Édition du 7 mai 2024

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Asie/Proche-Orient

Pourquoi l’Irak se déchire-t-il ?

La prise de la deuxième plus grande ville d’Irak, Mossoul, suivie de la percée militaire des insurgés opérant sous la bannière de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) a fait exploser une nouvelle guerre civile qui pourrait intensifier les conflits religieux dans tout le Moyen-Orient.

L’Iran vient d’envoyer Qasem Soleimani, commandant d’une division d’élite de la Garde révolutionnaire, accompagné de conseillers et de 2.000 soldats, à Bagdad pour appuyer le gouvernement central dominé par les chiites. A la frontière nord de l’Irak, la Turquie envisage de passer à l’action pour récupérer les membres du personnel de son consulat à Mossoul qui ont été enlevés par IEIIL. Et Barack Obama a déclaré de manière inquiétante ; "J’ai demandé à mon équipe de sécurité nationale de présenter un certain nombre d’options. J’examinerai ces options dans les jours à venir." Dimanche dernier, Chuck Hagel, le secrétaire à la Défense, a ordonné au porte-avions USS George HW Bush accompagné de navires de soutien armés de missiles, de se déplacer dans le Golfe Persique au large des côtes de l’Irak,. Les États-Unis pourraient ainsi lancer des attaques maritimes ou aériennes contre des cibles de l’EIIL.

Les grands médias états-uniens qui, pour la plupart, ont ignoré l’escalade du conflit en Irak depuis le retrait des troupes US à la fin de 2011, ont été déroutés par la victoire de l’EIIL. Le nouveau consensus parmi les commentateurs est que cette nouvelle crise a été causée par le vide laissé par le retrait des États-Unis.

En réalité, ce n’est pas l’absence des troupes américaines, mais l’invasion de 2003 et l’occupation qui a suivi qui est responsable de la guerre civile religieuse qui menace d’atteindre un nouveau niveau de barbarie en Irak. Une nouvelle intervention américaine, quelle qu’en soit la nature, ne ferait qu’empirer une situation déjà désastreuse.

La percée de l’EIIL

L’EIIL est l’émanation d’al-Qaïda en Irak. Elle a émergé au cours de l’occupation américaine en 2006 et est dirigée par Abu Bakr al-Baghdadi. L’EIIL s’apparente à une version extrême de l’intégrisme musulman sunnite qui considère les musulmans chiites comme des hérétiques. Ainsi, l’EIIL affirme qu’elle a exécuté des centaines de soldats irakiens de l’armée à dominante chiite qui avaient été faits prisonniers au cours de son offensive.

Avec environ 6.000 combattants venant principalement d’Irak, mais aussi d’autres pays de la région et du monde, l’EIIL vise à établir un nouveau califat en Syrie et en Irak. Sa politique réactionnaire et ses pratiques brutales tant en Syrie qu’en Irak sont si extrêmes qu’Al-Qaïda elle-même a expulsé ce groupe de son réseau.

L’EIIL a établi ses bases dans les villes de l’est de la Syrie lors de l’insurrection et de la guerre civile dans ce pays. Elle a envoyé environ 1.200 combattants prendre la ville de Mossoul qui compte environ 2 millions d’habitants.

La garnison de 30.000 soldats de l’armée irakienne n’a opposé aucune résistance à cette force minuscule. Au lieu de cela, apparemment sur les ordres de leurs commandants, ils ont abandonné la ville, laissant derrière eux un énorme stock d’équipements militaires - allant de véhicules 4x4 Humvee jusqu’à des hélicoptères en passant par des mitrailleuses et des lance-roquettes - qui sont depuis lors aux mains de l’EIIL. Dès qu’ils ont pris le contrôle de la ville, les insurgés ont attaqué les banques de la ville, s’emparant de près d’un demi-milliard de dollars d’actifs.

