Édition du 30 avril 2024

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Afrique

Présidentielle Madagascar, le bilan calamiteux du Président Andry Rajoelina

Du coup de force intérieur à l’impossible reconnaissance extérieure à l’exception de quelques organismes financiers africains, le Président Andry Rajoelina, soutenu au départ par Emmanuel Macron mais confronté au boycott de la Présidentielle par l’opposition du 14 mars, pourrait tenter de passer en force à en juger par la sévère répression infligée ces dernières semaines aux manifestations organisées par les candidats de l’opposition.

Tiré de MondAfrique

Le drame du jeune président malgache, candidat à sa succession, est qu’il est incapable, à la différence de ses prédécesseurs Marc Ravalomanana et d’Hery Rajaonarimampiainina, de formuler une stratégie minimale pour Madagascar et d’en mettre en œuvre quelques étapes. A la veille de son succès en 2018, il ne trouvait qu’à vanter un hypothétique modèle sénégalais. « Nous allons tout mettre en œuvre pour que le peuple malgache retrouve le sourire avec l’émergence de Madagascar, à l’image d’un certain nombre de pays africains. Nous sommes loin derrière des pays comme le Sénégal par exemple. Si vous regardez Diamniadio, la ville nouvelle sénégalaise, avec son autoroute et son train régional : c’est ça que l’on veut faire ! ». E d’ajouter que désormais à Madagascar, on ratissera gratis. Les choses qui n’ont pas pu être réalisées depuis l’indépendance, nous allons les matérialiser. Nous allons apporter de l’eau potable, raccorder, électrifier la majeure partie de Madagascar, avec des choses quantifiables et mesurables dans les cinq ans à venir. »

Le résultat cinq ans après, le voici:les marches pacifiques du peuple malgache de ce mois d’octobre 2023, sévèrement réprimées, ont été initiées par le « Collectif des candidats » à l’élection présidentielle de 2023 à Madagascar, pour réclamer le retour à l’Etat de droit, plusieurs fois bafoué par des coups d’Etat institutionnels ces dernières années. Dernier signal d’alerte, un économiste reonnu et candidat à la Présidentielle, Jean-Jacques Ratseitison, a été arrêté ce lundi matin par la police alors qu’il s’apprêtait d’investir la place du 13 mai.

Le club des décorés

Le discours du pouvoir malgache est devenu étrangement creux et son ambition modernisatrice sans consistance aucune. Le mandat 2018-2023 aura produit moins de résultats encore que la période 2009-2014 où Madagascar était pourtant confronté à une réduction des financements extérieurs. La posture de modernisateur d’Andry Rajoelina le fait entrer dans le club des décorés des enceintes africaines, où l’autocongratulation entre pairs et le pillage du système financier multinational nourissent de vains échanges. En mai dernier, le Président Rajoelina devienent le lauréat du trophée Babacar Ndiaye. La conférence inaugurale qui avait eu lieu au mois d’Avril à Dakar tournait autour du thème central inconsistant : » la mobilité durable, levier du développement ».

Le Comité de sélection avait particulièrement vanté l’achèvement de la rocade d’Iarivo, l’autoroute périphérique de la ville d’Antananarivo, symbole des infrastructures de « mobilité durable ». Et quelle mobilité ! Les voies piétonnes et cyclistes aux côtés des voies motorisées. L’indécence le dispute au grotesque car cette rocade sera utilisée particulièrement pour accéder à des quartiers privilégiés, au golf du milliardaire Mamy Ravatomanga, au club hippique et à l’aéroport. Très peu de Malgaches ont un vélo et les piétons frôlent l’accident tous les jours dans la capitale dont le réseau de voies date des années 1910. Surtout l’axe vital qui relie la capitale au port de Toamasina n’arrête pas de s’effondrer, les trajets sont dangereux.

Le président malgache ne s’est finalement pas rendu le 23 mai 2023 à Sharm el Sheikh (Égypte), en marge des Assemblées Annuelles de la BAD, pour recevoir ce prix mais était représenté par Patrick Rajoelina, Conseiller Spécial en charge de la Diplomatie et de la Coopération Économique du Président de la République de Madagascar, accompagné d’une forte délégation de haut niveau, microcosme d’une partie de la galaxie présidentielle. Ainsi Patrick Rajoelina, qui n’a pas de lien familial avec son homonyme de président, mais qui comme lui a la nationalité française, est un ancien fonctionnaire du ministère français de l’intérieur. Il a été aussi le ministre des affaires étrangères très agité du président Rajoelina, avant d’être écarté puis d’être rappelé à la présidence après les péripéties rencontrées avec ses successeurs dirigeant la diplomatie malgache.

La Première dame en vitrine

La communication à outrance autour des œuvres de bienfaisance de la Première dame, un des rares atouts du Président actuel, illustre le développement de l’assistance charitable pour suppléer aux déficiences de l’État dans un pays où la pauvreté est devenue le problème numéro un. Plutôt que d’œuvrer pour une véritable réforme des systèmes de santé et d’éducation, quelques grosses fortunes distribuent l’aumône. Le flamboyant maire d’Antananarivo, capitale de Madagascar, Naina Andriantsitohainaadepte est un de ces généreux donateurs et … adepte de Harley Davidson, au point d’en acheter deux pour ses gardes du corps afin d’éviter les embouteillages délirants de sa ville. Le statut de Claudia Pichler, son épouse, alias « la Cendrillon d’Antananarivo », fait l’objet de beaucoup de questions.

