Édition du 30 avril 2024

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États-Unis

Quel avenir pour le mouvement de Bernie Sanders ?

Chris Hedges, counterpunch.org, 16 février 2016,
Traduction, Alexandra Cyr

Dans sa couse à la nomination pour la présidence, Bernier Sanders a attiré un grand nombre de jeunes blancs et blanches dotés-es d’un diplôme collégial ou universitaire. Avec ces partisans-es, il dit créer un mouvement et promet une révolution politique. C’est une reprise du discours sur le changement de Barak Obama en 2008 et de Jesse Jackson avec la Coalition arc-en-ciel. Au mieux, ce genre de campagne développe la conscience (politique de l’électorat), mais il n’engendre pas de mouvement ni de révolution. Il existe tant que dure la campagne et meure après. L’actuelle campagne de Bernie Sanders ne fera pas exception.

Aucun mouvement ni aucune révolution ne viendra du cœur du Parti démocrate. Les échecs répétés de la gauche américaine pour se saisir du jeu pervers des élites politiques ont fini par neutraliser ses propres capacités politiques. Pourtant, l’histoire devrait servir à quelque chose.

Tout comme les Républicains, les Démocrates n’ont aucun intérêt à une réforme en profondeur. Ils sont trop liés au pouvoir des entreprises. Ce qui leur importe ce sont les apparences, pas l’essentiel. Ils parlent de démocratie et en emploie le langage. Ils parlent même de réformes libérales et populaires mais en même temps, ils font tout pour empêcher les réformes du financement des campagnes électorales et promeuvent une flopée de politiques dont les nouveaux traités de libre échange qui ne cessent de diminuer le pouvoir de la classe ouvrière. Ils massacrent les élections en utilisant l’argent mais aussi en créant la catégorie des supers délégués-es qui a droit de vote lors du congrès d’investiture ; ils seront 700 sur 4,700 à y agir comme des électrons libres. Même si B. Sanders a obtenu 60% du vote au New-Hampshire, il s’en sort avec moins de délégués-es de cet État que Mme Clinton.

Si jamais il ne gagne pas la nomination, ce qu’il appelle son mouvement va s’évaporer. Et on peut compter sur la machine Clinton, sur la direction du Parti démocrate forts de leurs appuis dans la classe capitaliste pour que ce soit le cas. Sa base mobilisée, comme celle d’Obama, va se fossiliser dans une liste de contributeurs bénévoles. Le rideau va tomber et le rester jusqu’à la prochaine représentation électorale.

Le Parti démocrate est un partisan indéfectible de l’État corporatif. M. Sanders critique Mme Clinton quant aux frais exorbitants qu’elle demande pour ses conférences par exemple chez Goldman Sachs. Mais il ne s’attaque pas au Parti démocrate comme tel, comme le signale Robert Scheer dans une chronique d’octobre dernier (sur le site Truthdig 16-10-15), il ne dénonce pas le rôle de serviteurs de Wall Street que jouent les Clinton. Pour lui il s’agit d’une omission. Mais c’est quand même un mensonge. Cela le rend complice du jeu de triche que se permet la direction du Parti démocrate avec l’électorat.

Est-ce que les partisans-es de M. Sanders pensent sérieusement qu’ils et elles peuvent ébranler le pouvoir des dirigeants-es du Parti démocrate et le transformer ? Est-ce qu’ils et elles pensent vraiment que les forces réelles du parti qui se trouvent dans le complexe militaro industriel, à Wall Street, dans les entreprises, dans l’État de surveillance et de sécurité peuvent être renversées par la campagne de B. Sanders ? Est-ce qu’ils et elles croient que le Parti permettra qu’on le dirige avec des procédures démocratiques ? Peuvent-ils admettre qu’avec la destruction du mouvement ouvrier organisé, de celui contre la guerre, des droits civiques et des mouvements progressistes, le Parti démocrate a tant dérivé à droite qu’il n’est plus que ce qu’était le vieux Parti républicain ? Soulignons que ces destructions ont souvent été orchestrées par les agences de sécurité comme le FBI.

Les élites se servent de leur argent, de leur contrôle sur les médias, sur les cours, les législatures, de leurs armées de lobbyistes et de groupes de réflexion pour invalider le vote. Comme John Ralston Saul l’a écrit, un coup d’État corporatif a eu lieu chez-nous. Il n’existe plus d’institution dans notre société civile que l’on puisse qualifiée de démocratique. Nous vivons, comme le dit le philosophe politique Sheldon Wolin [1]

P.S. Les éditions Boréal ont publié en 2015, la traduction du dernier livre de J.R.Saul, Le grand retour, Le réveil autochtone. N.d.t.]] dans un système totalitaire inversé [2].