Selon l’Organisation internationale des Migrations, un demi-million de personnes ont fui Mossoul à la recherche d’un refuge dans d’autres villes du Nord sous contrôle kurde. Mais la majorité de la population de Mossoul a été heureuse de voir le départ de l’armée irakienne qu’elle considérait comme une force d’occupation chiite.

Comme un résident de Mossoul, Ali Aziz, l’a déclaré au quotidien britannique The Guardian : « Je pense que nous avons été libérés d’un affreux cauchemar qui nous étouffait depuis 11 ans. L’armée et la police n’ont jamais cessé d’arrêter, de détenir et de tuer des gens, et encore moins d’empocher les pots de vin qu’ils exigeaient des familles des détenus. Mes voisins et moi attendons la nouvelle que les six autres provinces sunnites sont tombés dans les mains des combattants de l’EIIL et la proclamation officielle de notre région comme sunnite, comme les trois provinces du Kurdistan. »

L’EIIL a surtout pris comme cibles des représentants de l’Etat central et n’a pas encore imposé sa version dure de la loi islamique dans les territoires conquis ; au contraire, elle essaie de gagner les faveurs de la population. Il reste à voir comment la population réagira si et quand l’EIIL imposera l’interdiction de fumer et de boire, restreindra les droits des femmes et organisera des exécutions sommaires d’infidèles et de ceux qui désobéissent à ses édits.

Après la conquête rapide de Mossoul, les insurgés ont envoyé des forces pour saisir Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, et deux autres villes. Ils espèrent les ajouter à Falloujah et Ramadi, qui sont sous le contrôle des forces sunnites depuis des mois, pour former une « région sunnite » de l’Irak.

Fait Inquiétant, les porte-paroles de l’EIIL ont déclaré qu’ils allaient attaquer Bagdad, ainsi que les sites religieux chiites à Samara et les villes saintes chiites de Nadjaf et Karbala. Ils ont appelé à assassiner sans discernement les chiites qui se trouveraient sur leur chemin.

Pouvoir chiite, opposition sunnite

Contrairement aux discours convenus des grands médias ignorants, la victoire de l’EIIL ne sort pas de nulle part. La dynamique qui a permis à ses combattants de s’emparer de Mossoul et d’autres villes se développe depuis plusieurs années.

Au cours des derniers dix-huit mois, la population sunnite de l’Irak a mené une campagne massive de résistance non-violente contre le gouvernement central irakien. C’est le résultat de la politique du Premier ministre Nouri al-Maliki qui a de plus en plus transformé le gouvernement central en un gouvernement chiite. Maliki a refusé d’intégrer les Conseils de l’Eveil sunnites dans l’armée, maintenu la loi anti-baathiste (mise en place après l’invasion américaine contre les restes du régime de Saddam Hussein), pris comme cible toutes les forces politiques sunnites et accusé les politiciens et dirigeants sunnites de soutenir le terrorisme.

La population sunnite à travers l’Irak a répondu en se battant pour ses droits avec des manifestations de masse et des sit-ins tout au long de 2013. A un moment, des dirigeants chiites importants comme Moqtada al-Sadr - qui ont leurs propres griefs contre le régime Maliki - ont exprimé leur solidarité avec ces manifestations sunnites et menacé d’organiser leurs propres manifestations de leur côté. Mais ce moment d’espoir de solidarité s’est révélé éphémère, tout comme l’ont été des développements similaires dans le passé.

Maliki a répondu à la vague de protestations, - ce que certains ont appelé le Printemps irakien - par une brutale campagne de répression. Il a eu recours à des tactiques apprises auprès des occupants US –quadrillage des quartiers, rafles d’habitants, arrestations massives et torture. L’écrasante majorité de la population sunnite a ainsi été entraînée dans une opposition désespérée par les actions du gouvernement Maliki.