Une certitude, le maire d’Antananarivo et ex-ministre des affaires étrangères, bénéficie d’une proximité certaine avec Rajoelina. Il se trouve être aussi l’héritier du groupe Andriantsitohaina et se voit régulièrement consulté – tant par les sociétés étrangères que par les diplomates – pour ouvrir les portes du palais. On retrouve aussi dans cette coterie, bien sûr, le businessman Maminiaina Ravatomanga. Enfin Christian Ntsay, Premier ministre, pourrait être l’arbitre des élections.

Le Sénat, ultime recours

Au sein de l’aréopage féminin de la Présidence, demeure un homme clé, ancien magistrat du Conseil d’État, Dina Andriamaholy. Celui-ci a l’avantage de connaître les arcanes du pouvoir sur le bout des doigts. Issu de l’École nationale d’Administration (ENA) française, Dina Andriamaholy est également l’ancien directeur de cabinet du premier ministre Christian Ntsay. Réputé proche de l’influent Maminiaina Ravatomanga, Dina Andriamaholy possède également de très bons contacts au sein de l’appareil d’État. Il fait partie d’un petit groupe de jeunes magistrats nommés au sein de différentes institutions, parmi lesquels on retrouve l’ancien secrétaire général du ministère des mines, puis de la justice, Herilaza Imbiky. Ce dernier compte parmi les six sénateurs (sur dix-huit) à avoir été nommé au Sénat, avant d’en être élu, le 22 janvier 2023, vice-président pour les provinces du Nord.

Des manœuvres discrètes modifient la composition du Sénat pour en faire un organisme de substitution à la Présidence en cas d’effondrement de l’architecture actuelle du pouvoir, extrêmement personnalisée. La désignation comme président du sénat en octobre 2023 consacre le général de gendarmerie Ravalomanana, chien de garde de la nomenklatura imposée par Andry Rajoelina

Le gouvernement actuel fait preuve d’une souplesse à l’international qu’il ignore à usage domestique. Ainsi, des hommes de l’armée malgache ont participé en 2022 à un exercice militaire à La Réunion. Le gouvernement veut rassurer sur le fait qu’il entretient de bonnes relations avec la France sur le plan militaire. Cette manœuvre, baptisée « Papangue 2022 », était placée sous la houlette du commandement des forces armées de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI). Les échanges entre militaires français et malgaches se sont accrus durant les dernières années pendant que les visites des hauts gradés français se sont succédées dans les sites touristiques de l’île rouge. De quoi témoigner, insinue-t-on, que la coopération militaire franco-malgache est au beau fixe, et ce malgré la douche froide provoquée par la fuite qi a eu lieu sur la coopération militaire avec les Russes en pleine période de crise ukrainienne.

Tous contre Andry Rajoelina »

Dans cet imbroglio de compromissions intérieures et de byzantinisme diplomatique, Siteny Randrianasoloniaiko, qui se fait appeler par son prénom, semble ​apporter le souffle du renouvellement. Ce candidat qui a soigné son image à l’étranger, aussi bien auprès des Russes que des Émiratis, a été formé en Afrique du Sud, puis aux États-Unis, avant de rentrer à Madagascar pour y développer des activités dans les télécommunications, les médias et l’immobilier.

Il vient d’un quartier pauvre de Toliara, dans le district de Tuléar, et comme beaucoup de Malgaches, il a traversé des périodes difficiles inconnues aux quadragénaires qui trônent à la capitale. Il a été gardien d’immeuble, vendeur d’eau et a même loué des parasols sur le marché ! Ce judoka a créé, en 2002, la Fondation Siteny avec sa femme Nelly Mileva, originaire de Bulgarie. Réélu député de Tuléar en 2019, sous l’étiquette de l’IRD, la formation politique proche d’Andry Rajoelina, il s’en est éloigné pour proposer une alternance radicale en s’inspirant de grands modèles que loue rarement le président Andry Rajoelina. « Je pense qu’il est urgent d’améliorer le climat des affaires, en luttant contre la corruption, comme l’a fait le président Kagamé dans son pays par exemple. Ce fléau décourage les entrepreneurs malgaches, mais aussi les investisseurs étrangers. Madagascar est un pays riche en ressources naturelles dont l’exploitation doit profiter à tous. »

A la différence des anciens notables politiciens, il s’efforce de rallier à un programme de base les autres forces politiques de l’opposition, y compris les anciens présidents Marc Ravalomanana ou Hery Rajaonarimampianina. C’est un message réaliste du point de vue politique, mais bien optimiste face à l’étroitesse d’esprit des hommes politique du reste du pays. Le boycott décrété par tous les opposants ne met-il pas fin à cette stratégie du « Tous contre Rajoelina » ? L’armée malgache contrôle les élections. On les voit mal, grassement entretenues par les régimes en place depuis 2009, remettre en cause l’ordre politique actuel.

Les Nations-Unies laissent le climat électoral se dégrader et assistent au dépeçage de la constitution avec la même inefficacité que partout dans le monde. L’Union européenne ne brille davantage par son engagement. Seule une fondation allemande a osé titrer son rapport du mois de septembre 2023, « le courant ne passe plus », en faisant référence au fossé qui existe désormais entre le peuple malgache et son président Rajoelina.

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Olivier Vallée

Journaliste à MondAfrique.

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