sauts de puce » des compagnies commerciales, pourquoi les jets privés échapperaient-ils à cette règle ?

C’est aussi une affaire de morale publique, j’ose le mot. Pas pour embêter la population, mais pour modérer le train de vie des plus riches. Dans son livre Éloge des limites (PUF, 2022), l’économiste Giorgios Kallis rappelle que toutes les civilisations ont imposé des limites à la concentration des richesses. Car celle-ci conduit à la corruption politique.

C’était une évidence pour la pensée antique et celle de la Renaissance, ou encore pour les acteurs de la Révolution française ou américaine. C’était aussi la conviction du premier socialisme, au XIXe siècle. On est la seule civilisation du no limit.

Vous désirez donc planifier, redistribuer, davantage normer les comportements... Mais en tant que social-démocrate, quel statut donnez-vous à l’écosocialisme dont vous vous réclamez ? Ce mot vient d’une tradition de gauche radicale bien plus révolutionnaire que la voie que vous défendez.

J’ai le plus grand respect pour le travail que les trotskystes – puisque c’est d’eux qu’on parle – ont accompli à propos de l’écosocialisme. À maints égards, je peux trouver des convergences avec cette sensibilité. Nous partageons une critique du capitalisme formalisée par Marx, qui fut la base doctrinale de la social-démocratie pendant des décennies. Et j’admets avec eux que le socialisme d’inspiration marxiste a épousé un imaginaire productiviste et technicien, dénoncé avec raison par un philosophe comme Cornélius Castoriadis.

Le statut de l’écosocialisme, pour moi, c’est un nouvel âge du socialisme. Celui-ci a d’abord été pré-marxiste, élaboré « par le bas », par ceux qui subissaient et critiquaient la société industrielle naissante. Il a ensuite été marqué par la révolution scientifique que Marx a apportée. C’est le temps où Jaurès, Vandervelde [socialiste belge – ndlr] et Lénine cohabitaient dans la même famille politique.

Puis est intervenue la rupture de 1920, entre le rameau devenu plus nettement réformiste et le rameau communiste. Plus récemment, à la fin du XXe siècle, toute une partie de la social-démocratie a épousé l’épisode malheureux de la « Troisième voie » [incarnée par Tony Blair, celle-ci a consisté en un accommodement à la logique néolibérale– ndlr]. J’espère que l’écosocialisme sera l’âge caractérisant la première moitié de notre siècle.

Encore faut-il une base sociale pour conquérir le pouvoir. Une des leçons que vous tirez du premier socialisme, c’est qu’il a fédéré les luttes des ouvriers, des artisans et des paysans contre la domination du capital. Croyez-vous possible de faire advenir une « classe écologique », pour reprendre l’expression de Bruno Latour,récemment disparu ? Et si oui, comment lui faire prendre conscience d’elle-même ?

Le Mémo sur la nouvelle classe écologique est un peu le testament politique de Bruno Latour. J’ai été marqué parune interview au Monde dans laquelle il affirmait : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes. » Venant de lui, c’était assez surprenant, car autant il a été pionnier sur les questions liées au rapport à la nature, autant je crois qu’il n’avait pas suffisamment intégré la question sociale.

La classe écologique, comme la classe ouvrière jadis, n’existe pas a priori. Entre les mineurs, les dockers, les cheminots, les artisans typographes, il y avait des divergences énormes. Les socialistes ont tout de même construit un combat et un mouvement qui ont fait exister cet ensemble en tant que classe ouvrière. Il s’agit de reproduire une telle construction, adaptée à notre époque et nos défis.

Aujourd’hui, je pense que l’adversité envers le capitalisme et la poursuite commune de différents enjeux de justice peuvent fédérer les travailleurs du service public, du care et de la logistique, mais aussi les agriculteurs.

Il n’y a pas de politique sans polarisation.

Sauf que la généralisation d’un travail émietté, intérimaire, de plateforme, complique sensiblement la tâche.

Je pense qu’on mythologise trop un moment particulier du mouvement ouvrier : celui de l’ouvrier de chez Peugeot des années 1950. Or, quand vous regardez l’histoire plus longue, les premiers qui arrachent une victoire, celle du suffrage universel, ce sont les mineurs. Le charbon est alors l’aliment essentiel de l’économie, ils ont donc un rapport de force énorme.

La génération suivante du mouvement ouvrier joue aussi un rôle clé. À ce moment-là, c’est le cheminot et le docker qui ont le pouvoir stratégique majeur de bloquer les chaînes d’approvisionnement. Aujourd’hui, regardez ce qui se passe dans les raffineries de Total. Imaginons que demain les travailleurs de l’économie de plateforme, les cheminots et les ouvriers de chez Total se mettent en grève tant qu’ils n’ont pas obtenu l’indexation automatique des salaires, comme en Belgique. Ils auraient la capacité de l’obtenir.