Avec l’intensification de la répression, les forces parmi les sunnites qui, comme l’EIIL, qui s’opposaient au régime pour des raisons religieuses sectaires, ont gagné une importance croissante et gagné la direction du mouvement en raison de leur volonté d’affronter les forces de sécurité. En réponse, Maliki a utilisé la menace de la violence sectaire de l’EIIL pour convaincre Sadr d’organiser des manifestations en soutien à l’Etat irakien. Cela a permis à Maliki de consolider son emprise sur un régime autocratique de plus en plus exclusivement chiite, défendu par une armée constituée de - et dirigée par - des chiites.

Depuis lors, l’EIIL a tissé des liens étroits avec les anciens dirigeants du parti Baath qui dirigeaient l’armée et l’Etat sous Saddam, ainsi qu’avec des chefs tribaux locaux. Les forces constitutives de cette alliance ont pris le contrôle de Falloujah et de Ramadi à la fin de l’année dernière, et maintenant, avec le soutien financier des élites sunnites sectaires en dehors de l’Irak, cette alliance a ajouté Mossoul et Tikrit à son empire grandissant.

Tout cela a provoqué une crise profonde de l’Etat central irakien, dénoncé comme une institution chiite n’ayant plus aucun soutien au sein de la population sunnite - et de moins en moins parmi la population kurde et son gouvernement régional dans le Nord du pays. L’armée de Maliki, forte de 200.000 soldats, s’est avéré être sectaire et incompétente, malgré les 25 milliards de dollars que les Etats-Unis ont consacré à sa construction.

Vers une nouvelle guerre civile

L’Irak est au bord d’une nouvelle guerre civile qui pourrait être encore pire que la précédente, qui a fait rage de 2005 à 2008, avec une moyenne de 3.000 civils tués chaque mois.

L’EIIL et ses alliés contrôlent maintenant Mossoul, qui est particulièrement importante en raison de sa richesse pétrolière, ainsi que plusieurs autres villes à majorité sunnite. Ils reçoivent un soutien important des élites régionales et ils sont maintenant armés jusqu’aux dents avec des armes américaines confisquées.

Les dirigeants kurdes, qui se sont tenus à l’écart de la dernière guerre civile entre les Arabes chiites et sunnites de l’Irak, ont réagi à la prise de Mossoul par l’EIIL en étendant leur propre territoire. Ils ont utilisé le vide sécuritaire laissé par la débandade de l’armée irakienne pour ordonner à leurs milices de peshmergas de prendre le contrôle de Kirkouk, une autre zone essentielle de production de pétrole. Les élites kurdes promettent encore de collaborer avec Maliki, mais elles ont toujours en tête le projet de donner naissance à un Etat indépendant.

L’Etat central de Maliki est ainsi confronté à une crise existentielle. Il a perdu sa légitimité et la capacité d’exercer son pouvoir. En désespoir de cause, M. Maliki s’est tourné vers l’establishment religieux chiite dirigé par le grand ayatollah Ali Sistani, et vers des dirigeants, qui ont parfois été des adversaires, comme Sadr et le Conseil suprême islamique d’Irak (CSII) afin qu’ils mobilisent des volontaires pour reformer leurs milices chiites – l’Armée du Mahdi et les Brigades Badr - qui avaient massacré les sunnites au cours de la dernière guerre civile. Des milliers de chiites ont déjà rejoint ces organisations en reconstruction pour combattre aux côtés de l’armée irakienne.

Cette fois, le conflit entre les dirigeants des trois principales communautés d’Irak – chiites, sunnites et kurdes - pourrait être encore plus apocalyptique. Dans le passé, les classes dirigeantes de chaque communauté ont reculé devant la perspective d’une partition pure et simple du pays parce qu’ils voulaient une part des profits pétroliers contrôlés par l’Etat central. Maintenant la dynamique centrifuge semble prendre le dessus sur les raisons de maintenir un Etat-nation uni.

Les chiites contrôlent l’Etat central, son armée et les milices chiites. Les sunnites tentent de construire leur propre Etat pour contester Maliki. Et les Kurdes, qui bénéficient d’une économie pétrolière en plein essor protégée par leurs milices de peshmergas, sont, contrairement au passé, maintenant engagés dans un conflit qui porte sur la partition possible de l’Irak.

