Édition du 30 avril 2024

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Retour sur la déclaration de Christian Dubé dans laquelle il a lié « l’état d’urgence sanitaire » à la négociation dans les secteurs public et parapublic…

Il arrive parfois aux politicienNEs professionnelLEs de nous dire qu’elles ou ils ont été mal citéEs. Il est peu fréquent d’en entendre nous avouer qu’elle ou il s’est mal expriméE. Soyons donc reconnaissant à l’endroit du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, de s’être excusé à la suite de sa déclaration faite lors de la conférence de presse du 18 mai 2021.

La question qui se pose malgré tout ici est la suivante : jusqu’à quel point y a-t-il du vrai ou du faux dans l’association qu’il a faite entre « l’état d’urgence sanitaire » et « la négociation collective » dans les secteurs public et parapublic ? Nous savons que certainEs salariéEs de ces secteurs ont, en ce moment, droit à des primes quand elles et ils sont affectéEs à certaines tâches. Mais, que se passera-t-il avec le versement de leur prime advenant une grève ou une interruption de service ? Les primes seront-elles quand même payées pour les autres jours travaillés durant la semaine ou seront-elles complètement amputées ?

Le droit de grève jouit d’une protection constitutionnelle au Canada, même les salariéEs syndiquées qui oeuvrent dans les services réputés essentiels peuvent l’exercer. De plus, les tribunaux ont déjà statué qu’une pénalité additionnelle pour une journée de grève était une pratique abusive et par conséquent interdite (voir à ce sujet le jugement sur la Loi 111). Que penser d’une possible amputation complète d’une prime « hebdomadaire » à cause de l’exercice d’une seule journée de grève ?

État d’urgence sanitaire et décrets ministériels

Voilà que dans le cadre de la présente crise socio sanitaire de la COVID- !9, une personne dans l’équipe stratégique du gouvernement Legault a conçu des primes pour une période de prestation de travail sur cinq jours de services ininterrompus. Qui a eu cette idée ? UnE ministre ? UnE sous-ministre ? Bref, advenant un arrêt de travail, ne fut-ce que d’une seule journée dans la semaine, la ou le salariéE syndiquéE est susceptible de voir son salaire coupé pour la journée de grève (ce qui est parfaitement cohérent avec le principe No work, No pay) et perdre la totalité de sa prime hebdomadaire (ce qui est parfaitement incohérent avec le principe d’une prime liée à un risque accru au travail). Nous y reviendrons.

Demandons-nous s’il y a un lien entre « l’état d’urgence sanitaire » et la négociation dans les secteurs public et parapublic ? Nous suggérons que oui et voici pourquoi.

Il faut rappeler que la gouverne par décrets a commencé au Québec le 13 mars 2020, soit trois mois après le dépôt des offres du gouvernement Legault à ses salariéEs syndiquéEs. Le 19 mars 2020, la journaliste de La Presse canadienne, Lia Lévesque, nous apprenait ceci : "Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, l’a confirmé […]. "Il y a bel et bien eu une invitation à négocier de façon plus rapide qui a été faite à tous les syndicats. Nous avons également établi un cadre de négociation"".

Que comportait ce cadre de négociation au juste ? Quelques jours plus tard, le gouvernement Legault adoptait le décret 2020-007. Ce décret lui permettait de revoir les conditions de travail du personnel du réseau de la santé et des affaires sociales. Certaines dispositions des conventions collectives se voyaient suspendues. Les employeurs se retrouvaient avec les pleins pouvoirs pour imposer de nouvelles conditions de travail en matière d’horaire de travail, de déplacement de personnel, de recours aux services des entreprises privées, de retour accéléré au travail de personnes en congé de maladie, etc..

Comment François Legault perçoit-il le personnel syndiqué présentement assujetti aux décrets qui suspendent l’application de certaines dispositions de leurs conventions collectives dans les secteurs public et parapublic ? Côté discours : comme des « anges-gardienNEs ». Côté fait : comme des « bras » qui doivent se rapporter au travail conformément à leur horaire et donner suite aux desiderata de leur employeur qui peut les affecter là où il l’entend. François Legault et certainEs membres de son cabinet perçoivent les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic comme un personnel « conscrit » au service d’une cause gouvernementale pour laquelle certaines primes sont conditionnelles à une prestation de travail ininterrompue.

Des mesures sélectives de relâchement

Le gouvernement peut envoyer le signal que la pandémie est sous contrôle, il peut décider de relâcher ou de lever certaines mesures restrictives en vigueur, mais, pas pour tout le monde en même temps et surtout pas en premier lieu pour celles et ceux qu’il appelle nos « anges gardienNEs ». Bref, la population peut vivre un peu plus librement, mais pas les salariéEs syndiquéEs qui s’épuisent au travail et qui sont également privéEs dans certains cas de leurs journées de congés et de vacances.

