Édition du 23 avril 2024

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Canada

Saint Brian

Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada est mort jeudi le 29 février dernier, ce qui a donné lieu à un concert d’éloges funèbres. En particulier, le Journal de Montréal lui a consacré sa une du lendemain. On a vanté ses efforts pour faire aboutir les Accords du Lac Meech et de Charlottetown qui visaient à "réintégrer" le Québec dans la fédération canadienne, et ce en dépit de l’échec final de ces tentatives et du caractère plutôt symbolique de ces ententes.

Mulroney les évoquait comme devant permettre au Québec de se réconcilier avec le Canada "dans l’honneur et l’enthousiasme", des trémolos dans la voix. Bref, encore une fois, on célébrait l’aspect nationaliste de l’action d’un dirigeant politique décédé et ce en dépit de l’échec final de ces manoeuvres constitutionnelles.

Mais on ne se penche guère sur la dimension sociale de la politique conservatrice sous sa houlette. Il a géré le Canada alors que le courant idéologique rétrolibéral devenait la norme et qu’il a beaucoup contribué à façonner les politiques publiques, en particulier les mesures redistributives de la richesse produite. C’est sans état d’âme par exemple que le cabinet Mulroney a charcuté le régime d’assurance-chômage, rebaptisé en 1996 assurance-emploi, résultat d’une opération de maquignonnage linguistique.

Tout d’abord, comparons ce qu’il était après l’adoption de la loi de 1971 par le gouvernement Trudeau première manière à ce que Mulroney en a fait.

Au début de la décennie 1970, on était encore en pleine période keynésienne, axée sur la redistribution étendue de la richesse produite afin de sauvegarder le pouvoir d’achat des travailleurs et travailleuses et de contribuer à assurer ainsi un taux de profit satisfaisant aux entreprises. Par conséquent, la protection des sans emplois fut très étendue au point de devenir presque universelle, à quelques exceptions près comme les travailleurs indépendants, ceux et celles qu’on qualifierait aujourd’hui de travailleurs autonomes. Ils étaient peu nombreux en ce temps-là, l’emploi permanent et à temps plein représentant alors la norme.

Par exemple, la loi de 1971 stipulait qu’il suffisait d’avoir travaillé de 10 à 14 semaines pour se qualifier au régime, y compris les personnes âgées de 70 ans et plus. Le taux de remplacement du revenu était fixé à 75% pour les prestataires avec enfants et à 66 2/3% pour les autres.

C’était trop beau pour durer. À partir du milieu et de la fin des années 1970, on note certains reculs dans les critères d’admissibilité. Le 1er janvier 1976, le taux de remplacement du revenu est ramené pour tous les prestataires aux deux tiers de leur ancien salaire et on exclut du régime les gens âgés de 65 ans et plus. Le 7 janvier 1979, le pourcentage de remplacement du salaire est abaissé à 60% Mais le pire restait à venir.

Les conservateurs dirigés par Brian Mulroney se hissent au pouvoir lors du scrutin fédéral de 1984. Le contexte financier, politique et idéologique a brutalement changé depuis le début de la décennie 1980. Le rétrolibéralisme a détrôné le keynésianisme dans une bonne mesure. On observe alors l’abandon relatif de l’approche keynésienne au profit de ce qu’on devait appeler le néolibéralisme, ou encore le rétrolibéralisme. Ces termes désignent l’idéologie devenue dominante qui, pour l’essentiel rejette le collectivisme et met l’accent sur la liberté de production et d’échange, affirme sa foi en la libre concurrence et au fonctionnement sans entraves du mécanisme des prix ainsi qu’à la stabilité monétaire. Ses adeptes prônent une réduction du rôle régulateur de l’État (sauf pour soutenir les entreprises bien sûr) et affichent de la méfiance, sinon de l’hostilité à l’endroit des programmes sociaux, vus comme une "rigidité" qui nuit à la "disponibilité" de la main d’oeuvre. Dans cette optique, il faut "assouplir" le marché de l’emploi, par sa précarisation aussi poussée que possible.

Ainsi en 1989, dans le cadre d’un plan d’économie de 1,3 milliards de dollars, le ministre des Finances conservateur Michael Wilson met sur pied une réforme du régime. Celui-ci se traduit par l’adoption des mesures suivantes :

 La période de durée des prestations se réduit comme peau de chagrin, de 6 à 7 semaines selon les cas ;

 Le 27 avril 1989, Ottawa se désengage du financement du régime d’assurance-chômage, retrait qui deviendra effectif à partir du 1er janvier 1990. Désormais, il sera entièrement financé par les salariés et les employeurs, incluant cependant le gouvernement fédéral quand il agit à titre de patron. Toutefois, en novembre 1990, les personnes âgées de 65 ans et plus se trouvent réintégrées dans le régime.

 Vu le déficit croissant de ce dernier en raison de la récession qui sévissait, le gouvernement Mulroney par l’intermédiaire du nouveau ministre des Finances Don Mazankovsky qui a avait succédé à Michael Wilson devenu trop impopulaire annonce en décembre 1992 que le taux de prestations des nouveaux demandeurs est abaissé de 60% à 57%, une décision qui s’appliquera à partir du 4 avril 1993.

 Malgré l’important déficit du système d’assurance-chômage en 1992-1993, le taux de cotisation est maintenu à 37% en 1993 alors que la rémunération maximale assurable est fixée à 745$.

Pour résumer, le cabinet Mulroney a charcuté le régime d’indemnisation du chômage sans grand état d’âme. Il a donné la priorité à l’équilibre budgétaire au détriment du bien-être des travailleurs et travailleuses sans emploi, en bon conservateur qu’il était. Il n’a guère tenu compte des critiques pertinentes et justifiées syndicales et communautaires envers l’orientation restrictive qu’il imprimait à la protection du pouvoir d’achat et du niveau de vie de la population, lourdement affectée par la récession de 1990 à 1993.

Tout ceci sans même parler de la privatisation de 23 des 61 sociétés d’État, dont Pétro-Canada et air Canada. En 1991, il a remplacé la taxe sur les ventes manufacturières par la fameuse taxe sur les produits et services (la TPS) qui frappait plus directement les travailleurs et travailleuses.

Nul doute que si les libéraux avaient conservé le pouvoir en 1984, ils auraient emprunté plus ou moins une chemin similaire.

En rout cas, les politiques restrictives du gouvernement Mulroney devraient conduire ses laudateurs et laudatrices à mettre un sérieux bémol sur leurs louanges à l’endroit du cher disparu. Cela devrait leur donner une petite gêne...

Jean-François Delisle

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