L’héritage direct de la guerre et de l’occupation US

La cause principale de cette crise est à chercher dans les trois décennies de politique impériale des États-Unis qui ont culminé en 2003 avec l’invasion de Bush.

Avant la première Guerre du Golfe de Bush père en 1991, les sanctions barbares tout au long des années ‘90 et l’invasion et l’occupation de Bush fils en 2003, l’Irak était une société capitaliste en développement, ayant un niveau de vie comparable à la Grèce. Maintenant, après que la dernière guerre américaine ait provoqué environ 1 million de morts irakiens et une guerre civile qui a déplacé 4 millions de personnes, l’Irak se trouve au bord du précipice de la désintégration.

Le sectarisme religieux existait avant l’invasion et l’occupation en 2003. Le régime de Saddam Hussein profitait principalement à l’élite sunnite, tandis que Kurdes et chiites subissaient la répression. Mais il n’y avait rien qui puisse être comparé à la violence sectaire systématique qui existe maintenant. Et il n’y avait pas d’Al-Qaïda, en dépit des mensonges utilisés par l’administration Bush (comme la fabrication d’armes de destruction massive), pour justifier l’invasion en faisant croire que Saddam Hussein collaborait avec le réseau terroriste.

L’occupation américaine a provoqué une résistance différenciée entre sunnites et chiites. Washington s’est aliéné la population sunnite par sa politique de dé-baathification qui a conduit un nombre disproportionné de sunnites à perdre leur emploi. Bush a perdu la population chiite, car il a étendu l’occupation pour empêcher les alliés de l’Iran, comme Maliki, ISCI et Sadr, de gagner le contrôle du pays à travers des élections. En peu de temps, les États-Unis ne pouvaient plus compter que sur les Kurdes dans le Nord pour rester fidèles au projet d’occupation.

Lorsque les États-Unis ont finalement permis l’organisation d’élections dans l’Irak occupé, ils ont adopté le modèle libanais qui répartit le pouvoir en fonction des ethnies et des confessions religieuses. Cela a provoqué la colère des chiites, le plus grand des trois principaux groupes en Irak, qui ont vu cela comme une atteinte à leur capacité à gouverner. De leur côté, les sunnites ont réalisé que, même avec la répartition prévue dans le cadre du plan américain, ils seraient perdants. En conséquence, les sunnites ont organisé une lutte de guérilla - tandis que les chiites dirigés par l’Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr organisaient des manifestations de masse contre l’occupation.

Pendant un moment, il a semblé possible que la résistance fracturée à travers le clivage chiite-sunnite pourrait s’unir contre l’occupation.

L’engrenage du sectarisme religieux

Mais les États-Unis ont réussi à mettre en œuvre leur stratégie de "diviser pour régner", en exploitant un nouveau développement au sein de la résistance, qui s’est avéré être son talon d’Achille : l’émergence sans précédent d’Al-Qaïda en Irak - le groupe qui allait devenir l’EIIL - qui ne ciblait pas que l’occupation américaine, mais aussi les chiites et leurs sites religieux.

Face à ces attaques, les dirigeants chiites comme Sadr et ISCI ont constitué leurs propres milices pour faire respecter l’ordre dans le chaos de l’occupation et aussi pour se défendre contre les attaques meurtrières d’al-Qaïda. Les États-Unis ont encouragé ces milices à rejoindre les forces de police et de sécurité pour réprimer la population sunnite. Cela a ainsi creusé un fossé entre les forces de résistance et fait exploser la guerre civile qui a fait rage de 2006 à 2008.

Les propagandistes américains ont célébré le déploiement à grande échelle (l’infâme « surge ») des troupes de combat de Bush comme le facteur qui a permis de mettre fin à la guerre civile. En réalité, la guerre civile a pris fin en grande partie avant le déploiement maximal plus grande présence des troupes US parce les chiites avaient gagné le conflit.