Si nous étions en Europe, le Pati démocrate serait un parti d’extrême droite. Le Parti républicain serait un véritable extrémiste. Il n’y a pas de classe libérale, encore moins de gauche ou progressiste politiquement organisée aux États-Unis. Le développement des mouvements pro fascistes ne se ralentira que lorsque la gauche commencera une campagne sans équivoque pour défendre les droits des travailleurs-euses et pour détruire le pouvoir des corporations. Tant et aussi longtemps qu’elle s’accrochera aux basques du Parti démocratique qui parle de valeurs libérales alors qu’il sert les intérêts corporatifs, elle se détruira elle-même avec les valeurs qu’elle entend défendre. Ainsi, elle provoquera la colère justifiée des populations déclassées, spécialement ceux et celles de race blanche et permettra aux plus fascistes, et rétrogrades du spectre politique de se renforcer partout dans le pays. Les fascistes ne prospèrent pas seulement à cause du désespoir, des trahisons et de la rage mais aussi à cause de la faillite du libéralisme.

Comme beaucoup de partisans-es de Bernier Sanders vont le découvrir, le système politique est immunisé contre les réformes. Des actes répétés et réfléchis de désobéissance civile sont le seul moyen effectif de résistance. Pas plus que les Républicains, les Démocrates n’ont l’intention de cesser leurs attaques contre nos libertés civiles, l’expansion des guerres impériales, les cajoleries à Wall Street, la destruction des écosystèmes par l’industrie des énergies fossiles et l’appauvrissement des travailleurs-euses. Tant que ces deux partis demeurent au pouvoir, nous sommes faits.

La réponse typique de la direction du Parti démocrate face aux révoltes internes est, soit de les écraser, soit de les détourner en sa faveur en réécrivant les règles de telle sorte qu’elles deviendront impossibles. Cela a été vrai en 1948 avec G. Wallace, en 1972 avec G. McGovern, deux politiciens qui comme Bernie Sanders ont voulu faire la guerre à l’industrie. Et cela s’est répété en 1984 et 1988 devant la révolte dirigée par Jessie Jackson.

Sur le site Salon, Corey Robin décrit comment les Clinton ont franchi les échelons avec ce genre d’ordre du jour réactionnaire. Avec la direction du parti, écrit-il, ils ont répudié le programme progressiste de J. Jackson. Ils se sont servis d’une langue codée, spécialement lorsqu’il était question de la loi et l’ordre, faisant ainsi appel au racisme des électeurs et électrices de race blanche. Ils se sont finalement débarrassés sans ménagement, des militants-es que M. Jackson avait mobilisés-es.
Les supporters de B. Sanders doivent s’attendre au même sort. Que Mme Clinton puisse faire une campagne à contrario de son long et sordide héritage politique voilà un miracle de la propagande de masse moderne et une démonstration de l’efficacité de notre théâtre politique.

Bernie Sanders a déclaré que s’il ne gagnait pas la candidature à la présidence il se rallierait à la gagnante, qu’il ne jouerait pas les troubles fête. Il deviendra ainsi un obstacle au changement. Il répètera le vieil adage du choix du « moins pire ». Il intégrerait ainsi l’establishment du parti dans son travail de neutralisation de la gauche.

Bernie Sanders est sans aucun doute un démocrate. Il fait parti du caucus démocrate. 98% du temps, il a voté avec les Démocrates. Typiquement, il a voté pour le financement des guerres impériales, pour les machinations du Président Obama en faveur des entreprises, pour la surveillance étendue des citoyens-nes et pour les énormes budgets de la défense. Il a fait campagne pour M. Clinton en 1992 et en 1996. C’était tout juste après que le Président Clinton ait entériné l’ALÉNA, largement étendu l’emprisonnement de masse et détruit le programme d’aide sociale. Il a aussi fait campagne pour John Kerry (le candidat démocrate) en 2004 et a demandé à Ralf Nader de se retirer de la course. Les Démocrates ont reconnu son poids politique et ils l’ont bien récompensé pour son rôle de gardien des troupes.

