Édition du 14 mai 2024

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Sarkozy et la perte du triple A : retour au réel

La dégradation de la note de la France n’est pas une surprise. Dès novembre, nous l’annoncions comme imminente, tant l’évolution de la crise des dettes publiques en Europe et l’incapacité du couple franco-allemand à l’endiguer la rendaient inéluctable. Elle peut même apparaître comme logique, voire bienvenue si l’on veut bien considérer qu’enfin, le vrai débat va pouvoir commencer.

(tiré de Médiapart du 13 janvier 2012)

Combien de gesticulations politiques, de compromis médiocres et de confiscations démocratiques ont-ils été effectués ces derniers mois au seul prétexte de ne pas « agacer » les marchés et ces chères agences de notation ?

Au moins le paysage est-il éclairci. L’ampleur de la crise, comme nous n’avons cessé de le répéter dans nos éditoriaux et analyses, ne peut se satisfaire d’une gestion désordonnée faite sur fond de calendrier électoral en France, mais aussi en Allemagne. Cette perte du triple A de la France vient à point nous rappeler comment l’Europe, faute de volonté et d’ambition politique depuis deux ans, a été incapable de forger des accords qui auraient permis d’imposer aux banques, aux marchés et par conséquence aux agences de notation une politique basée sur la régulation, la solidarité et l’ambition sociale.

Puisque ce même vendredi les représentants des banques ont en plus suspendu les négociations sur la restructuration de la dette grecque, c’est donc tout le village Potemkine construit à coup de « sommet européen de la dernière chance » qui s’écroule. Nous en étions restés au faramineux conseil européen du 9 décembre, et à son accord censé sauver l’euro et éteindre la crise des dettes souveraines. Comme prévu (lire ici notre article : Sarkozy et l’« accord européen », les dessous d’une supercherie), il n’en reste rien.

Avant cette nouvelle initiative de Standard and Poor’s, l’Europe elle-même s’employait à détricoter habilement ce que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient imposé en décembre : un nouveau traité européen définissant une nouvelle gouvernance européenne. A Bruxelles, notre collègue Ludovic Lamant (lire ici son confidentiel) a justement constaté que le processus de ratification de ce texte par les Etats membres pourrait être bien plus long que prévu : même s’il était formellement adopté par les chefs d’Etat et de gouvernement avant mars – voire dès la fin janvier –, la ratification s’échelonnerait jusqu’en… 2013.

Bip-Bip vs Coyote

Cette perte du Triple A – « ce trésor national », selon l’oracle Alain Minc – n’est donc pas une surprise. Mais elle est un événement et il concerne en tout premier lieu Nicolas Sarkozy. Depuis le 31 décembre et ses vœux télévisés aux Français, le président est engagé dans une ébouriffante tentative de storytelling, visant à force d’agitations, d’annonces tous azimuts, de « cellule riposte », de cérémonies de vœux (la dernière aura lieu après le 25 janvier), à nous construire une France virtuelle dotée d’un président-candidat autre, lui-même armé d’un tout nouveau programme !

Vous pensiez assister à une campagne électorale ? Pas du tout. Nous sommes en début de mandat et le président engage de vastes réformes structurelles : la TVA sociale ; la taxe Tobin ; la réforme de la justice (généralisation des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels) ; l’intégration progressive des salariés précaires dans la fonction publique. Sans oublier un vaste sommet pour l’emploi, une reprise des négociations avec les syndicats, un projet de formation des chômeurs, une réforme de l’éducation. Vous avez dit crise de la zone euro ?

C’est cet activisme hypnoptique que François Fillon a relayé ces derniers jours, en rencontrant les parlementaires de la majorité. Pour leur annoncer une session exceptionnelle du Parlement, sans doute jusqu’à début mars ! Et pour présenter une batterie de projets de lois à examiner en urgence ! Pour tous ceux qui se souvenaient de l’humble interview présidentielle au Figaro Magazine, en mars 2010, ce tournis d’annonce a semblé aberrant : « Au second semestre 2011, le gouvernement marquera une pause pour que le Parlement puisse, s’il le souhaite, délégiférer et compléter toutes les réformes pour les améliorer », disait alors Nicolas Sarkozy.