Les chefs tribaux sunnites ont renoncé au combat après avoir été défait par les milices chiites. Ils ont alors cherché à s’attirer les faveurs des Etats-Unis en prenant al-Qaïda en Irak comme cible. Washington a alors enrôlé ces forces sunnites en leur promettant de mettre la pression sur l’Etat dominé par les chiites pour que celui-ci leur fasse les concessions nécessaires pour permettre leur participation.

Mais à ce moment, les dirigeants de chaque communauté ont vu la politique comme un jeu à somme nulle. Maliki n’allait jamais accepter d’incorporer les sunnites dans son régime. Tout comme ses alliés parmi les partis religieux chiites, il visait à constituer un Etat chiite. La dernière chose qu’ils voulaient, c’était le partage du pouvoir réel. Pendant ce temps, Bush, puis Barack Obama, en dépit de leurs critiques envers Maliki, continuaient à soutenir l’Etat central, dominé par les dirigeants chiites, s’aliénant la population sunnite.

En bref, Bush puis Obama ont contribué à la propagation du bacille du sectarisme religieux dans toute la région en réaction à l’échec du projet US en Irak.

L’invasion de l’Irak en 2003 était conçue par Bush et ses conseillers comme un tremplin pour d’autres changements de régime en Syrie et en Iran, permettant l’installation de nouveaux régimes pro-américains dans la région pour assurer l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient et ses ressources pétrolières. Une fois cela accompli, les Etats-Unis auraient été en mesure de dominer leurs rivaux parmi les grandes puissances mondiales, en particulier la Chine, qui est dépendante du pétrole du Moyen-Orient.

Mais ce projet a échoué en Irak. L’Iran a pu ajouter le gouvernement chiite de l’Irak à la liste de ses alliés dans la région, qui va du Hezbollah au Liban au régime d’Assad en Syrie et au Hamas en Palestine. En fin de compte, l’Iran a émergé comme le vainqueur involontaire de la guerre en Irak.

Les USA et leurs alliés régionaux, en particulier le régime fondamentaliste d’Arabie saoudite, ont alors commencé à revoir leur politique, craignant que se constitue un "croissant chiite" qui remettrait en cause l’équilibre des forces régionales.

Les États-Unis ont ainsi directement facilité le développement d’un sectarisme religieux - de plus en plus encouragé par les régimes en place - qui déchire aujourd’hui le Moyen-Orient.

Du Printemps arabe à l’explosion du sectarisme religieux en Syrie

Entretemps, la réponse des autocraties arabes aux révoltes du printemps arabe a également été d’intensifier le sectarisme.

Les révoltes en Tunisie et en Egypte ont renversé les alliés des États-Unis au début de 2011, poussant les masses arabes aux quatre coins du Moyen-Orient à se soulever contre leurs dirigeants autocratiques et leurs politiques économiques néolibérales et à exiger non seulement la démocratisation, mais aussi l’égalité économique et sociale.

Pour leur part, les États-Unis ont tenté de manipuler ces révoltes à leurs propres fins. Il a utilisé la rébellion en Libye pour se débarrasser d’un allié peu digne de confiance, Mouammar Kadhafi. Mais Barack Obama et son administration ont fermé les yeux lorsque leur allié sunnite extrémiste, l’Arabie Saoudite, a déployé une répression sauvage pour écraser le soulèvement principalement chiite à Bahreïn. Et Obama n’a rien fait pour empêcher l’Arabie saoudite de soutenir les forces sectaires sunnites à l’intérieur de la révolution syrienne qui se développait contre le dictateur Bachar al-Assad.

Le régime brutal d’Assad est aussi un régime sectaire. Il a concentré le pouvoir dans les mains des dirigeants de la minorité alaouite, une branche de l’islam chiite. La révolte contre la dictature a commencé comme un soulèvement populaire qui unissait les gens par-delà toutes les divisions religieuses. Assad a répondu en faisant tout ce qui était en son pouvoir pour écraser militairement la révolte et la diviser selon des lignes religieuses sectaires. Il s’est félicité de l’aide qui lui a été apportée par les forces chiites d’Iran et le Hezbollah du Liban pour affronter la révolte à majorité sunnite.