Il faut donc déterminer les combats écologiques et sociaux essentiels – un grand plan d’investissements, la taxation de la fortune, la garantie d’emploi… –, et rassembler stratégiquement ceux qui y ont intérêt.

Vous vantez d’ailleurs la « vertu du conflit », en citant la philosophe Chantal Mouffe, grande défenseure du populisme de gauche. Ce dernier est-il compatible avec l’écosocialisme ?

J’ai un débat passionnant avec Chantal Mouffe, qui est aussi originaire de Charleroi, car je ne la suis pas jusqu’au bout dans son raisonnement. Son enjeu n’est pas tellement le socialisme, mais plutôt une radicalisation de la démocratie.

Ce sur quoi je la rejoins, en revanche, c’est qu’il n’y a pas de politique sans polarisation entre alliés et adversaires. De même, je crois aussi qu’une certaine personnification est nécessaire. Celle de l’adversaire, car on a besoin d’incarner et de simplifier les enjeux. Mais aussi dans notre camp, même si je suis moins attaché qu’elle à la figure du leader charismatique, et que je crois davantage aux logiques collectives.

Enfin, elle a raison de dire qu’il faut jouer sur les affects en politique. À gauche, nous avons trop déserté ce terrain. Quand on devient une gauche hyper rationnelle, et que la seule extrême droite semble encore parler le langage des émotions, c’est un problème. La gauche ne peut pas abandonner le convivial, le festif, le plaisir, comme le défend Michaël Fœssel dans son livre Quartier rouge.

Si l’on en revient à la social-démocratie, pensez-vous vraiment que vos partis frères peuvent devenir écosocialistes ? N’êtes-vous pas isolé ?

Je défends les mêmes idées partout. À Berlin où je vais me rendre au congrès du Parti socialiste européen, je vais défendre le revenu maximal, la planification, le fait de créer des ponts avec des écologistes et des gauches non social-démocrates, et je crois que ça progresse.

Peut-être est-ce une vision romantique, mais écrire, comme je le fais avec cet essai, contribue à cette diffusion des idées. Jaurès et Vandervelde ne cessaient de poser des points de doctrine au cours de leur activité politique. Blair l’a fait aussi, avec des objectifs très différents.

Concernant l’écologie politique, vous en êtes assez critique. Mais est-ce qu’il n’y a pas quelque chose d’audacieux à donner des leçons à ceux qui ont longtemps alerté dans le désert sur la question climatique et les ravages du productivisme ?

Je propose un examen de conscience croisée, et je le fais dans un esprit amical. Le temps qu’on passe à se disputer sert la droite, comme nous l’a récemment rappelé le désastre italien.

Du côté des socialistes, il faut reconnaître que nous avons cédé au culte de la croissance, même si cela n’a été vrai que sur certaines périodes. Le premier socialisme n’était pas tombé dans ce travers. Et l’on doit à une sociale-démocrate norvégienne, Gro Harlem Brundtland, la définition du principe de développement durable.

De leur côté, les écolos ont eu raison sur le fond mais n’ont pas suffisamment construit leur stratégie ni travaillé la question sociale.

Avec l’écosocialisme, 50 % de la population peut voir sa vie matérielle s’améliorer.

Certains pourraient vous répondre que vous continuez à euphémiser l’effort nécessaire pour réduire notre empreinte écologique, largement incompatible avec les limites planétaires. Vous assumez de vouloir un état stationnaire au niveau économique, mais vous rejetez la notion de décroissance. Pourtant, avant l’état stationnaire, il y a bien une diminution nette de notre production matérielle à organiser.

D’abord, je ne crois pas qu’on aura à passer par une réduction de notre confort matériel collectif. Avec l’écosocialisme, 50 % de la population peut voir sa vie nettement s’améliorer.

Si vous isolez massivement les logements, qui sont des passoires énergétiques et où la qualité de l’air est catastrophique, cela aura un impact positif sur votre santé. Si vous avez une vue sur des espaces vert également. Si vous avez accès à une alimentation de qualité, parce qu’il y a des cantines scolaires gratuites avec des produits locaux, comme cela existe en Finlande, si vous avez accès à des transports en commun gratuits, comme c’est le cas dans des agglomérations comme Dunkerque..., tout cela va améliorer la qualité de vie d’une très grande partie de la population.