L’Elysée, toujours fier de délivrer quelques formules guerrières, a défini la stratégie. Après la « cellule riposte », voici la campagne dite « cible mouvante » : vous le croyez ici, il est déjà là-bas. C’est le feu follet version derviche tourneur. Ou plus simplement le remake du vieux comics de la Warner, Bip-Bip/Sarkozy contre Coyote/Hollande :

Bip-Bip Sarko pensait ainsi dicter l’agenda, créer l’actualité, redevenir ce qu’il fut en 2007-2008 : le grand rédacteur en chef de la France et des médias, contraints de soupeser le moindre soupir présidentiel et de demander aux concurrents leurs réactions.

Standard and Poor’s a au moins le mérite de mettre fin au dessin animé. La réalité est de retour ! Etats en faillite, égoïsmes nationaux, peuples écrasés par l’austérité, chômage de masse, échecs européens. Et pour comprendre ce qui est en train de survenir, anticiper les prochaines crises, cela signifie regarder en arrière, faire le diagnostic des actions conduites depuis deux ans, de cette avalanche d’annonces non suivies d’effet, de plans mirifiques devenus mesurettes.

Un florilège Baroin

Nul doute que gouvernement et UMP vont maintenant se livrer à une pédagogie active du « Ce n’est rien ». François Baroin a commencé dès vendredi soir au journal de France-2, estimant que ce n’était "pas une catastrophe" . Tant pis pour le bavard Alain Minc qui déclarait le 28 octobre dernier, sur Europe1 : « Nicolas Sarkozy est accroché au AAA de la France de manière totale, il joue sa peau d’une certaine façon. C’est un choix profond. Il ne peut pas se permettre une dégradation. »

Il est vrai que l’essayiste ne faisait alors que relayer la parole gouvernementale. Le 17 octobre, François Fillon assure que ce triple A « est un acquis extrêmement précieux qu’il ne faut en aucun cas fragiliser et c’est un acquis […] qui n’est pas intangible ». En écho, le ministre des finances, François Baroin, s’emploie à rassurer les Français : « Nous serons là pour conserver ce triple A. C’est une condition nécessaire pour protéger notre modèle social, ose-t-il alors. Nous prendrons toutes les mesures, donc il n’y a pas d’inquiétude. Tout est mis en œuvre depuis trois ans pour ne pas être dégradés. »

Rassurant et assuré, François Baroin ose même presque tout : puisqu’il s’agit de décrédibiliser le candidat Hollande, voilà le ministre qui, deux jours plus tard, s’emballe. Si le programme du PS était mis en œuvre, dit-il, cela « vaudrait à la France de voir sa note dégradée en deux minutes ».

Début décembre, il a fallu faire oublier ce bêtisier, tant il devenait évident que l’évolution de la crise de la zone euro et les échéances d’emprunt de la France provoqueraient la dégradation de sa note. François Fillon et François Baroin se sont donc livrés à l’exercice inverse : non à l’émotion des marchés, aux humeurs des agences, à « l’immédiateté ». Seule compte « la direction », « la trajectoire politiquement structurée et budgétairement rigoureuse que l’Europe, que la France ont décidé d’adopter », croit savoir le premier ministre.

Voilà donc l’agenda de campagne de Nicolas Sarkozy bouleversé. Le président l’acceptera-t-il ? Ce n’est pas certain tant le dernier trimestre 2011 a montré combien son action européenne était d’abord déterminée par les enjeux de politique intérieure. Mais l’accélération probable de la crise, le réveil des institutions européennes (Parlement et commission) jusqu’alors marginalisées et les actions demandées par d’autres pays obligeront sans doute l’Elysée à dévier de son programme. La vraie campagne présidentielle débute enfin. Tant mieux.

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