Mais Assad a également libéré les pires extrémistes sunnites de ses prisons. Ces forces ont rejoint la résistance militaire à Assad mais elles ont commencé à cibler les populations alaouites et chrétiennes, comme l’espérait Assad, qui avait jugé que la menace posée par ces milices sectaires sunnites lui permettrait de solidifier sa base dans les minorités alaouite et chrétienne. Pendant ce temps, l’Arabie Saoudite et le Qatar soutenaient les pires parmi ces forces extrémistes sunnites, y compris l’EIIL.

Préférant cibler les forces révolutionnaires les plus laïques et les plus unitaires dans l’ouest du pays, Assad s’est bien gardé de prendre l’EIIL comme cible, lui permettant de se reconstruire en Syrie orientale. Epargné par la répression, l’EIIL a établi dans cette région une base qui pourrait facilement s’unir avec les zones sunnites de l’Irak de l’Ouest.

La contagion syrienne en Irak

En Irak, la répression sectaire par Maliki du mouvement non-violent a amené des forces sunnites auparavant rivales à faire alliance contre l’Etat central. L’EIIL, les anciens baathistes et les chefs tribaux se sont réunis dans une résistance de plus en plus militaire à Maliki. En général, la population sunnite en est arrivée à voir les extrémistes comme un moindre mal face à la répression sectaire de Maliki, même si la plupart des sunnites ne souscrivent pas au fondamentalisme extrême de l’EIIL.

Face à cette alliance, Maliki a supplié les États-Unis de fournir de nouveaux moyens à son régime. Tout en grommelant à propos du refus de Maliki d’intégrer les forces sunnites dans le régime, Obama est allé de l’avant et a décidé d’intensifier les flux d’armes et de fournitures, y compris de nouveaux hélicoptères d’attaque et des bateaux de patrouille. Les États-Unis a ainsi contribué à la poursuite de la militarisation du conflit sectaire engendré par leur précédente intervention.

Mais Obama s’est montré réticent à intervenir directement en Irak. Il a refusé la demande faite par Maliki plus tôt cette année de mener des frappes aériennes contre des cibles de l’EIIL. L’empire américain a subi un déclin relatif depuis qu’il a été forcé de se retirer du pays à la fin de 2011. Obama a tenté de recentrer son projet impérial sur la perspective de contenir la montée de la Chine en Asie et la ré-émergence de la Russie en tant que puissance en Europe de l’Est et en Asie centrale.

Les États-Unis, cependant, ne peuvent pas se permettre d’abandonner le contrôle du Moyen-Orient dans l’instabilité sectaire. Mais toute nouvelle intervention qu’il effectuerait ne ferait qu’empirer les choses. Si Obama soutient Maliki dans une action militaire, il conduira la population sunnite encore plus dans les bras de l’EIIL et ses alliés.
Il est difficile à ce stade d’imaginer une réconciliation politique entre les dirigeants des trois principales communautés irakiennes. Les États-Unis n’ont pas de solution à la violence sectaire qu’ils ont déclenchée et soutenue en Irak et dans toute la région.

Une crise sans solution pour les USA

L’administration Obama n’a pas de stratégie cohérente au Moyen-Orient. Ses adversaires néo-conservateurs ont tort quand ils affirment qu’Obama n’a pas assez de couilles pour la guerre ; au contraire, il a amplement démontré son mépris pour la vie humaine avec le programme d’escalade de frappes par des drones dans la région.

La réticence d’Obama à partir directement au combat est plutôt une conséquence directe du déclin relatif de la puissance américaine depuis sa défaite en Irak et de l’échec qui se profile en Afghanistan, qui sont de plus aggravées sur le plan économique par la Grande Récession de 2008 et la crise économique mondiale qui a suivi.