La position de François Legault face aux droits syndicaux

Il est important de rappeler ici que François Legault n’a pas vraiment en haute estime les droits syndicaux. Durant le « Printemps érable » de 2012, une année de grande conflictualité sociale, il promettait, à qui voulait l’entendre de « mettre au pas » les syndicats ou de leur verser une « compensation monétaire » pour la perte de membres à la suite des suppressions de postes qu’il envisageait pour la fonction publique ou chez Hydro-Québec.

Pour conclure

Dans une société capitaliste, le travail est réputé libre et non asservi. Depuis 2015, le droit de grève jouit d’une protection constitutionnelle. Il ne faut jamais oublier qu’il existe des stratagèmes patronaux pour atténuer la portée, réduire l’impact ou rendre l’exercice de la grève moins attrayante en raison de représailles ou de pénalités supplémentaires à supporter pour quiconque veut exercer ce droit. Pour avoir droit à la prime pour dangerosité sur certains lieux de travail en raison de la COVID-19, la personne salariée syndiquée ne doit pas interrompre sa prestation de travail sur une période de cinq jours. Ainsi donc, la prime n’est pas versée en raison du danger en lien avec le travail à effectuer, elle est associée à une condition supplémentaire qui peut opérer comme un frein à l’exercice d’un droit constitutionnel. En période de renouvellement des conventions collectives, cette mesure peut avoir pour effet d’altérer la décision d’unE salariéE syndiquéE de voter ou non en faveur de la grève. Mentionnons que la majorité des salariéEs syndiquéEs du réseau de la santé sont des femmes et il y a dans le lot une quantité non négligeable qui est issue de l’immigration. Ces personnes ne gagnent même pas 56 000$ par année. Et si ces personnes s’avisent d’exercer leur droit de grève, dans certains cas, leur prime hebdomadaire ne leur sera pas payée… Il est nettement exagéré de parler de travail forcé, mais nous approchons d’une situation qui a des allures de prestation de travail impérativement obligatoire.

Vouloir maintenir coûte que coûte une ou un salariéE syndiquéE au travail en la ou le pénalisant doublement pour l’exercice du droit de grève, cela se rapproche d’une entrave à l’exercice d’un droit d’opposition constitutionnel. Y a-t-il quelqu’unE dans l’entourage de François Legault pour lui rappeler ?

En terminant, constatons que cette épée de Damoclès (l’amputation de la prime hebdomadaire) suspendue au-dessus de la tête des syndiquéEs du réseau de la santé et des services sociaux ne semble pas avoir eu pour effet de les empêcher de donner un mandat de grève (largement majoritaire) d’une durée illimitée à la FSSS-CSN. Ce qui en dit long sur leur état d’esprit actuel et leur détermination à obtenir de meilleures conditions de travail et de rémunération dans le cadre de la présente ronde de négociation.

Yvan Perrier

20 mai 2021

17h

yvan_perrier@hotmail.com

Sources :

https://www.lapresse.ca/actualites/2020-03-19/l-offre-de-negos-accelerees-valable-pour-tout-le-secteur-public . Consulté le 20 mai 2021.

https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/AM_numero_2020-007.pdf . Consulté le 20 mai 2021.

https://l-express.ca/la-caq-promet-de-mettre-les-syndicats-au-pas/ . Consulté le 19 mai 2021.

https://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/gouvernement/la-caq-veut-moderniser-les-syndicats/567069 . Consulté le 19 mai 2021.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/575747/csn-reax-legault. Consulté le 19 mai 2021.

https://fsss.qc.ca/nego-bloquee-les-syndicats-prets-pour-la-greve-des-le-debut-juin/. Consulté le 21 mai 2021.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1794513/etat-urgence-sanitaire-covid-quebec-conventions-collectives-syndicats. Consulté le 21 mai 2021.

https://www.csn.qc.ca/actualites/les-syndicats-de-la-sante-et-des-services-sociaux-prets-pour-la-greve-des-le-debut-juin/ . Consulté le 21 mai 2021.

Au sujet de l’anti-syndicalisme de François Legault on lira avec intérêt les textes suivants :

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/402282/la-caq-demanderait-des-comptes-aux-syndicats . Consulté le 20 mai 2021.

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201202/08/01-4493833-conventions-collectives-legault-veut-provoquer-le-chaos-dit-le-pq.php . Consulté le 20 mai 2021.

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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