L’élite, en revanche, va devoir baisser son niveau de confort. Et cela se discute pour les différentes fractions de la classes moyenne. Voilà pourquoi j’ai un problème avec le terme de décroissance. D’ailleurs, dans la littérature à ce sujet, on voit une hésitation avec les mots « a-croissance », « post-croissance », « sobriété », « frugalité ».

Ce qui est vrai, c’est qu’avant, il fallait croître pour lutter contre la pauvreté. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Si la richesse disponible était bien distribuée, la pauvreté disparaîtrait. Il faut donc reposer la question distributive.

Vous vantez l’approche du sociologue Erik Olin Wright, qui consiste à « prendre en tenaille » le capitalisme, sans croire au renversement soudain de ce système. Mais il y a deux difficultés. D’abord, le temps est compté pour éviter l’emballement du dérèglement climatique. Et ensuite, les résistances vont être énormes, du chantage à l’investissement jusqu’à des campagnes contre vos mesures dans les grands médias privés.

Je le sais, car j’ai vécu ce chantage en tant que ministre de l’énergie, quand j’ai voulu prélever la rente nucléaire, ce qui nous renvoie au débat d’aujourd’hui sur les profits excessifs. C’était il y a douze ans, et il m’avait fallu trois ans de bataille judiciaire. Mais j’ai gagné, et cela rapporte encore 800 millions d’euros cette année à l’échelle de la petite Belgique. On subit toujours le chantage à l’investissement des grands patrons, mais ils ont aussi beaucoup de raisons de ne pas le faire.

Le mérite de Wright est de poser très clairement les quatre scénarios qui sont possibles. Il y a la politique des escarmouches, c’est-à-dire des petites luttes sectorielles qui ne remettent pas en cause tout le système – et beaucoup de mobilisations environnementales en sont encore là. Il y a ensuite le repli, c’est l’option des « effondristes », qui reprennent l’idée des communautés autonomes. Là non plus, ça ne fait pas bouger le système, même si certaines expérimentations sont intéressantes.

Vient ensuite le renversement du système d’un seul coup. Mais qui est parvenu à le faire depuis un siècle et demi, à part la prise du Palais d’hiver en 1917, avec l’aboutissement que l’on sait ? La stratégie de la tenaille, c’est donc la plus mauvaise stratégie, à l’exception de toutes les autres. Il faut encercler le domaine de la propriété privée capitaliste, limiter son domaine d’étendue, et à l’intérieur de son domaine, continuer à introduire des normes et des mécanismes démocratiques. C’est ce que Jaurès appelait « l’évolution révolutionnaire ».

Cette stratégie est quand même celle qui a eu plus de succès que toutes les autres. La différence entre la situation contemporaine et le mouvement ouvrier du passé, c’est que celui-ci se concentrait sur un combat à la fois : le suffrage universel, les congés payés, la journée de 8 heures, etc. Il laissait de côté d’autres combats, comme la question des femmes ou les questions environnementales.

L’intersectionnalité nous oblige à fédérer les luttes, et c’est une bonne chose, pour être justes et nous hisser à la hauteur du moment historique.

Le titre de votre livre, La Vie large, invite à une forme d’utopie, dans un monde où les imaginaires sont majoritairement post-apocalyptiques, dystopiques. Faut-il sortir de la peur pour faire advenir l’écosocialisme ?

J’ai trouvé cette expression de Jaurès dans une vieille revue. L’anecdote raconte que des bourgeois reprochaient aux socialistes de vouloir une société où tout le monde se serre la ceinture, que sous leur gouvernement on ne pourrait plus rien faire. C’est exactement le procès de « l’écologie punitive » tel qu’on l’entend aujourd’hui. Jaurès s’était dressé et leur avait répondu : « Pas du tout, nous ne sommes pas des ascètes, il nous faut la vie large ! »

Si on ne rend pas la transition climatique désirable, on n’y arrivera pas. Je ne crois pas qu’imaginer la catastrophe va nous la faire éviter. La peur paralyse, tétanise, crée de l’éco-anxiété. L’envie, le désir, la colère, peuvent au contraire contribuer à transformer le monde. L’utopie est nécessaire, à l’image de la représentation du monde en 2050 après le Green New Deal, qu’avait mise en ligne Alexandria Ocasio-Cortez. C’est aussi la tradition iconographique du socialisme, avec ses grandes fresques sur la vie ouvrière.

Il n’y a pas de grand mouvement politique qui réussisse sans mobiliser la force utopique, le désir, l’envie, la fête et le plaisir.

Mathieu Dejean

Journaliste Les Inrocks (France).

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