Incapables d’imposer leur volonté au Moyen-Orient, les États-Unis ont du à la place compter sur des alliances complètement contradictoires pour stabiliser un ordre menacé par la révolte d’en bas et les division religieuses sectaires d’en haut.

Ainsi, Washington se retrouve dans une alliance de facto avec l’Iran - qu’il dénonce durement comme un ennemi depuis trente ans - pour défendre le régime chiite en Irak. Dans le même temps, il maintient son alliance historique avec l’Arabie saoudite, qui appuie les milices sunnites qui veulent renverser Maliki en Irak et Assad, l’allié de l’Iran, en Syrie.

Aucun des autres Etats de la région, ni aucune autre puissance impériale n’a une solution à une crise qui étend ses métastases. L’Iran renforce Assad et Maliki. La Turquie souhaite la chute d’Assad mais craint l’effondrement de l’Etat chiite irakien, parce que cela ouvrirait la voie à la proclamation d’un Etat indépendant par les Kurdes, incitant ainsi leur propre minorité kurde de Turquie à se soulever et à se battre pour leur droit à une patrie.

L’Arabie saoudite et le Qatar alimentent les milices sunnites les plus extrêmes dans toute la région. Et la brutale occupation israélienne de la Palestine stimule la résistance chez les Palestiniens et chez leurs alliés à travers la campagne internationale « Boycott, Désinvestissement, Sanctions ».

La tentative de l’impérialisme américain pour stabiliser le Moyen-Orient sous son hégémonie par la guerre en Irak a échoué. Sa manipulation du sectarisme religieux dans une tentative pour diviser et conquérir la résistance irakienne a aggravé le fossé existant entre chiites et sunnites partout dans la région. L’Irak part en lambeaux et sa désintégration menace d’engloutir toute la région dans un conflit militaire.

Une opposition radicale à toute nouvelle intervention

L’espoir au milieu de cette horrible situation est le processus révolutionnaire déclenché par le printemps arabe.

À son apogée, le soulèvement du peuple - étudiants, travailleurs et paysans - a tenté de jeter un pont sur les divisions sectaires de la région. Par exemple, en Egypte, les révolutionnaires ont appelé à l’unité entre les musulmans et les chrétiens coptes. Même en Irak, où le virus délibérément sectaire a été disséminé par les États-Unis, les sunnites et les chiites ont été, à certains endroits, proches d’une unité tactique dans leur résistance fracturée à l’occupation.

Une des difficultés est la faiblesse de la gauche révolutionnaire, qui pourrait promouvoir les intérêts communs de classe chez les travailleurs à travers les divisions sectaires et développer les luttes sur cette base. Le prix à payer pour cette faiblesse est particulièrement clair dans la phase contre-révolutionnaire actuelle du processus, particulièrement en Égypte où la répression sanglante menée par l’armée pèse lourdement.

Mais l’ordre imposé par les élites régionales et les grandes puissances mondiales n’a aucune réponse positive à offrir aux aspirations des populations à travers le Moyen-Orient pour la paix et la justice économique et sociale. Les griefs de celles-ci ne pourront donc qu’émerger à nouveau sous une forme ou une autre contre le manque de démocratie , le néolibéralisme et l’impérialisme américain.

En attendant, la gauche doit partout être absolument claire sur le fait que ni les Etats-Unis, ni aucune autre puissance régionale, ni aucun impérialisme rival n’ont une solution positive à opposer à la propagation du conflit sectaire. Ce sont tous des Etats capitalistes en concurrence l’un avec l’autre pour la domination régionale et internationale. Aux États-Unis, nous devons reconstruire un courant anti-impérialiste qui s’oppose à toute intervention par les Etats-Unis ou tout autre Etat.

Comme la descente de l’Irak dans le chaos et les conflits le prouve une fois de plus, les États-Unis et leurs rivaux impériaux sont une partie du problème, pas la solution.

Source : http://socialistworker.org/2014/06/16/why-is-iraq-being-torn-apart


Traduction et intertitres pour Avanti4.be : Jean Peltier

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