À New-York, Kshama Sawant et moi avons fait une entrevue privée avec Bernie Sanders. Nous avions marché ensemble juste avant la manifestation de 2014 en faveur du climat. Il n’était pas encore candidat à cette époque. Il nous a dit ne pas vouloir se retrouver dans la situation qu’avait connue Ralph Nader. C’était un argument. Ceux et celles qui détiennent le pouvoir dans le Parti démocrate ont conclut une entente ambigüe avec M. Sanders. Il a reçu la garantie qu’on ne lui opposerait pas d’adversaire sérieux-se à son poste de sénateur du Vermont. En acceptant ce marché, Bernie Sanders devient un obstacle important à la construction d’un troisième parti au Vermont. Si jamais il mettait le Parti au défi, on le priverait de toute son ancienneté au Sénat. Il ne pourrait plus être président des comités qu’il dirige en ce moment. La machine du parti en ferait un paria comme elle l’a fait de Ralph Nader. On le sortirait de l’élite politique. Il est probable que M. Sanders a pris la décision qu’il considérait la plus adéquate dans la conjoncture politique actuelle. Mais c’était également admettre, en quelque sorte, sa propre lâcheté. R. Nader a payé cher son courage et son honnêteté mais il n’a pas failli.

Je pense que M. Sanders est très conscient que la gauche est divisée et désorganisée. Les deux partis ont créé d’innombrables obstacles pour ceux et celle qui travaillent à la construction d’un troisième parti dont leur interdiction aux débats jusqu’à la contestation de leur inscription sur les listes électorales les évacuant ainsi des élections. La vie interne du Parti vert est perpétuellement handicapée par des dysfonctionnements et des problèmes de factions. Il est supplanté dans beaucoup d’États par une ancienne formation composée principalement de personnes de race blanche qui sont enfermées dans la nostalgie des années soixante et dans l’auto satisfaction.

Il y a trois ans, je me suis adressé à l’auditoire clair semé des Verts lors d’un rassemblement au New-Jersey. Je me sentais comme un personnage de Mario Vargas Llosas dans son roman, La vraie vie d’Alejandro Mayta. Dans ce roman, le personnage Mayta est un amérindien plutôt naïf et rêveur. Il subit les indignités que lui impose une petite organisation de la gauche péruvienne qui agit sur la base de son programme hors de la réalité et qui se comporte comme une secte. On lui impose une rencontre avec sept militants qui se présentent comme les révolutionnaires qui ont créé le Parti ouvrier révolutionnaire (trotskyste) un sous groupe du parti marginal des Travailleurs révolutionnaires. (…)

Je suis pour une révolution, (un mot que B. Sanders aime lancer partout) mais une véritable révolution socialiste qui va abattre l’élite financière et industrielle ainsi que le Parti démocratique. Je suis pour une révolution qui exige l’application de la loi et pas seulement pour Wall Street mais également pour ceux qui promeuvent les guerres préventives, qui ordonnent l’assassinat de citoyens américains, qui permettent aux militaires de ne pas tenir compte des lois du pays et ainsi détenir indéfiniment, sans procès d’aucune sorte et qui autorisent le gouvernement à surveiller la totalité de la population. Je suis pour une révolution qui mettra les militaires, les appareils de sécurité et de surveillance dont la CIA, le FBI, Homeland Security et la police sous un contrôle civil strict et qui diminuera sérieusement leurs budgets et leur pouvoir. Je suis pour une révolution qui mettra fin l’expansion impériale spécialement au Proche Orient et rendra impossibles les profits à tirer des guerres. Je suis pour une révolution qui nationalisera les banques, le complexe militaro industriel, l’industrie de l’énergie et des services publics, qui démantèlera les monopoles, détruira l’industrie des énergies fossiles, financera les arts et les organismes de télécommunications publiques, qui s’engagera dans le plein emploi, dans l’éducation gratuite y compris à l’université, qui annulera les dettes d’études, qui s’opposera aux reprises de propriétés par les banques (et donc aux saisies de maisons), qui garantira des soins de santé universels gratuits, qui assurera un revenu viable à ceux et celles dont les conditions empêchent de travailler spécialement les chefs-fes de familles mono parentales, les handicapés-es et les personnes âgées. Après tout, la moitié de la population vit dans la pauvreté. Personne d’entre nous ne vit en toute liberté.
Il s’agit là d’un long combat quasi désespéré. L’affrontement sera ouvert et direct. On ne peut pas apprivoiser la classe des multi millionnaires et des oligarques de toutes les industries. Il faut les renverser. C’est à partir de la rue que cela peut se faire, pas des conventions des partis. Les salles de convention sont le cimetière de la gauche.


[1C. Hedges ne donne pas les références exactes des citations tirées des livres de J.R.Saul et S. Wolin. Voici donc les probables livres d’où elles le seraient : J.R. Saul, The collapse of Globalism and the Reinvention of the World, eds. Taylor & Francis, 2008. S. Wolin, Democracy Incorporated ; Managed Democracy and the Specter of Inverted Totalitarism. Je n’ai pas trouvé la maison d’édition ni la date de parution de ce livre. N.d.t.

[2Souligné dans le texte. N.d.t

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