Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Réponse à Bernard Émond : Ne compter que sur nos propres moyens !

Dans le Devoir du 4 août dernier, le cinéaste Bernard Émond appelle les membres et sympathisant-e-s de Québec solidaire à voter pour le Parti Québécois. L’électorat de Québec solidaire se voit attribuer une responsabilité essentielle pour éviter un désastre attendu. Nous croyons pour notre part que la construction de Québec solidaire est un acquis pour la majorité populaire si elle veut compter sur ses propres moyens et ses propres organisations.

Le véritable désastre, c’est de laisser le monopole de la politique à l’oligarchie régnante

M. Bernard Émond veut nous convaincre qu’il ne faut pas voter selon nos convictions. Encore une fois, la gauche commettrait l’irréparable en luttant de façon conséquente et jusqu’au bout pour un parti qui définit son action et ses positions à partir de la défense des intérêts de la majorité populaire. Il sera trop tard, nous dit-il, si la gauche ne contribue pas à empêcher le PLQ de garder le pouvoir pour empêcher la vente de nos richesses à des intérêts étrangers et pour bloquer l’exploitation des énergies fossiles. Voyons donc... Nombre de pays ont repris en mains leurs richesses naturelles accaparées par des étrangers. Rachats ou expropriations ont alors été réalisés... Et l’exploration et l’exploitation du pétrole ont déjà été confiées au secteur privé. L’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent a-t-il été vraiment mis de côté par le PQ ? Lisez donc son programme. Un gouvernement péquiste affirme qu’« évaluera la possibilité d’ouvrir la voie à l’exploration sécuritaire et au développement durable des réserves potentielles de pétrole ou de gaz naturel dans le golfe Saint-Laurent et sur la terre ferme, dans une perspective de respect de la responsabilité territoriale du Québec et de ses écosystèmes... » Ce n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, l’assurance d’un tournant vers les énergies propres et renouvelables. Tout reste donc possible à ce niveau pour le PQ.

Nous refusons de prendre sur notre dos la responsabilité du sort du Parti québécois dans ces élections

M. Émond nous rappelle qu’il n’y a pas de proportionnelle ni de deuxième tour à nos élections. Mais il ne dit mot sur les sources de ces réalités politiques. Défendre la construction d’un parti de la gauche, c’est comprendre que la société québécoise est clivée entre une élite au pouvoir comprenant différentes fractions et une majorité de salariéEs qui ont été jusqu’ici expropriées de son expression politique par des élites qui s’efforcent de conserver leur contrôle sur la majorité populaire et qui refusent l’expression de son organisation partisane autonome. S’il n’y pas de scrutin proportionnel, ce n’est pas un hasard de l’histoire, mais le fruit de prises de position consciemment assumées par les partis en place.

La reconnaissance des votes d’un parti de gauche ne viendra pas des élites libérales ou péquistes, mais d’un renforcement de l’organisation d’un parti alternatif et du développement de la force de frappe des mouvements sociaux.

Non seulement Bernard Émond ne dit mot sur le fait que le PQ pourrait être sanctionné pour sa propre turpitude en ce qui concerne le mode de scrutin, mais il rend responsable Québec solidaire et le Parti Vert de l’élection du gouvernement Charest en 2008. Le bilan des gouvernements péquistes (1994-2003), les tergiversations du Parti québécois sur la question nationale, son tournant vers le centre droit, sa crise de direction endémique, tout cela n’aurait rien à voir avec la force du taux d’abstention et sa capacité de laisser Charest s’imposer sur la scène électorale. Non, c’est le vote à gauche qui en serait responsable. C’est tout simplement faux et insoutenable.

L’élection du PQ ne protégera pas des politiques néolibérales

Il prétend que si les votes de la gauche avaient été reportés sur le Parti québécois, cela aurait permis de former un gouvernement minoritaire qui aurait permis d’éviter la foire aux scandales et la braderie de nos richesses naturelles.

Tout cela se situe au niveau de l’écume des jours. Qu’est-ce qui est à la source de la dégradation de la vie publique ? Qu’est-ce qui a marqué 2008 au-delà de la prise du pouvoir par Jean Charest ? C’est la crise économique mondiale du capitalisme. L’oligarchie régnante veut non seulement s’accaparer de plus en plus de richesses, mais elle est prête à faire payer cette crise à l’ensemble de la population et à restreindre les droits démocratiques pour y parvenir. Et cette offensive est déjà en cours depuis la mise en place du néolibéralisme qui s’étend depuis des décennies maintenant. Le Parti Québécois au pouvoir entre 1994 et 2003 a repris à son compte ces politiques néolibérales. Ce n’est que lorsqu’il est dans l’opposition que le Parti québécois ressort ses politiques keynésiennes et les concessions aux pressions des mouvements sociaux. Au pouvoir, ce sont ces politiques néolibérales qu’il impose.

Les gouvernements péquistes de Lucien Bouchard et de Bernard Landry ont mené un triste travail de décomposition de l’État social et du renforcement des puissances de l’argent déjà entrepris par le gouvernement Bourassa... Qui a baissé les redevances minières ? Un gouvernement péquiste. Qui a permis les coupes à blanc faites par les grandes entreprises forestières dénoncées par Richard Desjardins dans l’Erreur boréale ? Un gouvernement péquiste. Qui a fait des coupes sombres en santé et en éducation. Un gouvernement péquiste. Qui a adopté une loi antisyndicale contre les infirmières en grève. Un gouvernement péquiste. Qui a permis qu’Hydro-Québec ne fasse pas un tournant sérieux vers les énergies renouvelables et l’économie d’énergie ? Un gouvernement péquiste. Qui a permis le maintien d’un mode de scrutin exécrable pour la démocratie ? Un gouvernement péquiste. Alors, une mémoire trop courte n’empêche pas de nous préparer et d’identifier les défis d’aujourd’hui.

Et pour ce qui est des programmes du Parti québécois, le moindre examen sérieux oblige toute personne ayant un tant soit peu de rigueur à comparer ces programmes - qui intègrent, il est vrai, certaines pressions des mouvements sociaux, à ce qu’en ont fait les élites péquistes quand elles étaient au pouvoir. On a assisté à l’oubli quasi total de ces programmes. En fait, la gestion gouvernementale en a pris le contrepied.

La politique du moins pire reste dans la logique de la politique du pire. C’est la politique qui est pratiquée depuis des décennies au Québec et qui n’a fait que reporter aux calendes grecques la construction d’un parti politique véritablement arrimé aux intérêts de la majorité sociale. Pas question d’abdiquer l’autonomie politique que Québec solidaire a commencé à construire dans le champ politique pour des promesses d’une politique du moins pire qui ne peut conduire qu’à l’attentisme et au désarmement de notre vigilance citoyenne.

Nous refusons à ramener notre parti à être un marche-pied du PQ vers le pouvoir

Notre responsabilité est de ne pas rapetisser notre horizon dans des choix immédiats en posant une différence de nature qui n’existe pas entre des partis qui se sont avérés capables de défendre les intérêts des élites, de défendre les politiques néolibérales et de reporter, en ce qui concerne le PQ, vers des horizons indéfinis la lutte pour notre indépendance nationale.

Généreux, M. Bernard Émond voudrait bien garder Amir Khadir à l’Assemblée nationale, réduisant son rôle à celui de sel de la terre. Mais, on ne peut se tromper en affirmant qu’Amir Khadir n’aspire pas à rester isolé à l’Assemblée nationale, mais qu’il veut construire une véritable opposition face à des gouvernements des élites néolibérales qui veulent garder l’essentiel du pouvoir pour elles-mêmes et écarter l’expression politique de la majorité populaire. Un parti de gauche doit lutter pour prendre sa place, toute sa place et articuler son combat à ceux des mouvements sociaux... Toute autre politique serait une terrible démission. Et, nous porterons la tête haute, toute la responsabilité pour ce choix.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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